Intégration d’un talent étranger en France : quelles nouveautés?
24 mai 2019
L’un des principaux objectifs que se sont donnés les gouvernements successifs depuis le début des années 2010 est de rénover le droit des étrangers provenant d’Etats hors de l’Union européenne. Le législateur s’est emparé de ce sujet dès 2012 et a achevé cette réforme d’ampleur par les lois du 7 novembre 2016 et du 10 septembre 2018. En particulier, ce droit rénové doit permettre aux entreprises implantées en France d’attirer des talents étrangers dans des conditions simplifiées, sous réserve de respecter plusieurs points de vigilance.
La création du « passeport talent »
La création d’une carte de séjour, appelée passeport talent, constitue une des dispositions centrales de la loi du 7 mars 2016 (n°2016-274) sur le droit des étrangers donnant ainsi toute son effectivité à ses objectifs de simplification et d’attractivité du parcours des étrangers en France pour contribuer à rendre le territoire national plus attractif pour les talents internationaux.
Elle identifie dans un titre de séjour unique d’une part, les catégories d’étrangers que le législateur estime « talentueux » et dont l’expérience et la qualification doivent être reconnues et, d’autre part, les différentes facilités qui leur sont accordées.
À la différence de la carte de séjour pluriannuelle générale, le passeport talent est délivré dès la première admission au séjour, sans qu’il soit besoin d’avoir séjourné une première année en France. Il peut également être délivré à des étrangers déjà présents sur le territoire national.
S’agissant de talents salariés, la durée du passeport talent correspond à celle du contrat de travail qui en justifie la délivrance, dans la limite de quatre ans.
Le passeport talent permet l’exercice d’une activité salariée sans solliciter d’autorisation de travail préalable auprès des services de main d’œuvre étrangère des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE).
Il accorde des facilités aux membres de la famille du titulaire qui bénéficieront d’une carte de séjour spécifique.
Quels salariés peuvent bénéficier d’un passeport talent ?
Le passeport talent agrège plusieurs cartes de séjour préexistantes, à savoir la carte « compétences et talents », la carte « salarié en mission », la carte « professions artistiques et culturelles« , et la « scientifiques-chercheurs », la « carte bleue européenne » et la carte pour « contribution économique exceptionnelle ».
Peuvent bénéficier d’un passeport talent :
- les personnes exerçant les fonctions de mandataire social, y compris lorsqu’elles sont mandataires salariées ;
- les personnes occupant un emploi hautement qualifié, pour une durée d’au moins un an, et justifiant d’un diplôme sanctionnant au moins trois années d’études supérieures ou d’une expérience professionnelle d’au moins cinq ans d’un niveau comparable. Dans ce cas, la carte, porte la mention « carte bleue européenne » ;
- les salariés venant en France, dans le cadre d’une mission entre établissements d’une même entreprise ou entre entreprises d’un même groupe et qui justifient, outre une ancienneté professionnelle d’au moins trois mois dans le groupe ou l’entreprise, d’un contrat de travail avec l’entreprise établie en France ;
- les personnes de renommée nationale ou internationale, venant exercer une activité dans un domaine scientifique, littéraire, artistique, intellectuel, éducatif ou sportif ;
- les personnes titulaires d’un diplôme au moins égal au master obtenu en France ;
- les personnes diplômées d’un niveau au moins égal au master et exerçant une activité professionnelle salariée ou recrutées dans une jeune entreprise innovante pour exercer des fonctions en lien avec le projet de recherche et de développement de cette entreprise ou avec le développement économique, social, international et environnemental de ce projet ;
S’agissant de ce dernier cas, la loi du 10 septembre 2018 (n°2018-778) et le décret du 28 février 2019 (n°2019-152) ont précisé les modalités de reconnaissance du caractère innovante d’une entreprise.
L’entreprise innovante est soit celle qui correspond à la définition de la « jeune entreprise innovante » au sens du Code général des impôts (art. 44 sexies 0-A), soit celle à laquelle le ministère de l’Économie délivre une attestation reconnaissant ce caractère à une entreprise dès lors qu’elle réponde à l’un des critères suivants :
- l’entreprise est ou a été accompagnée au cours des cinq dernières années par une structure d’accompagnement dédiée aux entreprises innovantes ;
- l’entreprise est ou a été bénéficiaire dans les cinq dernières années d’un soutien public à l’innovation ;
- une partie du capital de l’entreprise est détenue par une personne morale ou un fonds d’investissement alternatif ayant pour objet principal de financer ou d’investir dans des entreprises innovantes et dont les titres ne sont pas cotés.
Les entreprises et fonds répondant à ces deux derniers critères figurent sur des listes arrêtées par le ministère de l’Économie. Il s’agit à ce jour de deux arrêtés du 28 février 2019 (NOR : ECOI1906051A et ECOI1906053A).
Passeport talent « salarié en mission » ou carte « salarié détaché ICT » ?
Afin de transposer en droit interne les dispositions de la directive du 15 mai 2014 (n°2014/66/UE) établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers (non membres de l’Union européenne) dans le cadre d’un transfert temporaire intragroupe, la loi du 7 mars 2016 a créé une carte de séjour pluriannuelle portant la mention « salarié détaché ICT » (intra-corporate tranfers).
Cette carte ICT est attribuée aux étrangers venant en France pour effectuer une mission de détachement entre établissements d’une même entreprise ou entre entreprises d’un même groupe, afin soit d’occuper un poste d’encadrement supérieur, soit d’apporter son expertise.
L’intéressé doit justifier d’une ancienneté professionnelle dans le groupe d’entreprises concerné d’au moins six mois.
D’une durée maximale de trois ans (non renouvelable), cette carte est délivrée pour la durée de la mission envisagée sur le territoire français. L’activité professionnelle salariée, ayant justifié la délivrance de la carte, n’est pas subordonnée à la délivrance de l’autorisation de travail.
Le droit français met donc à la disposition des entreprises deux mécanismes de mobilité au sein des sociétés ou groupes internationaux.
De prime abord, les différences entre le passeport talent « salarié en mission » et la carte « salarié détaché ICT » ne sont pas évidentes à identifier. Il s’agit pourtant d’un choix très important comme le montre le tableau ci-dessous :
Passeport talent "salarié en mission" | Carte "salarié détaché ICT" |
---|---|
Signature d’un contrat de travail de droit français | Maintien de la relation avec l’employeur d’origine |
Ancienneté professionnelle au sein du groupe de 3 mois | Ancienneté professionnelle au sein du groupe de 6 mois |
La demande peut être initiée directement sur le territoire de l’UE | La demande de titre doit être effectuée en-dehors du territoire de l’UE |
Titre de séjour de 4 ans renouvelable | Titre de séjour de 3 ans, non renouvelable |
Pas de délai de carence entre deux missions | Carence de six mois avant un nouveau détachement |
Salaire minimum : 1,8 SMIC (soit 32 858,28 €) | Salaire minimum : SMIC et minimum conventionnel |
Pas d’autorisation de travail dans un autre pays de l’UE | Possibilité de travailler dans un autre pays de l’UE dans lequel est implanté un établissement ou une entreprise du groupe |
Obtention, au dépôt en préfecture du dossier de demande de titre de séjour, d’une autorisation provisoire de séjour facilitant le franchissement des frontières | Obtention, au dépôt du dossier de demande de titre de séjour, d’une autorisation provisoire de séjour sur demande avec un justificatif de mission par l’employeur. Cette pratique est variable en fonction des préfectures |
Ainsi, si le droit français doit permettre d’attirer les talents internationaux, il reste complexe à manier. Les entreprises et leurs conseils doivent être particulièrement vigilants sur le plan stratégique et juridique lorsqu’elles organisent la venue d’un talent étranger en France afin d’opter pour le régime leur offrant la flexibilité adéquate dans un monde du travail de plus en plus globalisé.
Auteur
Louis Paoli, avocat, droit social
Haiyan Cai, juriste, droit social
Intégration d’un talent étranger en France : quelles nouveautés ? – Article paru dans Les Echos Business le 22 mai 2019
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