TVA et produits financiers accessoires : l’Administration durcit le ton…
L’Administration vient de rapporter une doctrine administrative protectrice des entreprises qui perçoivent des produits financiers exonérés de TVA.
Rappelons que les produits financiers (et immobiliers) exonérés de TVA sont à reprendre dans le calcul du coefficient de déduction (ex-prorata), sauf lorsqu’ils ont un caractère accessoire.
Que convient-il d’entendre par produits financiers à caractère accessoire ?
1. La qualification par la CJUE des produits financiers accessoires
Pour apprécier si des produits financiers doivent être exclus du calcul du prorata de déduction, il convient de raisonner en trois étapes :
1°) Les opérations financières doivent constituer une « activité économique » propre, i.e. suffisamment autonome de l’activité principale. L’activité financière doit en effet être distinguée de l’activité principale sans toutefois lui être indissociablement liée. A défaut, elle ne peut être accessoire.
2°) Les opérations financières ne doivent pas constituer le « prolongement direct, permanent et nécessaire de l’activité taxable » (CJUE, 11 juillet 1996, aff. 306/94, Régie Dauphinoise).
Le juge communautaire a été conduit à définir l’activité accessoire de façon négative : elle ne doit pas être le prolongement direct, permanent et nécessaire de l’activité principale, i.e. découler de cette activité principale (CJUE, 29 octobre 2009, aff. 174/08, NCC).
Ont ainsi été qualifiés de prolongement direct de l’activité principale :
- les intérêts générés par le placement par un administrateur de biens des loyers revenant aux bailleurs, car les capitaux placés proviennent directement de l’activité de gestion immobilière (CJUE, 11 juillet 1996 précité) ;
- les opérations de construction-vente menées pour compte propre par une entreprise de maîtrise d‘œuvre, parce qu’elles participent de l’objectif d’entreprise de l’assujetti (CJUE, 29 octobre 2009 précité) ;
- la vente de biens loués, en fin de contrat de crédit-bail, car elle fait partie intégrante de l’activité courante du crédit-bailleur (CJUE 6 mars 2008, aff. 98/07, Nordania).
En outre, pour les situer dans le prolongement de l’activité principale, le juge vérifie que les produits financiers ont un caractère permanent (i.e. que les opérations financières ne sont pas exercées à titre occasionnel) et un caractère nécessaire (lorsque les produits financiers constituent une condition nécessaire à l’exercice de l’activité principale).
3°) Les opérations financières doivent impliquer une utilisation très limitée de biens et services grevés de TVA (CJUE, 29 avril 2004, aff. 77/01, EDM).
Dans l’arrêt EDM (CJUE, 29 avril 2004, aff. 77/01), le juge communautaire a pour la première fois donné une définition positive de la notion d’opération accessoire en considérant que des opérations financières exonérées sont accessoires dans la mesure où elles n’impliquent qu’une utilisation très limitée de biens ou de services pour lesquels la TVA est due.
Restait donc à savoir comment articuler le critère du prolongement direct, permanent et nécessaire avec le critère de l’utilisation significative des moyens grevés de TVA.
Il découle de l’arrêt NCC, se prononçant sur la notion d’opérations immobilières accessoires, que ces critères sont cumulatifs, et qu’une activité économique ne saurait être qualifiée d’accessoire si elle constitue le prolongement direct, permanent et nécessaire de l’activité taxable de l’entreprise ou si elle implique une utilisation significative de biens et services pour lesquels la TVA est due.
2. La position du Conseil d’Etat et de l’Administration sur la notion de produits financiers accessoires
Dans un arrêt du 21 octobre 2011 (n° 315469, 9è et 10è s-s, SNC Ariane), le Conseil d’Etat a jugé que les produits financiers perçus par une société, ayant une activité immobilière pour son compte propre et pour le compte de tiers, issus de placement en bons du Trésor américain, ne sauraient revêtir un caractère accessoire dès lors que les opérations financières en cause sont indissociablement liées à l’activité économique taxable de cette société et en représentent le complément indispensable, direct et permanent au point d’en constituer, en l’espèce, une condition nécessaire.
Selon la Haute Assemblée, le lien direct et nécessaire est établi lorsque l’activité financière est indissociablement liée à l’activité principale, c’est-à -dire lorsque l’entreprise n’aurait pas été en mesure de procéder aux placements financiers si elle n’avait pas disposé de cette trésorerie au titre de son activité principale.
La CJUE dans l’arrêt NCC et le Conseil d’Etat dans l’arrêt SNC Ariane, ont ainsi donné une portée bien plus large au critère du prolongement direct, permanent et nécessaire que celle résultant du décret et de l’interprétation qu’en faisait l’Administration dans sa doctrine administrative reprise au BOFIP jusqu’au 14 février 2013.
En effet, le régime actuel de TVA applicable aux produits financiers à caractère accessoire résulte des dispositions de l’article 206-III-3-3° de l’annexe II au CGI (anciennement article 212 b), dans sa rédaction issue du décret du 26 décembre 2005, ainsi que des commentaires de l’Administration publiés au BOI 3 A-1-06 du 10 janvier 2006, repris au BOFIP TVA-DED-20-10-20-20120912 n°210 et suivants en vigueur jusqu’au 14 février 2013.
Cette doctrine administrative précise que les opérations financières exonérées réalisées par une entreprise ne peuvent être qualifiées d’accessoire à l’activité principale de l’entreprise que si :
- d’une part, elles se distinguent de l’activité principale de l’entreprise et si, d’autre part, elles présentent un lien avec cette activité principale ;
- et n’impliquent qu’une utilisation limitée au maximum à un dixième des biens et des services grevés de TVA acquis par le redevable.
Elle ajoutait également que le critère selon lequel les produits financiers s’analysant comme le prolongement direct, permanent et nécessaire de l’activité principale d’un assujetti ne pouvaient présenter un caractère accessoire, n’avait pas à être opposé à d’autres redevables qu’aux administrateurs de biens, qui étaient visés par l’arrêt de la CJUE Régie Dauphinoise.
L’Administration s’interdisait donc volontairement d’appliquer une jurisprudence qui lui était favorable.
Or, l’arrêt SNC Ariane a fait apparaître clairement la non-conformité de la doctrine administrative avec l’interprétation du juge en tant qu’elle précisait que la jurisprudence sur le prolongement direct, permanent et nécessaire n’a pas vocation à être opposée à d’autres qu’aux syndics.
L’Administration est donc revenue sur sa position le 15 février dernier en précisant au BOFIP BOI-TVA DED-20-10-20-20130215n°210 :
« Le Conseil d’Etat (CE, arrêt du 21 octobre 2011, n° 315469) considère en effet qu’il résulte de la jurisprudence communautaire (CJCE, C-306/94, Régie dauphinoise du 11 juillet 1996 ; CJCE, C-77/01, Empresa de desenvolvimento mineiro SGPS SA – EDM – du 29 avril 2004 ; CJCE, C-98/07, Nordania finans et BG Factoring du 6 mars 2008 ; CJCE, C-174/08, NCC Construction Danmark du 29 octobre 2009) qu’une activité économique ne saurait être qualifiée d’accessoire si elle constitue le prolongement direct, permanent et nécessaire de l’activité taxable de l’entreprise ou si elle implique une utilisation significative de biens et de services pour lesquels la taxe sur la valeur ajoutée est due. »
S’agissant des droits à déduction nés pendant la période d’application de la doctrine administrative d’origine, les contribuables sont fondés à s’en prévaloir sur le fondement de l’article L 80 A du LPF pour s’opposer à tout redressement.
Depuis le 15 février 2013, l’Administration a changé la donne, sans que toutefois toutes les questions soient résolues. Il convient dorénavant d’analyser si les produits financiers perçus par une entreprise sont étroitement imbriqués dans son activité économique taxable et en constituent le complément indispensable, direct et permanent.
Si la réponse est positive, les produits financiers ne pourront être considérés comme accessoires et devront donc être inclus dans le calcul du coefficient de déduction de l’entreprise.
Si la réponse est négative, il conviendra alors de vérifier que ces produits financiers ont nécessité une utilisation limitée de moyens pour conclure au caractère accessoire de ces derniers et les exclure du calcul du coefficient de déduction de l’entreprise.
Cette modification doctrinale pourrait générer, pour un grand nombre d’entreprises, une dégradation de leurs droits à déduction lorsque les produits financiers peuvent être considérés comme étant indissociablement liés à l’activité principale de l’entreprise et en représentent le complément indispensable direct ou permanent.
Tel pourrait être le cas, par exemple, des entreprises dont l’activité économique taxable implique, pour des raisons économiques ou en application de normes professionnelles, l’existence d’une trésorerie importante.
Reste dorénavant à savoir où l’Administration placera le curseur.
A propos des auteurs
Philippe Tournès, avocat associé spécialisé en TVA.
Armelle Abadie, avocat. Elle conseille et assiste les entreprises dans le suivi et la gestion de contrôles fiscaux et de contentieux en matière de TVA. Elle intervient notamment dans les secteurs industriels, immobilier, banque et assurances.
Article paru dans la revue Option Finance du 4 mars 2013
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