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Contribution de 3% sur les revenus distribués : quelles suites à la décision du Conseil constitutionnel ?

Contribution de 3% sur les revenus distribués : quelles suites à la décision du Conseil constitutionnel ?

Le Conseil constitutionnel vient de rendre sa décision dans l’affaire Layher, par laquelle il reconnaît une discrimination entre sociétés détenues à participations équivalentes selon qu’elles sont ou non membres d’un groupe intégré. Point sur les effets de cette décision, qui se révèle peu favorable aux contribuables.

1. Rappel du contexte

Depuis son introduction par l’article 6 de la loi de finances rectificative pour 2012 (loi n°2012-958 du 16 août 2012), la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés au titre des montants distribués prévue par l’article 235 ter ZCA du CGI (ci-après «la contribution de 3%») a été vivement contestée par les opérateurs économiques.

La contestation de cette contribution, qui est due en application de ces dispositions au titre des distributions au sens des articles 109 à 117 du CGI réalisées par des sociétés ou organismes français ou étrangers passibles de l’impôt sur les sociétés en France, a rapidement trouvé son prolongement sur le plan juridique.

La contribution de 3% a d’abord été contestée sur le terrain de sa conformité au droit de l’Union européenne. La Commission européenne a ainsi engagé, par l’envoi le 26 février 2015 d’une lettre de mise en demeure, une procédure en manquement contre la France, en relevant que cette contribution d’une part serait contraire à la liberté d’établissement et d’autre part méconnaîtrait les articles 4.1 et 5 de la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’Etats membres différents (ci-après «la directive mère-fille»). Dans le prolongement de cette contestation, le Conseil d’Etat a également transmis, par une décision n°399024 Association française des entreprises privées et autres du 27 juin 2016, plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (voir Option finance du 11 juillet 2016).

Cette première série de contestation porte sur le principe même de la contribution de 3% mais d’autres requérants ont jugé utile de contester, sur un terrain cette fois exclusivement constitutionnel, les dispositions du 1° du I de l’article 235 ter ZCA instituant une exonération de la contribution de 3% réservée aux seules distributions réalisées entre sociétés bénéficiant du régime de l’intégration fiscale. Cette contestation avait été soulevée dans les affaires examinées le 27 juin 2016 par les sociétés Apsis (n°398585), Soparfi, (n°399757) et Layher (n°399506), mais c’est toutefois uniquement dans cette dernière affaire qu’une QPC avait été transmise par le Conseil d’Etat au Conseil constitutionnel.

2. La décision Layher n°2016-571 QPC du 30 septembre 2016.

Par cette décision, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les mots «entre sociétés du même groupe au sens de l’article 223 A» de l’article susvisé, dans sa rédaction résultant de la loi de finances rectificative pour 2015 du 29 décembre 2015.

Pour aboutir à cette conclusion, le Conseil relève l’existence d’une différence de traitement, lorsque la condition de détention de 95% à laquelle est subordonnée l’application de l’article 223 A du CGI est satisfaite, entre les sociétés d’un même groupe, selon que ce groupe relève ou non du régime de l’intégration fiscale. Or, cette différence de traitement n’étant justifiée ni par l’objet du texte, ni par un objectif d’intérêt général, le Conseil constitutionnel en déduit que ces dispositions méconnaissent les principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques.

Comme il en a l’habitude lorsque sont déclarées contraires au principe d’égalité des dispositions favorables à certaines catégories de contribuables en ce qu’elles excluent de leur champ d’application certaines autres catégories (en ce sens voir notamment les décisions n°2014-400 QPC du 6 juin 2014 sur les frais de garantie, n°2014-404 QPC du 20 juin 2014 sur les rachats de titres, n°2014-417 QPC du 19 septembre 2014 sur les boissons énergisantes à la caféine), le Conseil constitutionnel a différé l’abrogation des dispositions censurées au 1er janvier 2017.

En effet, une abrogation immédiate des dispositions contestées aurait eu pour effet de supprimer l’exonération en faveur des distributions réalisées au sein d’un groupe fiscalement intégré et, ce faisant, d’étendre l’application d’un impôt à des personnes qui en ont été exonérées par le législateur. Le Conseil constitutionnel laisse donc le soin au législateur de déterminer les conséquences qu’il souhaiterait tirer de sa décision d’ici cette date.

3. Les effets de cette décision

Jusqu’au 1er janvier 2017, l’exonération n’est donc pas remise en cause pour les sociétés intégrées mais, contrairement à ce que souhaitaient les requérants, l’exonération de la contribution de 3% n’est pas étendue aux sociétés qui ont contesté la contribution sur le fondement de la discrimination reconnue par le Conseil constitutionnel. Ce dernier n’a en effet pas jugé opportun de préciser, comme il l’a pourtant parfois fait dans le passé (voir en particulier les décisions précitées n°2014-400 QPC et n°2014-404 QPC), que l’avantage fiscal ainsi revendiqué devait être étendu aux contribuables qui n’en bénéficiaient pas.

Toutefois, cette décision du Conseil constitutionnel ne fait pas obstacle à ce que la discrimination ainsi reconnue entre les sociétés non intégrées fiscalement, mais détenues à plus de 95% par une société mère située dans un autre Etat membre de l’Union européenne soit examinée par le juge de l’impôt au regard de la liberté d’établissement consacrée par l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. En effet, le Conseil d’Etat considère que dès lors que le contrôle de la compatibilité des lois avec le droit de l’Union européenne incombe au juge de l’impôt, il appartient à ce dernier, s’il n’a pas fait droit aux conclusions d’une requête en tirant les conséquences d’une décision du Conseil constitutionnel, d’examiner s’il doit écarter la disposition législative en cause du fait de son incompatibilité avec une règle du droit de l’Union européenne (en ce sens CE 10 avril 2015 n°377207, Sté Red Bull on Premise et Sté Red Bull off Premise).

En outre, au-delà même de l’hypothèse dans laquelle la liberté d’établissement serait applicable, les sociétés concernées pourraient chercher à tirer profit de la discrimination injustifiée ainsi reconnue en invoquant devant le juge de l’impôt le principe de non-discrimination prévu à l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (combiné avec l’article 1er de son premier protocole additionnel). Dans sa décision précitée du 10 avril 2015, le Conseil d’Etat a en effet admis qu’un requérant puisse se prévaloir d’une discrimination sur le fondement de la Convention, alors même que le Conseil constitutionnel n’avait pas étendu pour le passé l’avantage fiscal déclaré contraire au principe d’égalité.

Bien entendu, la décision du Conseil constitutionnel est sans incidence sur l’examen au regard de la directive mère-fille du principe même de la contribution de 3% qui fait l’objet des questions préjudicielles transmises à la Cour de justice par le Conseil d’Etat dans sa décision AFEP et autres du 27 juin 2016.

Cette affaire enregistrée par la Cour de justice sous le n°C-365/16 est en cours d’instruction. Mais il est à noter que les conclusions de l’avocat général Mme Kokott dans une affaire C-68/15 relative à une taxe belge similaire à la contribution de 3%, dont la Cour de justice est également saisie sur renvoi préjudiciel de la Cour constitutionnelle belge, seront connues le 5 octobre 2016.

Auteurs

Florent Ruault, avocat, spécialiste des impôts directs au sein du département de doctrine fiscale

Dov Milsztajn, avocat en fiscalité au sein du Département doctrine fiscale

Contribution de 3% sur les revenus distribués : quelles suites à la décision du Conseil constitutionnel ? – Article paru dans le magazine Option Finance le 10 octobre 2016