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Les rapports d’enquête de l’AMF à l’épreuve de l’exigence de loyauté

Dans une affaire récente, la chambre commerciale de la Cour de cassation(1) a saisi l’occasion de réaffirmer sa vision de l’exigence de loyauté dans la conduite des enquêtes de l’AMF. Disons-le sans ambages, sa conception témoigne avec continuité d ’une certaine bienveillance à l’égard de la mise en oeuvre effective d’une procédure que sa jurisprudence exigeante avait en d’autres temps fait évoluer en profondeur.

C’est dans le cadre d’une enquête ayant abouti au prononcé d’une sanction administrative(2) pour manquement à l’obligation de bonne information du public et à l’obligation de déclaration des clauses prévoyant des conditions préférentielles de cession d’actions (L.233-11 du code de commerce) que les griefs d’atteinte aux principes de loyauté dans l’administration de la preuve et de respect des droits de la défense(3) ont été invoqués par les défendeurs. Ils reprochaient aux enquêteurs de l’AMF d’avoir appréhendé des correspondances couvertes par le secret professionnel, à l’occasion de la remise par le représentant légal de la société des messageries électroniques des deux salariés suspectés. Dès lors que ce représentant n’avait pas été préalablement informé du droit de se faire assister par un conseil et par voie de conséquence de refuser la communication de ces échanges, ils demandaient l’annulation de la procédure et donc de la sanction prononcée par la Commission des sanctions de l’AMF.

En l’absence de texte faisant obligation aux enquêteurs de mentionner (aussi bien lors de la signature du procès-verbal de remise des duplicata de ces messageries que lors de toute demande complémentaire ultérieure) le droit de se faire assister par le conseil de son choix, la cour d’appel avait conclu au caractère volontaire de la remise de ces documents par le représentant agissant en connaissance de cause et sans contrainte établie. La Cour de cassation rejette la demande de nullité de la sanction considérant qu’il « avait été constaté que les correspondances électroniques remises volontairement par le représentant de la société n’avaient pas été annexées au rapport d’enquête et que dès lors il n’était pas allégué qu’avaient été fournis aux enquêteurs, préalablement à ces remises, des éléments propres à établir que les messageries contenaient des correspondances couvertes par le secret professionnel ».

D’où il faut comprendre que les enquêteurs n’avaient pas manqué à leur devoir de loyauté dans la mesure où les éléments qui leur avaient été volontairement remis n’avaient pas été utilisés à charge – et a fortiori n’avaient pas fondé la sanction – et que les enquêteurs n’étaient pas suspectés d’avoir connu préalablement à cette remise l’existence d’échanges couverts par le secret professionnel parmi les documents dupliqués. La décision ne doit pas surprendre si l’on se souvient qu’elle intervient moins d’un an après que la première chambre civile(4) de la haute juridiction a validé une procédure de sanctions AMF au motif que des courriels couverts par le secret professionnel et consignés dans le rapport d’enquête AMF avaient (de justesse, pourrait-on ajouter) été écartés des débats par la Commission des sanctions elle-même. Dans cette espèce, la cour d’appel de Paris avait été particulièrement audacieuse en affirmant que « la remise volontaire aux enquêteurs de l’intégralité de la messagerie électronique contenant les messages en question valait levée du secret pour les besoins de l’enquête ». Affirmation hautement critiquable et critiquée par la doctrine mais à laquelle la Cour de cassation n’a pas eu à répondre.

Au résultat, le statu quo actuel n’est pas durablement acceptable. Certes la jurisprudence de la CEDH permettrait probablement de valider – et sauver de la nullité – certaines procédures mais ni les droits de la défense (et en premier lieu la garantie fondamentale du secret des correspondances) ni le travail souvent difficile des enquêteurs ne sauraient rester sujets à tant d’incertitude.

La Charte de l’enquête de l’AMF devrait-elle prévoir une information renforcée préalablement à la remise de liasses de documents ?

Enfin, on approuvera le fait que les juges aient considéré que la signature du rapport d’enquête par le seul « Directeur des enquêtes et de la surveillance des marchés de l’AMF » soit sans incidence sur sa validité.

Rappelons qu’il est le supérieur hiérarchique des inspecteurs spécialement habilités par le Secrétaire général(5) et qu’il tient son pouvoir d’une délégation du Secrétaire général.

Notes

1. Com. 29 janvier 2013 n°11-27333

2. Comm. sanct. AMF à l’égard de la société ORGASYNTH SA et de M.E.A., 16 septembre 2010.

3. Tels que posés par l’article 6&1 de la CESDH et des articles L.621-9-3 ; L.621-10 et L.621-15 du code monétaire et financier.

4. Civ. 1ere 8 mars 2012, n°10-26.288, Rev. Sociétés 2012, p. 379, note E. Dezeuze.

5. Comofi art. L.621-9-1 et R.621-33 ; Règl. Gén. AMF art. 144-1.

 

A propos de l’autreur

Bruno Zabala, avocat au sein du département de la doctrine juridique.

 

Analyse juridique parue dans la revue Option Finance du 4 mars 2013

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