L’application des conventions fiscales aux retraites des cadres expatriés
27 octobre 2016
Le Conseil d’Etat retient une interprétation large des conventions fiscales prévoyant l’imposition en France des pensions payées en application de la législation de la sécurité sociale française.
Il est fréquent que des cadres d’entreprises françaises décident, après avoir mis fin à leur activité professionnelle, de transférer leur domicile hors de France et de prendre leur retraite à l’étranger. Ils bénéficient alors de pensions de retraite qui leur sont versées alors qu’ils sont devenus non-résidents. Ces pensions relèvent tantôt du régime de base et de régimes complémentaires obligatoires, tantôt de régimes facultatifs auxquels les anciens salariés ont cotisé volontairement. Quel est le traitement fiscal de ces pensions ?
1) Le traitement des retraites versées aux non-résidents et la décision du Conseil d’Etat du 27 juin 2016
Les pensions de retraite de source française sont imposables en France conformément aux articles 182 A et 164 B du CGI. L’imposition prend la forme d’une retenue à la source dont l’assiette est le montant net des sommes versées. La retenue est calculée selon un barème progressif spécifique dont le taux marginal s’établit à 20%. Elle s’impute sur le montant de l’impôt sur le revenu dû en application des règles ordinaires. Cette imposition en France s’opère toutefois sous réserve des conventions fiscales qui peuvent retirer à la France tout ou partie du droit d’imposer les pensions. Les expatriés percevant des pensions de retraite versés par des organismes français doivent donc étudier de près la convention fiscale applicable entre la France et leur Etat de résidence pour déterminer quel est le régime fiscal des pensions en cause.
Le modèle de convention fiscale de l’OCDE prévoit à cet égard en son article 18 un droit exclusif de l’Etat de résidence d’imposer les pensions payées au titre d’un emploi antérieur occupé dans l’autre Etat contractant, sous réserve des dispositions de l’article 19 § 2 qui réservent à l’Etat de source le droit d’imposer certaines pensions publiques, c’est-à-dire relatives à un emploi public exercé dans l’Etat de source. Mais certaines conventions conclues par la France s’écartent du modèle de l’OCDE en prévoyant une troisième catégorie de pensions : il s’agit des «pensions et autres sommes payées en application de la législation sur la sécurité sociale d’un Etat» qui sont imposables, soit exclusivement dans cet Etat, soit à titre prioritaire dans cet Etat.
C’est l’interprétation de ce type de convention qui était soumise au Conseil d’Etat dans l’affaire ayant donné lieu à la décision du 27 juin 2016 (n°388606). En l’espèce, une personne ayant sa résidence fiscale aux Emirats Arabes Unis avait perçu des pensions versées par les caisses de retraite Cre-Ircafex et Pro BTP, qu’il n’avait pas mentionnées dans ses déclarations de revenus. Ces pensions se rattachaient à deux périodes distinctes : une période au cours de laquelle l’intéressé était salarié, détaché aux Emirats Arabes Unis, d’une société établie en France et affilié à ce titre de manière obligatoire au régime d’assurance vieillesse du régime général de la sécurité sociale ainsi que, par voie de conséquence, aux régimes de retraite complémentaire ; une période au cours de laquelle l’intéressé, devenu salarié expatrié d’une société de droit émirati, il avait été affilié de manière volontaire à ces caisses de retraite.
Or, l’article 14 de la convention fiscale signée le 19 juillet 1989 entre la France et les Emirats Arabes Unis énonce ce qui suit : «1. (…) les pensions et les autres rémunérations similaires payées à un résident d’un Etat au titre d’un emploi antérieur ne sont imposables que dans cet Etat. / 2. Nonobstant les dispositions du paragraphe 1, les pensions et autres sommes payées en application de la législation de la sécurité sociale d’un Etat sont imposables dans cet Etat».
Pour savoir si les pensions étaient imposables en France, il fallait donc déterminer si elles étaient payées en application de la législation française de la sécurité sociale.
Le Conseil d’Etat estime que tel est le cas. S’appuyant sur différents articles du Code de la sécurité sociale relatifs à l’organisation et au contrôle des institutions de retraite complémentaire membres de l’association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (Arrco) et de l’association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc), le Conseil d’Etat énonce que «nonobstant leur nature conventionnelle, ces régimes sont régis par le code de la sécurité sociale ; que les prestations qu’ils servent ont, par suite, la nature de pensions payées en application de la législation française de sécurité sociale, au sens et pour l’application des stipulations de l’article 14 de la convention fiscale signée le 19 juillet 1989 entre la France et les Emirats Arabes Unis».
La solution s’applique identiquement aux pensions afférentes à des cotisations procédant d’une adhésion volontaire. Selon le Conseil d’Etat, «si la possibilité ouverte aux salariés expatriés qui cessent d’être dans le champ de l’affiliation obligatoire aux régimes complémentaires de retraite de maintenir à titre individuel leur affiliation en adhérant de façon volontaire à ces régimes, découle non du code de la sécurité sociale mais de délibérations de l’Arrco et de l’Agirc, cette adhésion volontaire, qui est notamment subordonnée à la condition que le salarié expatrié ait déjà des droits inscrits auprès de ces régimes, a pour seul objet de lui permettre de continuer à acquérir des droits à pension dans des régimes français complémentaires de retraite par répartition et est indissociable de l’organisation d’ensemble de ces régimes ; (…) la fraction de la pension de retraite complémentaire versée en contrepartie d’une période d’adhésion volontaire doit, par suite, également être regardée comme payée en application de la législation française de sécurité sociale, au sens et pour l’application des stipulations précitées de l’article 14 de la convention fiscale signée le 19 juillet 1989 entre la France et les Emirats Arabes Unis».
2) La portée de la décision du Conseil d’Etat
Bien que la décision commentée soit relative à la seule convention franco-émiratie, on aura compris que son intérêt s’étend à toutes celles qui font application du concept de «pension payée en application de la législation française de sécurité sociale».
L’interprétation large que retient le Conseil d’Etat est à rapprocher de celle que l’administration retient dans sa doctrine publiée (BOI-INT-DG-20-20-50, n°50), selon laquelle les conventions prévoyant l’imposition en France des pensions versées par des organismes français de sécurité sociale permettent à la France d’imposer les pensions qui relèvent notamment :
-
loi (régime général de sécurité sociale, régime des assurances sociales agricoles, différents régimes spéciaux) ;
Rappelons également que l’annexe I au formulaire 2041-E concernant l’impôt sur les revenus français des non-résidents contient un tableau précisant, pays par pays, les modalités d’imposition (selon l’administration) des pensions de source française.
Il reste à décliner, au cas par cas, les modalités d’application de la décision du Conseil d’Etat aux différents types de régimes de retraite et à s’assurer que les anciens salariés (ou futurs retraités) bénéficiaires de régimes mis en place par les entreprises au profit de leurs salariés satisfont (ou satisferont) aux obligations déclaratives qui découlent de la décision du Conseil d’Etat.
Auteur
Daniel Gutmann, avocat associé responsable de la doctrine fiscale, professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne.
L’application des conventions fiscales aux retraites des cadres expatriés – Article paru dans le magazine Option Finance le 17 octobre 2016
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