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Provisions déductibles : des précisions récentes apportées par la jurisprudence

Provisions déductibles : des précisions récentes apportées par la jurisprudence

L’année 2016 est riche en précisions sur les provisions déductibles, dont les enjeux financiers sont importants pour les entreprises. On pourra signaler que l’administration vient de mettre en place l’expérimentation d’une nouvelle procédure, plus simple pour les contribuables qui relèvent de la Direction des grandes entreprises (DGE) et qui font l’objet d’un redressement dit de « décalage », mais la jurisprudence n’est pas en reste en matière d’actualités, comme nous allons le voir.

1. Rappel des conditions de déductibilité fiscale

Pour être fiscalement déductible, une provision doit, en vertu de l’article 39, 1, 5° du CGI, remplir une condition de forme et quatre conditions de fond : la provision doit avoir été effectivement constatée dans les écritures de l’exercice, elle doit être destinée à faire face à une perte ou à une charge déductible pour l’assiette de l’impôt, cette perte ou charge doit être nettement précisée dans son principe et dans son montant, elle doit être probable, et la probabilité de la perte ou de la charge doit résulter d’événements en cours à la clôture de l’exercice, c’est-à-dire que la provision doit pouvoir être rattachée aux opérations de toute nature déjà effectuées par l’entreprise à la clôture de l’exercice.

En outre, les provisions pour perte ne peuvent être déduites que si la perspective de perte se trouve établie par la comparaison, pour une opération ou un ensemble d’opérations suffisamment homogènes, entre les coûts à supporter et les recettes escomptées.

Si ces conditions semblent solidement établies, des difficultés subsistent dans leur appréciation, et la jurisprudence apporte des clarifications.

2. La dépréciation statistique ne s’applique qu’aux créances présentant un risque de non recouvrement

Par une décision du 17 février 2016 (n°377415, Sté Edition Atlas), le Conseil d’Etat a encadré strictement la possibilité qu’ont les entreprises de déprécier des créances en utilisant une méthode statistique.

La Haute juridiction a d’abord rappelé la possibilité pour l’entreprise de recourir à une méthode statistique appropriée et suffisamment précise, reposant sur les données de l’entreprise pour évaluer le montant de la provision. En revanche, les juges ont précisé que le recours à la méthode statistique ne suffit pas à établir l’existence d’un événement en cours à la clôture de l’exercice rendant la charge ou la perte probable. En d’autres termes, il ne suffit pas que les statistiques ressortent un risque d’impayé, il faut en plus pouvoir prouver l’existence d’un événement en cours qui rende la perte ou la charge probable. La méthode statistique ne s’applique qu’aux créances pour lesquelles existe un risque avéré de non-recouvrement, c’est-à-dire à minima un retard de paiement (mais également l’existence d’une relance au titre d’impayés survenus en cours d’exercice, la dégradation financière du débiteur, l’engagement de procédures amiables, etc.). L’événement en cours à la date de clôture ne se présume pas, et ne saurait ainsi être caractérisé par de simples éléments statistiques reposant sur l’existence d’incidents de paiement lors d’exercices antérieurs.

Les éléments statistiques servent à quantifier le risque ; mais ne servent pas à le qualifier.

Enfin, comme l’a rappelé le rapporteur public, la jurisprudence est souple sur les engagements de reprise (pas d’exigence d’un événement en cours à la clôture de l’exercice), mais le rapporteur a précisé que cette particularité s’explique par le fait que les engagements s’expliquent par les usages et que la jurisprudence ne paraît pas transposable lorsque, comme en l’espèce, c’est l’acte de vente lui-même qui non seulement porte en germe, mais suscite et organise le risque de perte. Il en irait de même pour les provisions pour garantie pour lesquelles l’événement en cours à la clôture de l’exercice rendant le risque probable est précisément la vente.

3. Une provision peut conserver son objet même si les motifs ayant justifié sa constitution ont changé

Par une décision du 30 juin 2016 (n°380916, Sté Transat France), le Conseil d’Etat a énoncé le principe suivant lequel une société qui a constitué une provision pour tenir compte de la dépréciation de son fonds de commerce peut, si cette provision n’a pas perdu son objet, maintenir ou modifier le montant de cette provision en cas de modification de la consistance de son fonds et de survenance d’événements justifiant toujours une dépréciation, sans procéder à une reprise de provision suivie d’une nouvelle dotation.

En effet, le Conseil d’Etat distingue l’objet d’une provision de ses causes ou ses justifications. Ces dernières sont, pour une charge probable donnée, les événements en cours à la clôture de l’exercice qui la rendent probable ou s’agissant d’une provision pour dépréciation, les indices laissant penser à une baisse de valeur significative mais non irréversible. Cette distinction est cruciale dans la mesure où conformément à l’article 39, 1, 5° du CGI, les provisions détournées de leur objet ou devenues sans objet au cours d’un exercice sont rapportées aux résultats de cet exercice.

Dans le cas d’espèce, l’objet de la provision, qui n’a pas changé, consistait en la dépréciation du fonds de commerce. En revanche les causes ou justifications de la dépréciation ont été modifiées ; initialement, la dépréciation était justifiée par des pertes d’exploitation, puis la justification avait trait aux effets négatifs sur les résultats des événements internationaux survenus en septembre 2001 ainsi qu’au changement des modes de consommation dans le secteur du tourisme.

4. La déductibilité est justifiée même si l’entreprise a constitué une provision plutôt que de déduire une charge à payer

Comme pour la précédente décision, pragmatique, faisant l’économie d’un formalisme excessif, le Conseil d’Etat a jugé le 17 mars 2016 (n°381427, Sté Sogetra) que la requalification par l’administration d’une provision en dette certaine est sans incidence sur le résultat imposable refusant ainsi de sanctionner une irrégularité purement comptable n’ayant aucune incidence fiscale.

5. La provision pour perte découlant d’un engagement de reprise doit être calculée globalement, selon la CAA de Versailles

Une pratique –courante dans le secteur automobile entre constructeurs et sociétés de location– consiste à réaliser des ventes de véhicules avec une clause de rachat –plus souvent connue sous le nom de «buy-back»– aux termes de laquelle le constructeur s’engage à reprendre les véhicules à l’issue d’une certaine période et pour un prix déterminé dans le contrat initial.

Cette pratique engendre le risque pour le vendeur de devoir revendre à perte le véhicule, lorsqu’il est repris à une valeur (fixée dès la vente initiale) qui est inférieure à la valeur vénale. Pour faire face à l’engagement, il est fréquent que l’entreprise décide de constituer une provision pour perte au titre de l’exercice de réalisation de la vente.

Le Conseil d’Etat a admis le 13 juillet 2007 (n°289233 et 289261, Sté Volkswagen France) la constitution de telles provisions en précisant néanmoins que pour pouvoir être déductibles, ces provisions devaient avoir un caractère suffisamment précis.

Dans une affaire récente, la détermination du prix de revente ultérieur n’était pas contestée, celle-ci étant suffisamment détaillée (ne se limitant pas à la simple valeur de l’Argus). En revanche, la CAA de Versailles a remis en cause le 19 juillet 2016 (n°14VE01462, SAS Volvo Holding France) l’individualisation des provisions contrat par contrat pour l’appréciation de la perte. Elle précise que les entreprises doivent établir la probabilité de la perte à l’échelle de l’ensemble de leurs opérations de vente assorties d’un engagement de reprise à un prix déterminé à l’avance.

En effet, selon la cour, les opérations de vente assorties d’un engagement de reprise présentent un caractère homogène, résultant de l’identité des droits et obligations assignés à chaque partie. Il importe peu pour la cour, que les contrats soient conclus avec des personnes différentes et portent sur des modèles de véhicules différents. De même, la circonstance que leur exécution conduise à des gains ou à des pertes variables suivant la durée de reprise et l’état du véhicule repris ne fait pas obstacle à leur caractère homogène.

Cette approche semble aller à l’encontre des principes comptables et en particulier du principe de prudence. En effet, conformément à ce principe, un produit ne doit être comptabilisé que s’il est réalisé, alors qu’une charge doit être prise en compte dès lors que sa réalisation est probable. En appréciant de manière large la notion de «contrats homogènes», la CAA de Versailles prend indirectement en compte des produits probables qui se compensent avec des charges probables. Dans la mesure où la déductibilité de la provision est liée à sa comptabilisation, une telle approche conduisant à une divergence entre les règles comptables et fiscales peut être source de difficultés. Ainsi, le caractère homogène des contrats devrait être apprécié de manière restrictive, en évitant toute généralisation.

Même si dans le cas d’espèce, la société Volvo Holding France peut avoir gain de cause en retenant la qualification de provision pour charge (ce que jugera le Conseil d’Etat), une clarification de la Haute juridiction est attendue sur les modalités de détermination de la provision pour perte et la notion de «contrats homogènes»

Auteur

Martine Ebrard-Grellety, avocat associée en matière de fiscalité directe.

Provisions déductibles : des précisions récentes apportées par la jurisprudence – Article paru dans le magazine Option Finance le 24 octobre 2016