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Réforme du droit des obligations : quelles limites à la capacité des sociétés ?

Réforme du droit des obligations : quelles limites à la capacité des sociétés ?

L’ordonnance de réforme du droit des obligations entrée en vigueur le 1er octobre dernier introduit dans le Code civil un nouvel article 1145 al. 2 aux termes duquel : «La capacité des personnes morales est limitée aux actes utiles à la réalisation de leur objet tel que défini par leurs statuts et aux actes qui leur sont accessoires, dans le respect des règles applicables à chacune d’entre elles».

Jusqu’à présent, les dispositions légales applicables étaient muettes sur la capacité des personnes morales à contracter, le principe selon lequel ces dernières ne pouvaient accomplir que les actes entrant dans leur objet statutaire étant avant tout une position développée par la doctrine.

S’agit-il, par l’adoption de ce nouvel article, de protéger davantage l’intérêt de la société, voire de sanctionner l’acte anormal de gestion comme le fait le droit fiscal, en ne reconnaissant aux personnes morales qu’une capacité limitée à leur objet statutaire et à l’«utilité» des actes accomplis pour leur compte ?

Si la notion d’accessoire, bien connue, ne pose pas en soi de difficulté, que faut-il entendre par acte «utile» ? S’agit-il d’une utilité subjective, au sens où la société devrait en retirer un avantage ? Ou d’une utilité objective, qui serait déterminée par comparaison avec l’objet social et le fait de savoir si l’acte relève de ce dernier ? Faut-il observer ce critère a priori (avant réalisation de l’acte) ou a postériori ?

A ce stade et même si la question reste ouverte, il nous semble que la notion d’utilité :

  • doit se comprendre en relation avec la réalisation de l’objet de la personne morale, ce qui implique non seulement les actes entrant dans ledit objet, mais également l’ensemble des actes qui contribuent à la réalisation de l’objet, même s’ils n’y entrent pas directement ;
  • ne doit pas être confondue avec l’intérêt social, c’est-à-dire à l’opportunité que tel ou tel acte peut présenter pour la société concernée.

Il nous semble par ailleurs qu’une appréciation a priori doive être privilégiée du fait du caractère incertain et donc du défaut de sécurité juridique que présente une évaluation a posteriori. D’autant plus que, la capacité du contractant étant une condition de validité de l’acte, l’existence de celle-ci doit nécessairement s’apprécier au jour de la conclusion de l’acte en question.

Quant à son champ d’application, l’article 1145 al. 2, bien que visant très largement les personnes morales, s’applique-t-il pour autant indifféremment à toutes les sociétés ?

A priori, et dans la mesure où ces dispositions ne visent que les personnes morales, ces dernières n’ont pas vocation à s’appliquer aux sociétés qui en sont dépourvues (société de fait ou en participation).

Pour les SARL et les sociétés par actions, il convient de lire ces dispositions, comme toutes les normes de droit interne, au regard de la directive européenne 2009/101 du 16 septembre 2009. Cette dernière prévoit en effet que ces sociétés sont engagées à l’égard des tiers même par les actes de leurs organes qui ne relèvent pas de leur objet. L’objectif poursuivi est d’assurer un maximum de sécurité juridique dans les relations entre la société et les tiers, en limitant les cas de nullité des engagements pris au nom de la société. En conséquence, la validité d’un acte excédant la capacité de telles sociétés ne doit pas pouvoir être contestée et l’application de l’article 1145 al. 2 nous semble, à ce titre, devoir être écartée.

La limite de capacité posée par cet article nous parait donc essentiellement concerner les personnes morales n’ayant pas la nature de sociétés (GIE, association, etc.) ainsi que les sociétés de personnes non visées par la directive susmentionnée telles que la société civile, la SNC ou la SCS. Il conviendra, pour ces sociétés, d’articuler cette limite avec les règles applicables en matière de représentation. Un contrat ne pourra ainsi être valablement conclu par ces sociétés que dans les limites de la capacité telle que posée par l’article 1145 al. 2 et pour autant que le représentant légal ait agi sans excéder ses pouvoirs de représentation.

En pratique, l’entrée en vigueur de cet article invite les praticiens à porter une attention particulière aux statuts des sociétés contractantes, à la rédaction des objets sociaux et, le cas échéant, au préambule des contrats dans lesquels pourront être intégrées des dispositions sur l’utilité des accords considérés. Par précaution, et en attendant une clarification de la jurisprudence quant au champ d’application de ces dispositions, il conviendra d’appliquer ces mesures à tous types de sociétés. Une vigilance accrue devra également être portée à la rédaction des opinions juridiques, en y insérant, selon le cas, des réserves spécifiques en matière de capacité des sociétés concernées.

Auteur

Emmanuelle Brunel, avocat en droit des sociétés

Réforme du droit des obligations : quelles limites à la capacité des sociétés ? – Analyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 7 novembre 2016