Droits de donation/succession : intérêt de déposer au plus vite une réclamation
Le Conseil constitutionnel va se prononcer dans les prochaines semaines sur la constitutionnalité du mode de calcul des droits de donation et de succession en cas de transmissions successives entre mêmes personnes. Il est important d’anticiper la possibilité que survienne une décision favorable du Conseil constitutionnel en déposant une réclamation au plus vite, à titre conservatoire.
Le 4 octobre 2016, la Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative au « rappel fiscal » des donations. Le « rappel fiscal » des donations vise le délai au terme duquel le barème fiscal commun aux donations et aux successions se renouvelle : lorsqu’un abattement (actuellement, 100 000 € entre parent et enfant) et les tranches basses du barème (5%, 10%, 15%, 20%…) ont été utilisés à l’occasion d’une donation, le bénéficiaire de la donation doit attendre un certain délai avant de pouvoir utiliser à nouveau l’abattement et les tranches basses à l’occasion d’une nouvelle transmission. Or le législateur a allongé à deux reprises la durée du délai de rappel fiscal, le passant de six à dix ans en 2011, puis à quinze ans en 2012. Le Conseil constitutionnel va devoir déterminer si cet allongement de délai a pu porter atteinte à un droit acquis par les redevables.
Au cas particulier, une donation avait été consentie le 21 juin 2002, lorsque le délai de rappel fiscal était de dix ans. Les donataires pouvaient donc s’attendre à ce que la donation ne soit plus prise compte pour le calcul des droits de donation/succession pour les nouvelles transmissions ayant lieu à compter du 22 juin 2012. Or la donatrice est décédée le 2 août 2014. Sur la base du délai de rappel fiscal applicable au jour de la donation de 2002, celle-ci n’aurait pas dû être prise en compte pour le calcul des droits de succession à régler par les héritiers. Cependant, entre temps, en 2012, le législateur a fait passer à quinze ans le délai du rappel fiscal : la donation de 2002 a donc été prise en considération pour le calcul des droits de succession, entraînant selon les héritiers un trop payé de droits.
L’argumentation des redevables, jugée sérieuse par la Cour de cassation, repose sur l’idée que le législateur leur a garanti un droit à recouvrer le bénéfice de l’abattement et du complet barème au bout d’un certain délai. Il revient donc au Conseil constitutionnel de déterminer si les contribuables disposaient ou non d’un droit légalement acquis qui ne pouvait plus être supprimé rétroactivement.
Les donataires qui sont dans une situation similaire ne doivent cependant pas attendre la décision du Conseil constitutionnel pour agir. En effet, il existe un risque que la décision du Conseil, si elle est favorable, s’applique uniquement aux transmissions à venir et aux contribuables ayant déposé au préalable une réclamation. Dès lors, la prudence incite à déposer une réclamation à titre conservatoire afin de demander la restitution du trop payé de droits de donation ou de droits de succession. En raison des règles habituelles de prescription sont potentiellement concernées par la réclamation, les donations ou successions survenues depuis le 1er janvier 2014 pour lesquelles les droits payés ont été alourdis par l’extension du délai de rappel fiscal, applicable selon nous à des donations antérieures consenties entre le 1er janvier 1999 et la fin d’année 2010. Le Conseil constitutionnel devant se prononcer début décembre, les redevables doivent agir au plus vite.
Exemple : Paul consent une donation à son fils unique, Patrick, le 2 mars 2004. A l’occasion de la donation, Patrick utilise l’intégralité de l’abattement entre parent et enfant ainsi que l’intégralité des tranches basses du barème allant de 5% à 20%. Le 3 juillet 2015, Paul décède avec un seul héritier : Patrick. L’actif successoral taxable s’élève à 2 millions d’euros. Pour simplifier l’exemple, nous raisonnerons à valeur constante, sans tenir compte des variations entre 2004 et 2015 du barème commun aux donations et successions.
En raison du délai de rappel applicable au jour du décès de Paul, soit 15 ans, la donation de 2004 a été prise en compte pour le calcul des droits de succession : l’actif successoral a été taxé dans les tranches hautes du barème (tranches à 30%, 40% et 45%), entraînant un montant de droits de 802 281 €.
Cependant, le 2 mars 2004, au moment de la donation, le délai de rappel fiscal était de 10 ans. Patrick pouvait donc espérer que le barème se renouvelle à compter du 3 mars 2014. Si le Conseil constitutionnel considère que cette attente est légitime et qu’elle ne peut être contrariée par l’allongement du délai de rappel fiscal, Patrick devrait pouvoir demander à ce que les droits de succession soient recalculés sans prise en compte de la donation de 2004. Dans cette hypothèse, l’actif successoral sera taxé après application de l’abattement entre parent et enfant de 100 000 € puis des tranches basses du barème. Le montant des droits recalculé passera alors de 802 281 € à 617 394 €. Si la décision du Conseil constitutionnel est favorable, Patrick pourra obtenir la restitution de la différence, soit 184 887 € (plus des intérêts de retard), et il doit pour cela prendre le soin de déposer une réclamation avant que le Conseil ne se prononce.
Auteur
Grégory Dumont, avocat en matière de Droit du patrimonial