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Loi Sapin II : nouvelles obligations d’identification et de déclaration des bénéficiaires effectifs dans les groupes de sociétés

Loi Sapin II : nouvelles obligations d’identification et de déclaration des bénéficiaires effectifs dans les groupes de sociétés

L’identification du détenteur du contrôle dans les groupes de sociétés relève parfois d’une gageure en raison de l’interposition de multiples véhicules et d’entités diverses.

Dans un contexte de lutte renforcée contre le terrorisme et le blanchiment de capitaux, l’introduction dans notre droit d’une obligation notamment pour les sociétés d’obtenir et de conserver des informations exactes et actualisées sur leurs bénéficiaires effectifs prévue par le projet de loi dit Sapin II1 requiert une attention particulière. Dans sa version quasi définitive2, le texte prévoit la création d’un registre public des bénéficiaires effectifs de certaines sociétés, complémentaire de l’actuel registre national des trusts. L’accès à ces informations sera intégralement ouvert aux autorités publiques et aux professionnels concernés, mais restreint3 s’agissant du public.

I – Un champ d’application large

Les sociétés auxquelles ce dispositif est susceptible de s’appliquer sont nombreuses. Ainsi seront concernées les sociétés et groupements d’intérêt économique ayant leur siège dans un département français et jouissant de la personnalité morale (C. com. art. L. 123-1 2°), les sociétés commerciales dont le siège est situé hors d’un département français et qui ont un établissement dans l’un de ces départements (C. com. art. L. 123-1 3°), et toutes autres personnes morales dont l’immatriculation est prévue par les dispositions législatives ou réglementaires (C. com. art. L. 123-1 5°), dès lors que ces différentes sociétés ou entités sont établies sur le territoire français.

Une notion-clé connue

La notion-clé de « bénéficiaire effectif » est, quant à elle, déjà définie par le Code monétaire et financier4et et le dispositif y renverra expressément. Pour mémoire, le bénéficiaire effectif s’entend de manière alternative, comme une « personne physique qui contrôle directement ou indirectement le client ou une personne physique pour laquelle une transaction est exécutée ou une activité réalisée ». Si la deuxième branche de la définition appelle peu de discussions, la première soulève davantage d’interrogations s’agissant de l’appréciation du contrôle exercé par une personne physique dans une société.

A cet effet, les articles R. 561-1 et suivants du Code monétaire et financier sont venus préciser de manière différenciée la notion de « bénéficiaire effectif » pour chaque type de personne morale. Ils proposent ainsi soit des critères objectifs tenant en la détention directe ou indirecte de plus de 25% du capital ou des droits de vote de la société considérée, soit une appréciation plus subjective fondée sur l’exercice, par tout autre moyen, d’un pouvoir de contrôle sur les organes de gestion, d’administration ou de direction ou sur l’assemblée générale de la société.

II – Un dispositif porteur d’interrogations

L’appréhension délicate du contrôle exercé par une personne physique

En premier lieu, on observera que le pouvoir réglementaire n’a pas jugé utile de définir plus avant la notion de « pouvoir de contrôle », imperfection ou volonté d’instaurer un champ d’application suffisamment extensif pour couvrir le plus grand nombre d’occurrences, y compris celles qui ne sont pas encore identifiées ? En outre, en indiquant que ce contrôle peut s’exercer « par tout autre moyen » que la détention directe ou indirecte à plus de 25%, tant sur les organes de gestion, d’administration ou de direction que sur l’assemblée générale, les voies statutaire et contractuelle apparaissent comme des modes d’exercice possibles de ce pouvoir. Enfin, l’action de concert comme moyen d’exercer le contrôle n’est pas visée par le texte, sauf à considérer qu’elle entre dans la prescription générale (par tout autre moyen). Là encore, le texte mériterait d’être clarifié.

En conséquence de ces imprécisions, l’on sera conduit en second lieu à rechercher dans le droit des sociétés les critères utiles de caractérisation d’un contrôle sur l’organe de direction ou en assemblée générale.

Le contrôle sur l’organe de gestion, d’administration ou de direction pourra tout d’abord se déduire de l’existence d’un mandat de pur droit qui serait exercé au sein dudit organe, sous réserve qu’il permette à la personne physique/bénéficiaire effectif de déterminer en fait les décisions prises au sein de cet organe. On pourra ensuite se référer au 4° de l’article L. 233-3,I du Code de commerce qui, depuis la modification apportée par l’ordonnance n°2015-1576 du 3 décembre 2015 (art. 4), ouvre à la personne physique l’exercice du contrôle sur une société « lorsqu’elle est associée ou actionnaire de cette société et dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance de cette société ».

Enfin, dans certains montages, il conviendra de croiser les deux approches. Des stipulations statutaires ou extra-statutaires peuvent en effet prévoir que la détention d’une fraction déterminée de droits de vote donnera droit à la faculté de désignation d’un nombre augmenté de membres au sein de l’organe de direction, d’administration ou de surveillance.

L’existence d’un pouvoir de contrôle sur la composition de ces organes se déduira alors de ces conventions indépendamment de leur inclusion ou non dans les statuts.

En assemblée générale et faute d’une détention d’une fraction de plus de 25% dans le capital ou les droits de vote de la société, les critères du contrôle de fait, prévus à l’article L. 233-3,1,3°5 du Code de commerce, peuvent également s’avérer précieux. Sans être titulaire de la majorité des droits de vote, l’actionnaire peut être en mesure, par les droits de vote dont il dispose directement, indirectement, ou par l’intermédiaire d’autres sociétés qu’il contrôle, de faire prévaloir ses points de vue lors des assemblées générales, et ainsi d’influencer la gestion de cette société. A titre d’exemple, le contrôle de fait pourra être reconnu en cas de dispersion des titres de la société, ce qui peut conférer le contrôle à un actionnaire qui ne détiendrait ici ni la majorité des droits de vote ni même 25% de ces mêmes droits, mais dont l’influence se révélerait néanmoins déterminante du fait de l’atomisation de la répartition des droits de vote entre de très nombreuses mains (et en l’absence d’un contrôle conjoint de la société). Il doit être rappelé que le contrôle est alors apprécié en fonction des seuls droits de vote, sans égard à la participation de l’associé dans le capital social. Ainsi, il convient de prendre en compte les droits de vote double s’il en existe et d’écarter, le cas échéant, les actions de préférence sans droit de vote, les actions d’autocontrôle, les actions détenues par la société dans son propre capital, etc.

Une obligation de moyens

Imprécis sur la notion-clé du « contrôle », le texte en voie d’adoption l’est aussi s’agissant des sanctions auxquelles s’exposerait la société qui n’aurait pas communiqué les informations dont elle dispose sur les bénéficiaires effectifs.

Aucune sanction spécifique ne semble avoir été prévue à ce stade. D’où la tentation d’en déduire que ce dispositif se réduit à une seule obligation de moyens.

A titre de comparaison, la transposition en droit anglais de cette directive prévoit d’importantes sanctions, à savoir l’incessibilité des actions de la société (après réception d’une « restriction notice ») et la perte des droits qui leur sont attachés.

Par ailleurs, la société qui refuserait de communiquer les informations dont elle dispose sur les bénéficiaires effectifs, après avoir reçu une « warning notice », se rendrait responsable d’une infraction pénale.

En attendant, au-delà des imprécisions du dispositif français, il implique dans les groupes une réflexion sur les mesures appropriées assurant que l’information sur leurs bénéficiaires effectifs soit régulièrement déclarée.

Notes

1 Un article 45 quater B du projet de loi Sapin II vient transposer en droit français les exigences de la directive européenne 2015/849, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme.
2 Puisqu’adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale (amendements n° 1199 et 1352) et le Sénat et non modifiée depuis lors.
3 Un décret en Conseil d’Etat viendra préciser les conditions de cet accès.
4 Elle est prévue à l’article L. 561-2-2 du Code monétaire et financier.
5 Aux termes de l’article L. 233-3,1, 3°, une société est considérée comme en contrôlant une autre « lorsqu’elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les
décisions dans les assemblées générales de cette société »
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Auteurs

Alexandra Rohmert, avocat associé, département Corporate/Fusions & Acquisitions

Bruno Zabala, avocat counsel au sein du département de la doctrine juridique.

Loi Sapin II : nouvelles obligations d’identification et de déclaration des bénéficiaires effectifs dans les groupes de sociétés – Article paru dans Option Droit & Affaires le 26 octobre 2016