Loi « Sapin II » : quelles nouveautés en matière de contrats publics ?
La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin II », comporte un certain nombre de dispositions qui intéressent les contrats publics (1). La loi « Sapin II » devrait stabiliser provisoirement le droit de la commande publique en attendant la prochaine codification de celui-ci (en principe à droit constant, dans les deux ans à compter de la promulgation de la loi) mais aussi, auparavant, l’ordonnance qui doit modifier le droit des contrats domaniaux.
I – La ratification des nouvelles ordonnances et aménagements de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015, relative aux marchés publics
Parachevant la réforme de la commande publique, les articles 39 et 40 de la loi « Sapin II » ratifient les ordonnances n°s 2015-899 du 23 juillet 2015, relative aux marchés publics (l’ordonnance « marchés publics ») et 2016-65 du 29 janvier 2016, relative aux contrats de concession (l’ordonnance « concessions »), leur donnant ainsi une valeur législative pleine et entière.
L’article 39 de la loi « Sapin II » apporte quelques aménagements à l’ordonnance marchés publics, dont les plus notables (2) nous paraissent être les suivants.
1 – La suppression de la possibilité, qui était prévue à l’article 32 de l’ordonnance « marchés publics » (3), de présenter des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d’être obtenus
Cette mesure, proposée par les sénateurs, limite ainsi les dérogations possibles au principe de l’allotissement consacré dans l’ordonnance « marchés publics ».
2 – La suppression de l’obligation faite à l’acheteur de réaliser, pour les marchés publics supérieurs à 100 millions d’euros, avant le lancement de la procédure de passation, une évaluation préalable des différents modes de réalisation du projet.
3 – Le remplacement de l’obligation, mentionnée à l’article 45 de l’ordonnance « marchés publics », de produire des extraits de casier judiciaire pour prouver l’absence de condamnation pénale constitutive d’une interdiction de soumissionner par la production de simples attestations sur l’honneur
Cette modification était très attendue par les professionnels du secteur compte tenu des difficultés rencontrées par les acheteurs pour satisfaire cette exigence. En effet, si l’article 777-2 du Code de procédure pénale précise que bien que, « [l]orsqu’il s’agit d’une personne morale, la demande [du relevé intégral des mentions du casier judiciaire] est adressée au procureur de la République près le tribunal de grande instance dans le ressort duquel elle a son siège, par son représentant légal justifiant de sa qualité« , l’article 776-1 du même code nuance toutefois la possibilité d’une telle demande, en ne réservant l’obtention du bulletin n° 2 du casier judiciaire des personnes morales qu’à certaines catégories de personnes limitativement énumérées (4), au nombre desquelles ne figurent pas les entreprises concernées.
Du fait de l’impossibilité pour les entreprises candidates à un marché public d’obtenir directement leur extrait de casier judiciaire, la mise en application d’une telle exigence supposait donc que les acheteurs procèdent eux-mêmes à de telles demandes. Inévitablement, les délais de procédure s’en trouvaient allongés et cette situation a donné lieu à la contestation de plusieurs procédures de mise en concurrence (5), rendant nécessaire un assouplissement de l’ordonnance « marchés publics » sur ce point.
4 – L’introduction, en matière de marchés de partenariat, de l’obligation d’identifier une équipe de maîtrise d’oeuvre
L’introduction d’une telle obligation aligne le régime juridique des marchés de partenariat sur celui des marchés globaux sans financement privé, pour lesquels cette exigence a été introduite par la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016, relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (dite loi « CAP »), à l’article 35 bis de l’ordonnance « marchés publics ».
5 – L’harmonisation, à une nuance près qui nous paraît sans grande conséquence, de la rédaction des dispositions concernant l’indemnisation du titulaire d’un marché de partenariat en cas d’annulation, de résolution ou de résiliation du contrat par le juge de l’ordonnance « marchés publics » avec celles de l’ordonnance « concessions »
Le dispositif prévu par les nouvelles ordonnances conforte le principe de l’indemnisation intégrale des « frais financiers » (selon l’expression employée généralement par la jurisprudence) ou, comme les désigne de façon plus précise le texte de l’ordonnance modifiée, des coûts « afférents aux instruments de financement » et à leur rupture (en ce compris à notre avis, le cas échéant, ceux liés aux instruments de couverture de taux), à l’instar des autres « dépenses engagées conformément au contrat« . Les nouveaux textes prévoient également qu’une clause fixant les modalités d’indemnisation du titulaire en cas d’annulation, de résolution ou de résiliation juridictionnelles du contrat est réputée divisible de ses autres stipulations.
Ce dispositif s’inscrit dans la ligne de la décision du Conseil d’Etat du 11 mai 2016 concernant le partenariat public-privé relatif au nouveau Stade de Bordeaux (6) en confirmant la validité des « accords autonomes » -plus communément désignés « accords indemnitaires« – ou des clauses équivalentes insérées directement dans le contrat de partenariat.
A noter que les modifications apportées par la loi « Sapin II » sont applicables aux seuls marchés pour lesquels une consultation est engagée ou un avis d’appel à la concurrence est envoyé à la publication postérieurement à la publication de la loi au Journal officiel, soit après le 10 décembre 2016.
Il y a lieu de souligner qu’un projet de décret vise à mettre en cohérence les décrets d’application de l’ordonnance « marchés publics » en tenant compte notamment des modifications récentes apportées par les lois « CAP » et « Sapin II », mais également à corriger quelques scories. Ce projet de décret était en consultation publique jusqu’au 24 novembre 2016 et une synthèse des observations devrait prochainement être mise en ligne par la Direction des affaires juridiques des Ministères économiques et financiers.
II – La modernisation du droit de la domanialité publique
L’article 34 de la loi « Sapin II » autorise le Gouvernement à prendre, par voie d’ordonnance et dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la loi, certaines mesures concernant le droit des propriétés publiques.
Cette ordonnance portera notamment sur plusieurs points.
1 – La mise en concurrence des autorisations d’occupation temporaire du domaine public, contractuelles, mais également unilatérales
L’introduction de telles procédures paraît d’autant plus pertinente qu’une récente décision de la Cour de justice de l’Union européenne implique l’obligation d’attribution transparente d’autorisations d’occupation du domaine public destinées, en l’espèce, à l’exercice d’activités touristiques et récréatives (7).
Cette jurisprudence conduit aussi, dès aujourd’hui, à remettre en question la solution retenue, de façon trop générale, par le Conseil d’Etat dans la décision « Jean Bouin » au titre de laquelle ce dernier avait considéré « qu’aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe n’imposent à une personne publique d’organiser une procédure de publicité préalable à la délivrance d’une autorisation ou à la passation d’un contrat d’occupation d’une dépendance du domaine public, ayant dans l’un ou l’autre cas pour seul objet l’occupation d’une telle dépendance ; qu’il en va ainsi même lorsque l’occupant de la dépendance domaniale est un opérateur sur un marché concurrentiel » (8).
Il reviendra au Gouvernement de clarifier, par ordonnance, les autorisations d’occupation concernées par cette obligation et les règles procédurales de ce nouveau régime de mise en concurrence.
2 – La mise en concurrence des ventes de terrains par les établissements publics nationaux
Cette mesure a pour objet d’aligner le régime des cessions de terrains par les établissements publics sur celui applicable aux cessions de terrains par l’Etat (9). Les ventes des terrains des collectivités territoriales pourront également être concernées.
L’ordonnance portera aussi sur la sécurisation des opérations immobilières, y compris de façon rétroactive. Est ici visée, notamment, la lancinante question de la nullité des cessions irrégulières de biens appartenant au domaine public (en ce compris lorsqu’il est « virtuel » ou « anticipé »), qui est imprescriptible.
3 – La possibilité pour les collectivités territoriales de bénéficier de la faculté dite de « déclassement anticipé »
L’article 35 de la loi « Sapin II » modifie l’article L. 2141-2 du Code général de la propriété des personnes publiques en étendant aux collectivités territoriales, à leurs groupements et à leurs établissements publics la possibilité d’ores et déjà offerte à l’Etat et ses établissements publics de bénéficier de la faculté dite de « déclassement anticipé« , c’est-à-dire de pouvoir procéder à une vente même lorsque le bien objet de la vente est encore affecté à un service public ou à l’usage direct du public.
Dans ce cas, la loi prévoit que la cession donne lieu, sur la base d’une étude d’impact pluriannuelle tenant compte de l’aléa, à une délibération motivée de l’organe délibérant de la collectivité, du groupement de collectivités ou de l’établissement public local. De plus, pour ces personnes publiques, l’acte de vente doit, à peine de nullité, comporter une clause organisant les conséquences de la résolution de la vente. Les montants des pénalités inscrites dans la clause résolutoire de l’acte de vente doivent faire l’objet d’une provision.
III – L’abandon de la réforme du délit de favoritisme et la création d’une nouvelle agence anticorruption
Telle que proposée par les sénateurs, la réforme du délit de favoritisme avait pour objectif de « recentrer » ce délit en punissant les acheteurs publics qui privilégient délibérément une entreprise et non ceux qui commettent une erreur matérielle dans l’application du droit de la commande publique. Il s’agissait ainsi de reprendre une des préconisations du rapport de Jean-Louis Nadal, « Renouer la confiance publique » rendu en janvier 2015, revoyant la définition du délit pour préciser son caractère intentionnel « afin que les actes accomplis de bonne foi ou relevant d’une simple erreur ou omission n’entrent plus dans le champ de la répression« .
Bien que plébiscitée et malgré l’insistance des sénateurs, la réforme du délit de favoritisme a été rejetée par les députés en lecture définitive.
En revanche, les contrats publics sont, naturellement, directement concernés par l’une des mesures phares de la loi « Sapin II » : la création de l’Agence française anticorruption (articles 1er à 5 de la loi). Ce nouvel organisme remplacera l’actuel service central de prévention et de corruption qui avait été créé par la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite loi « Sapin I » et sera doté d’une commission des sanctions.
Cette nouvelle agence sera chargée d’aider « les autorités compétentes et les personnes qui y sont confrontées » -c’est-à-dire l’Etat, les collectivités territoriales et les lanceurs d’alerte- à prévenir et détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêts, de détournement de fonds publics et de favoritisme.
Dans ce cadre, l’Agence française anticorruption élaborera des recommandations et sera chargée du contrôle, de sa propre initiative, de la qualité et de l’efficacité des procédures mises en oeuvre au sein des administrations de l’Etat, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et des sociétés d’économie mixte, associations et fondations reconnues d’utilité publique.
En matière de commande publique, l’existence de cette agence est d’évidence susceptible de renforcer les contrôles qui s’exerceront sur la passation des contrats, et donc le risque de sanction. On peut également signaler, de façon plus indirecte, la création d’un répertoire numérique assurant, sous l’égide de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, l’information des citoyens sur les relations entre les « représentants d’intérêts » (10) et les pouvoirs publics.
La loi « Sapin II » parachève et approfondit la réforme de la commande publique initiée par l’adoption des ordonnances « marchés publics » et « concession ». Elle s’inscrit dans une démarche générale de renforcement de la transparence des procédures et des décisions des acheteurs publics. Le paysage des contrats publics s’en trouve ainsi simplifié et stabilisé, en attendant l’adoption du nouveau Code de la commande publique.
Notes
(1) Ces dispositions n’étaient pas directement concernées par le contrôle constitutionnel auquel le texte a été soumis et qui a fait l’objet d’une décision n° 2016-741 DC du Conseil constitutionnel rendue le 8 décembre 2016.
(2) Nous ne traiterons pas, notamment, des ajustements concernant les marchés des offices publics de l’habitat, ni ceux de certains concessionnaires d’autoroutes.
(3) « Les offres sont appréciées lot par lot sauf lorsque l’acheteur a autorisé les opérateurs économiques à présenter des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d’être obtenus« .
(4) Dont les préfets, administrations de l’Etat et collectivités locales saisis de propositions ou de soumissions pour des adjudications de travaux ou de marchés publics.
(5) Voir par exemple, adoptant des solutions disparates : TA Bastia, 24 août 2016, n° 1600918 ; TA Grenoble, 20 septembre 2016, n° 1604801 ; TA Toulouse, 5 août 2016, n° 1603203.
(6) CE, 11 mai 2016, n° 383768.
(7) CJUE, 14 juillet 2016, aff. C-458/14 et C-67/15.
(8) CE, 3 décembre 2010, n° 338272, 338527.
(9) C. gen. prop. pers. pub., art. R. 3211-2 : « L’aliénation d’un immeuble du domaine privé de l’Etat est consentie avec publicité et mise en concurrence, soit par adjudication publique, soit à l’amiable. Ces procédures ne sont pas applicables aux cessions d’immeubles mentionnées à l’article R. 3211-7. Le ministre chargé du domaine établit le cahier des charges type fixant les conditions générales des aliénations et détermine les modalités générales de la publicité préalable aux adjudications. Ces prescriptions ne sont pas applicables aux aliénations dont l’Etat confie la réalisation à des professionnels habilités« .
(10) Loi « Sapin II », art. 25 et suivants : les représentants d’intérêts, autrement dit les lobbyistes, sont certaines personnes « qui ont activité principale ou régulière d’influer sur la décision publique« .
Auteurs
François Tenailleau, avocat associé en droit public des affaires
Inès Tantardini, avocat en droit public des affaires