Clarification du régime de responsabilité pour soutien financier abusif
Selon une jurisprudence classique, tout dispensateur d’un crédit ruineux qui, en l’absence de perspective de développement de l’entreprise du débiteur, rend inéluctable l’effondrement de l’emprunteur, ou qui est accordé en pleine connaissance de la situation irrémédiablement compromise de l’emprunteur – de manière synthétique tout auteur conscient qu’il finance une activité sans viabilité – s’expose à voir sa responsabilité civile engagée sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.
Désireux, pour des raisons d’opportunité économique, de minimiser la menace qu’une telle règle pouvait faire planer sur ceux qui financent le développement, et parfois la restructuration des entreprises, le législateur de 2005 (loi de sauvegarde des entreprises) a inséré dans le code de commerce un nouvel article L. 650-1 à cet effet. Dans sa rédaction révisée issue de l’ordonnance du 18 décembre 2008, l’alinéa 1er de cet article dispose que : « Lorsqu’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d’immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci. ». L’imprécision des termes employés, et l’apparente rupture avec l’état antérieur du droit ont ouvert une période marquée par une insécurité juridique certaine.
Par plusieurs arrêts rendus en 2012, la Cour de cassation a commencé à clarifier le régime de la responsabilité pour soutien abusif depuis l’introduction de l’article L. 650-1 dans le Code de commerce.
Par un premier arrêt (Cass. Com., 27 mars 2012, n° 10-20.077), la Cour a précisé que les fournisseurs de concours ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis dans les cas de fraude, d’immixtion dans la gestion du débiteur ou de disproportion des garanties prises, que si les concours consentis sont en eux-mêmes fautifs. Autrement dit, la caractérisation de l’une des exceptions de l’article L. 650-1 est insuffisante à elle seule pour engager la responsabilité du dispensateur de crédits.
Puis, par deux décisions concernant la même société d’édition en liquidation judiciaire, la Cour a réaffirmé le principe suivant lequel tout cocontractant du débiteur est susceptible d’engager sa responsabilité pour soutien abusif (pas seulement les banques). Elle a également précisé les notions de (i) concours consentis et de (ii) fraude susceptible de faire échec à l’irresponsabilité de principe énoncée à l’article L. 650-1.
Les créanciers concernés
Dans l’espèce jugée le 16 octobre 2012 (Cass. Com, 16 oct. 2012, n° 11-22.993), le liquidateur judiciaire du fournisseur soutenait que l’article L. 650-1, et donc le principe d’irresponsabilité, était inapplicable à un cocontractant distributeur de la société en liquidation judiciaire considérant qu’il n’était pas un établissement de crédit. La Cour de cassation a approuvé les juges du fond d’avoir considéré que le terme générique de « créanciers », employé par l’article L. 650-1, ne se limite pas aux seuls établissements de crédit. Tout dispensateur de concours financiers peut ainsi bénéficier du principe d’irresponsabilité de l’article L. 650-1 sauf à ce qu’une des exceptions réservées par ce texte soit caractérisée.
Le liquidateur judiciaire cherchait encore à écarter le principe d’irresponsabilité en niant l’existence, en l’espèce, de concours consentis au sens de l’article L. 650-1. La Cour précise donc que ces concours sont susceptibles de revêtir toute forme, y compris celle d’un soutien « négatif » ou d’une abstention. En effet, c’est là le second apport de la décision précitée qui précise que la cour d’appel a exactement retenu que « des délais de paiement accordés par un cocontractant au débiteur constituaient des concours au sens de ce texte ».
La fraude
Par un arrêt du 2 octobre 2012 (Cass. Com, 2 oct. 2012, n° 11-23.213), la Cour de cassation a précisé la notion de fraude permettant de faire échec au principe d’irresponsabilité de l’article L. 650-1 : « la fraude en matière civile ou commerciale, ne se démarque guère de la fraude pénale et qu’il s’agit d’un acte qui a été réalisé en utilisant des moyens déloyaux destinés à surprendre un consentement, à obtenir un avantage matériel ou moral indu réalisé avec l’intention d’échapper à l’application d’une loi impérative ou prohibitive ». Faisant application de cette ébauche de définition, la Cour approuve les juges du fond d’avoir décidé que le fait, pour un établissement de crédit, de maintenir ses concours postérieurement à l’expiration de son préavis fixé lors de leur dénonciation et de ne pas clôturer son compte courant après l’expiration du préavis, contribuant ainsi au maintien artificiel de l’activité d’une société, ne constituaient ni une fraude à la loi, ni une fraude au droit des tiers.
Enfin, dans l’arrêt précité du 16 octobre 2012, le pourvoi du liquidateur judiciaire faisait grief à l’arrêt d’appel d’avoir rejeté son action en responsabilité contre le distributeur du débiteur. La Cour de cassation écarte l’argument. Usant de la même définition de la fraude, elle relève que les juges du fond ont pu retenir que le fait pour le distributeur d’accepter des traites parfaitement causées permettant indirectement l’octroi de délais de paiement et l’adoption d’un système de compensation n’était pas de nature frauduleuse. Les délais de paiement accordés au débiteur et les paiements par compensation effectués par le distributeur ne traduisaient pas la volonté délibérée de ce créancier de protéger ses intérêts personnels au détriment de ceux du débiteur.
La Cour de cassation concrétise ainsi les promesses d’irresponsabilité formulées en 2005, en définissant largement le domaine d’application de l’article L. 650-1 pour y inclure tous ceux fournissant un concours financier au débiteur et en délimitant strictement la fraude qui constitue l’une des trois exceptions susceptibles d’écarter le principe d’irresponsabilité.
A propos des auteurs
Daniel Carton, avocat. Spécialisé en droit commercial, son activité s’exercice dans les domaines du conseil, de la négociation, de l’assistance judiciaire et du contentieux tout particulièrement dans le domaine du droit des entreprises en difficulté (prévention et traitement des difficultés, restructurations d’entreprises).
Alexandre Bastos, avocat. Spécialisé en droit de l’entreprise en difficulté, il intervient en qualité de conseil (y compris intervention, assistance et représentation devant les Tribunaux et autres organes de procédure).
Guillaume Bouté, avocat en droit des contrats.
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