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La norme AFNOR au crible de la jurisprudence : comment les tribunaux appliquent-ils la norme AFNOR (2ème partie)

La norme AFNOR au crible de la jurisprudence : comment les tribunaux appliquent-ils la norme AFNOR (2ème partie)

Une fois jugée applicable au contrat ou aux travaux, objet(s) du litige, quel accueil les juges réservent-ils à la norme et comment l’appliquent-ils ?

L’examen de la jurisprudence montre que, de façon générale, la norme est appliquée strictement, sans égard pour les conséquences qu’entraîne cette application stricte.

On constate que, parfois, les juges vont, au travers de leur décision, interpréter la norme, lui donner un sens concret, voire donner une qualification ou un régime juridique à certaines de ses dispositions.

En revanche, la norme sera systématiquement écartée chaque fois qu’elle sera en opposition avec les dispositions de l’article 1793 du Code civil.

L’application stricte de la norme

C’est dans le domaine de l’établissement du DGD que les exemples d’application stricte de la norme sont les plus nombreux.

Ce sont les articles 19.5 et 16.6 de la norme qui fixent, de façon précise et cadencée, les modalités d’établissement du DGD. Chaque infraction à la procédure ainsi fixée exposera son auteur à une sanction consistant, généralement, à ne plus pouvoir discuter le mémoire définitif de l’entreprise et par voie de conséquence à devoir le payer intégralement.

Ainsi, dans un arrêt du 25 mars 2014 (pourvoi n°13-13953), la Cour de cassation approuve la Cour d’appel qui, ayant constaté que le maître de l’ouvrage avait signifié le décompte après l’expiration du délai prévu contractuellement, en a déduit que ce dernier était tenu de payer le montant du mémoire définitif de l’entrepreneur.

De même, dans un arrêt du 6 juillet 2011 (pourvoi n°10-10694), la 3e Chambre civile valide l’arrêt ayant retenu que le non-respect du délai de contestation de trente jours prévu à l’article 17.6.3 de la norme de septembre 1991 rendait forclose l’entreprise en sa contestation.

Dans une affaire où un particulier avait fait établir par son maître d’œuvre le mémoire définitif de l’entreprise qui ne l’avait pas contesté, la Cour suprême a cassé l’arrêt d’appel qui n’avait pas constaté l’envoi d’une mise en demeure préalable alors que l’article 19.5.4 de la norme ne permet au maître d’ouvrage de faire établir le mémoire définitif par le maître d’œuvre qu’après l’envoi d’une mise en demeure restée sans effet (Cass civ 3e, 25 mai 2011, pourvoi n°10-19271).

Un autre sujet d’application stricte de la norme concerne l’auteur ou le destinataire des notifications du mémoire définitif puis du décompte général.

Ainsi, la Cour de cassation casse un arrêt de cour d’appel qui n’a pas constaté que le maître de l’ouvrage avait notifié lui-même à l’entrepreneur le décompte général définitif conformément aux prescriptions du cahier des clauses administratives générales (Cass civ 3e, 26 novembre 2014, pourvoi 13-24888).

Dans le même esprit, la 3e Chambre civile approuve une cour d’appel pour avoir relevé que le maître d’ouvrage n’établissait pas avoir donné mandat au maître d’œuvre de le substituer dans l’obligation contractuelle de notifier le mémoire définitif et déduit que ce manquement aux obligations contractuelles obligeait le maître de l’ouvrage à payer à l’entrepreneur le solde du marché (Cass civ 3e, 5 octobre 1994, pourvoi n°92-18941).

La cour d’appel de Chambéry (13 septembre 2011, RG n°10/01586) a appliqué avec la même rigueur les dispositions de la norme à un maître d’ouvrage qui avait omis les pénalités de retard lors des échanges relatifs à l’établissement du DGD.

De la même façon, en matière d’établissement du compte prorata, la norme est appliquée de façon stricte et tout non-respect de celle-ci conduit au rejet des demandes (Cass civ 3e, 30 mars 1989, pourvoi n°87-14868 ; CA Douai, 17 juin 2008, RG n°07/02026).

En matière d’abandon de chantier, on peut citer l’arrêt de la cour d’appel de Bastia du 6 juin 2012 (RG n°10/00867) qui prononce la résiliation du marché aux torts exclusifs de l’entreprise qui n’a pas respecté les dispositions à valeur contractuelle de l’article 10. 3. 2. 1 de la norme AFNOR P 03-001 faisant défense à l’entrepreneur de suspendre les travaux pour défaut de paiement sans avoir prévenu par lettre recommandée le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre au moins quinze jours à l’avance.

Enfin, s’agissant de la diminution de la masse des travaux en cours de chantier, l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 27 septembre 2001 (RG n°1998-6206) illustre une nouvelle fois l’application stricte de la norme en rejetant les demandes au constat que l’entreprise n’a pas émis de réserves dans un délai de quinze jours à compter de la réception des ordres de service comme l’impose l’article 8.1.4.2 de la norme.

L’interprétation de la norme

L’établissement du DGD donne lui aussi des exemples d’interprétation de la norme.

Ainsi, deux arrêts de la Cour de cassation viennent préciser la notion d’ « observations » que l’entreprise doit émettre sur le décompte définitif établi par le maître d’œuvre.

Dans l’arrêt du 18 décembre 2007 (pourvoi n°06-14056), la Cour va indiquer que ces observations doivent être « suffisamment précises et explicites pour permettre au maître de l’ouvrage d’y répondre ».

Dans l’arrêt du 4 décembre 1991 (pourvoi n°90-13335, publié au Bulletin), la 3e Chambre civile valide l’arrêt d’appel qui a retenu que le fait de maintenir ses prétentions « sans fournir aucun motif, ne constituaient pas les « observations » prévues par l’article 16.6.3 de cette norme ».

Dans un arrêt du 12 juillet 1995 (pourvoi n°93-13243), la Cour de cassation va indiquer que la sanction érigée par la norme consistant à devoir payer le solde de travaux n’ayant pas été contesté dans les délais « ne constitue pas une clause pénal » qui aurait pu être réduite par le juge.

Mais tous les domaines de la norme sont susceptibles d’être interprétés, précisés ou clarifiés par les tribunaux.

Par exemple, il a été jugé que « l’article 21.2 de la norme NF P 03-001, en ce qu’il prévoit que « pour le règlement des contestations qui peuvent s’élever à l’occasion de l’exécution ou du règlement du marché, les parties doivent se consulter ou examiner l’opportunité de soumettre leur différend à un arbitrage ou pour refuser un arbitrage », n’institue pas une procédure obligatoire, préalable à la saisine du juge, dont le non-respect entraîne l’irrecevabilité de la demande«  (Cass civ 3e, 29 janvier 2014, pourvoi n°13-10833).

Dans son arrêt du 23 mai 2012 (pourvoi n°11-13011, publié au Bulletin), la Cour va retenir que constitue une « tromperie grave » permettant la résiliation de plein droit du marché « la défaillance totale et persistante de l’entreprise à faire respecter par ses sous-traitants les prescriptions en vigueur en matière de sécurité des ouvriers et de prévention des accidents, indispensables à la réalisation des ouvrages dans les règles de l’art ».

Dans une décision du 28 février 2012 (pourvoi n°10-28608), la 3e Chambre civile pose le principe que « les dispositions des articles 9.6.1 et 9.6.2 de la norme AFNOR P03001 relatives à l’indemnisation de l’entrepreneur par le maître de l’ouvrage en cas d’absence de démarrage des travaux à la date prévue ne mettent pas à la charge de ce maître de l’ouvrage une obligation d’indemniser dans tous les cas l’entrepreneur des conséquences de retards dus à d’autres entreprises ».

Un arrêt de la cour d’appel de Fort de France du 26 septembre 2008 (RG n°07/00889) juge à propos des intérêts moratoires fixés par la norme qu’ils présentent à la fois un caractère de clause pénale et d’indemnisation forfaitaire du préjudice subi du fait du non-respect des délais de paiement.

Dans cette liste des dispositions de la norme interprétées par les tribunaux, citons encore l’arrêt du 3 décembre 2002 (pourvoi n°01-12501) qui précise les modalités de calcul de la fraction du volume initial des travaux ouvrant droit à indemnité en cas de diminution de la masse des travaux ou celui du 28 janvier 1998 (pourvoi n°95-22125) donnant une indication de ce que ne constituent pas des dépenses d’intérêt commun au sens de la norme.

Enfin, on signalera (pour l’histoire) un bel exemple d’interprétation de la norme (dans son édition de 1948) se trouvant dans l’arrêt du 9 novembre 1982 (pourvoi n°81-12884) par lequel la Cour de cassation a fait sien l’arrêt de la Cour d’appel ayant retenu que les termes « s’il est reconnu responsable » figurant dans l’article 1-223 ne doivent pas être entendus comme impliquant une faute de l’entrepreneur mais signifiant que la responsabilité de celui-ci devra être retenue des lors que les désordres causés aux immeubles voisins lui sont imputables.

La mise à l’écart de la norme en cas de violation de 1793 du Code civil

Autant les Tribunaux s’attachent à appliquer la norme chaque fois qu’elle sera applicable, autant la jurisprudence de la Cour de cassation est constante pour écarter la norme lorsque son application viendra faire échec aux dispositions de l’article 1793 du code civil.

La norme sera ainsi chaque fois écartée lorsque, notamment par l’effet des dispositions de la procédure d’établissement du DGD, le maître d’ouvrage viendrait à devoir payer des travaux supplémentaires pour lesquels les conditions de l’article 1793 du code civil n’ont pas été respectées.

Le dernier exemple en date de cette position constante de la cour de Cassation est son arrêt du 4 mai 2016 (pourvoi n°14-26610) qui casse un arrêt de Cour d’appel ayant condamné un maître d’ouvrage à payer des travaux supplémentaires faute d’avoir contesté le mémoire définitif dans les délais :

« Qu’en statuant ainsi, alors que, lorsqu’un entrepreneur s’est chargé de la construction à forfait d’un bâtiment, il ne peut demander aucune augmentation de prix si les changements ou augmentations n’ont pas été autorisés par écrit et le prix convenu avec le propriétaire et que les règles établies par la norme NF P 03.001 ne peuvent prévaloir sur les dispositions légales, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Le 7 septembre 2010 (pourvoi n°09-69523), la Cour avait ainsi exprimé cette règle et cassé un arrêt de Cour d’appel :

« Qu’en statuant ainsi, alors que les règles établies par la norme NFP 03.001 ne peuvent prévaloir sur les dispositions légales et que la société NLA contestait avoir commandé des travaux supplémentaires et devoir le montant d’une réclamation, sans relever l’existence d’une autorisation écrite donnée par cette dernière et d’un prix convenu avec elle, tout en constatant que le marché avait été conclu pour un marché global et forfaitaire, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

Auteur

Jean-Guillaume Monin, Avocat associé, CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon, spécialiste en Droit immobilier, Qualification spécifique en Droit de la construction

La norme AFNOR au crible de la jurisprudence : comment les tribunaux appliquent-ils la norme AFNOR (2ème partie) – Article paru dans Le Moniteur n°5899 le 9 décembre 2016