Indemnisation du licenciement et égalité devant la loi
31 janvier 2017
La jurisprudence sur le principe d’égalité devant la loi est au cœur du contrôle de constitutionnalité. Au terme d’une longue évolution de 1973 à 1997, le Conseil constitutionnel a adopté un considérant de principe aussi abstrait que puissant qui, dans sa dernière formulation, dispose : « Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit » (décision n°97-388 DC du 20 mars 1997).
Le Conseil constitutionnel a fait une application récente de ce principe dans deux affaires d’indemnisation d’un licenciement économique sans cause réelle et sérieuse. Ces deux décisions apparemment contradictoires (1), ne le sont pas en réalité (2) et montrent que le critère essentiel du contrôle exercé par le Conseil est celui de l’adéquation de la mesure à l’objet de la loi (3).
1. Des décisions apparemment contradictoires
Le risque d’un contentieux devant le Conseil de Prud’hommes en cas de licenciement et d’une condamnation pécuniaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est considéré comme l’un des principaux freins à l’embauche, notamment dans les PME.
Aussi la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron, avait prévu d’instaurer un barème obligatoire d’indemnisation comportant des indemnités minimum et maximum exprimées en mois de salaire qui variaient en fonction, d’une part, de l’ancienneté du salarié (de moins de deux ans à plus de dix ans) et, d’autre part, de la taille de l’entreprise (entreprise de moins de 20 salariés ; de vingt à trois cent salariés ; de plus de trois cent salariés).
Le Conseil constitutionnel a estimé que cette différence de traitement entre les salariés répondait à un motif d’intérêt général : « En prévoyant que les montants minimal et maximal de l’indemnité accordée par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse sont fonction croissante des effectifs de l’entreprise, le législateur a entendu, en aménageant les conditions dans lesquelles la responsabilité de l’employeur peut être engagée, assurer une plus grande sécurité juridique et favoriser l’emploi en levant les freins à l’embauche ; qu’il a ainsi poursuivi des buts d’intérêt général ».
Mais il a estimé « que si le législateur pouvait, à ces fins, plafonner l’indemnité due aux salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse, il devait retenir les critères présentant un lien avec le préjudice subi par le salarié ; que si le critère de l’ancienneté dans l’entreprise est ainsi en adéquation avec l’objet de la loi, tel n’est pas le cas du critère des effectifs de l’entreprise ; que par suite la différence de traitement institué par des dispositions contestées méconnaît le principe d’égalité devant la loi » (Décision n°2015-715 du 5 août 2015).
Il a donc estimé que si l’ancienneté était un critère pertinent pour définir un barème d’indemnisation impératif, tel n’était pas le cas de la taille de l’entreprise.
A la suite de cette décision, une QPC a été posée par la société Good Year Dunlop France mettant en cause les dispositions combinées de l’article L 1235-3 et du 2° de l’article L1235-5 selon lesquels le montant minimum de l’indemnité due en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ne peut être inférieur à six mois de salaire, dans la mesure où cette règle n’est pas applicable aux entreprises de moins de onze salariés, l’employeur devant alors indemniser le préjudice subi. A priori, cette affaire mettait en cause, comme la précédente, le critère de l’effectif de l’entreprise pour fixer le montant de l’indemnité due en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le Conseil a d’ailleurs rappelé dans sa décision que « Au regard des règles applicables à l’indemnisation du préjudice causé par un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les entreprises, quels que soient leur taille, et leurs salariés, ne sont pas placées dans une situation différente ».
Pourtant, le Conseil a rejeté la QPC.
Comme dans l’affaire précédente, il a admis l’existence d’un motif d’intérêt général : « en prévoyant que le montant minimal de l’indemnité accordée par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse est applicable aux seuls licenciements dans les entreprises d’au moins onze salariés, le législateur a entendu éviter de faire peser une charge trop lourde sur les entreprises qu’il a estimées économiquement plus fragiles, en aménageant les conditions dans lesquelles la responsabilité de l’employeur peut être engagée. Il a ainsi poursuivi un but d’intérêt général.
Mais il a validé les dispositions contestées en estimant que dans la mesure où elles « ne restreignent pas le droit à réparation des salariés, le législateur pouvait limiter le champ d’application de cette indemnité minimale en retenant le critère des effectifs dans l’entreprise. Si pour les entreprises d’au moins onze salariés, cette indemnité minimale a pour objet d’éviter les licenciements injustifiés, pour les entreprises de moins de onze salariés, l’indemnité correspondant au seul préjudice subi, fixé sans montant minimal, apparait en elle-même suffisamment dissuasive. Le critère retenu est donc en adéquation avec l’objet de la loi qui consiste à dissuader les employeurs de procéder à des licenciements sans cause réelle et sérieuse » (Décision n°2016-582 QPC du 13 octobre 2016).
Les deux décisions sont donc apparemment contradictoires, puisque l’une refuse toute modulation des indemnités versées en cas de licenciements sans cause réelle et sérieuse en fonction de la taille de l’entreprise, alors que l’autre l’admet. C’est si vrai que le Conseil constitutionnel, qui avait déjà statué sur l’article L1235-3 du Code du travail, à l’occasion de sa codification, a estimé que sa décision du 5 août 2015 constituait un changement des circonstances de droit justifiant le réexamen de ces dispositions.
2. Au-delà de cette apparente contradiction, il n’y en a pas en réalité, dans la mesure où l’objet de la loi et ses destinataires étaient différents dans les deux affaires :
- dans l’affaire de 2005, l’objet essentiel de la loi était de plafonner les indemnités versées en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse et donc de limiter le droit à réparation des salariés.
De ce point de vue, il est clair que le critère de l’ancienneté est pertinent : plus un salarié est ancien dans l’entreprise, plus le préjudice subi en cas de licenciement est important. C’est d’ailleurs un principe consacré tant par le Code du travail que par les conventions collectives en ce qui concerne l’indemnité de licenciement stricto sensu.
En revanche, du point de vue du préjudice subi par le salarié, il n’y a pas de corrélation entre la taille de l’entreprise et le préjudice subi : pour un salarié qui se retrouve au chômage, le préjudice est le même quelle que soit la taille de l’entreprise. Comment justifier que, pour deux salariés qui ont l’un et l’autre dix ans d’ancienneté, l’indemnité de licenciement varie de douze à vingt-sept mois c’est-à-dire de plus du double en fonction de la taille de l’entreprise ? En réalité, le critère des effectifs de l’entreprise s’apparentait à une différenciation selon la capacité contributive des entreprises qui ne pouvait être retenue pour déterminer le préjudice subi par les salariés.
Il n’y avait donc pas d’adéquation – ou de relation directe – entre l’objet de la loi – fixer les règles d’indemnisation des salariés en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse – et le dispositif retenu – un barème variant en fonction de la taille de l’entreprise ; - dans l’affaire de 2016, au contraire, l’objet de la loi était de déterminer un plancher d’indemnisation destiné à dissuader les employeurs de licencier.
Il résulte, en effet, des travaux préparatoires de la loi du 13 juillet 1973 sur le licenciement individuel que, dans l’esprit du législateur, le plancher de six mois d’indemnité de salaire avait un caractère dissuasif et présentait le caractère d’une sanction vis-à-vis des employeurs qui licencient.
Par rapport à cet objectif, le Conseil constitutionnel a jugé légitime l’exclusion du champ d’application de cette mesure des entreprises de moins de onze salariés pour encourager l’emploi dans les PME, d’autant plus que les salariés auront droit, en tout état de cause, à la réparation intégrale de leur préjudice.
Ainsi, dans un cas l’objet de la mesure était de plafonner les indemnités des salariés, objet par rapport auquel le critère de la taille de l’entreprise n’était pas pertinent, alors que dans l’autre cas, il s’agissait d’exempter d’un plancher d’indemnisation les entreprises de moins de onze salariés pour retenir un autre mode d’indemnisation.
L’une des différences fondamentales entre les deux affaires, au-delà de la différence d’objet et de destinataires de la loi, est en effet que, dans un cas, la mesure entraîne un plafonnement de l’indemnité due au salarié, alors que, dans l’autre, les salariés ont droit à une réparation intégrale de leur préjudice.
3. En conclusion, l’examen de ces deux affaires montre que dans la mise en œuvre du principe d’égalité par le Conseil Constitutionnel, la condition essentielle est celle selon laquelle la mesure contestée, qu’elle soit justifiée par une différence de situation ou par un motif d’intérêt général, doit être en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’ établit :
- c’est parce que le plafonnement des indemnités de licenciement en fonction de la taille des entreprises n’était pas en rapport direct avec l’objet de la loi, qui était de fixer le régime d’indemnisation du préjudice des salariés en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, que le Conseil constitutionnel a annulé la mesure ;
- c’est parce que l’exemption des entreprises de moins de onze salariés du plancher de six mois de l’indemnisation du licenciement, compensée par la réparation du préjudice subi, est en rapport direct avec l’objet de la loi qui est de fixer des règles dissuadant les entreprises de licencier que le Conseil constitutionnel l’a admis.
Auteur
Olivier Dutheillet de Lamothe, avocat associé, Département social.
Indemnisation du licenciement et égalité devant la loi – Article paru dans Les Echos Business le 30 janvier 2017
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