Evolution du statut protecteur en cours de procédure de rupture du contrat de travail d’un salarié protégé : une mise au point s’impose
16 février 2017
A quel moment de la procédure de rupture du contrat de travail d’un salarié doit-on apprécier si celui-ci bénéficie ou non d’une protection imposant le respect de la procédure spéciale de licenciement exorbitante du droit commun ?
Si cette question ne soulève aucune difficulté particulière dans le cas où le mandat du salarié court à compter de l’engagement de la procédure de rupture et jusqu’à son terme, quid d’un salarié qui perd ou qui acquiert ce statut protecteur en cours de procédure ?
Tour d’horizon des dernières jurisprudences en la matière.
La demande de résiliation judiciaire faite par un salarié qui n’acquiert son mandat qu’en cours d’instance judiciaire ne peut produire les effets d’un licenciement nul.
Selon une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation, la résiliation judiciaire du contrat de travail d’un salarié protégé aux torts de l’employeur produit les effets d’un licenciement nul.
Le salarié peut alors prétendre à une indemnité pour violation du statut protecteur, égale à la rémunération qu’il aurait dû percevoir jusqu’à l’expiration de la période de protection en cours au jour de la demande (cass. Soc. 4 mars 2009, n°07-45.344), néanmoins limitée à 30 mois de salaire (Cass. soc. 15 avril 2015, n°13-24.182 et 13-27.211), outre les indemnités de rupture et une indemnité complémentaire de rupture pour licenciement nul, égale à six mois de salaire.
La Cour de cassation en avait alors déduit, certes timidement, dans un arrêt de formation restreinte non publié, que dès lors qu’au jour de la demande le salarié ne bénéficiait d’aucune protection, la résiliation judiciaire devait s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et non en un licenciement nul, quand bien même si, au jour où le juge statuait, le salarié avait acquis une telle protection (cass. Soc. 28 octobre 2014, n°13-19.527).
C’est cette position que la Cour de cassation a choisi de réitérer dans son arrêt du 26 octobre 2016, confirmant que l’acquisition d’une protection en cours de procédure de résiliation judiciaire n’a aucune incidence sur la qualification de la rupture du contrat de travail. Le licenciement ne pourrait donc pas être considéré en l’espèce comme nul mais comme ne reposant pas sur une cause réelle et sérieuse.
Suivant le même raisonnement, elle considère également que si la période de protection est écoulée avant que le juge ne statue, le salarié ne peut plus obtenir l’indemnisation « de la période de protection », puisque précisément, il l’a déjà effectivement perçue (cass. Soc. 23 mars 2016, n°14-26.105).
C’est ainsi que si un salarié peut acquérir une protection contre le licenciement en cours de procédure, il peut également la perdre …
L’inspecteur du travail doit désormais se prononcer sur le licenciement d’un salarié qui était protégé au moment de l’envoi de la convocation à entretien préalable, même si cette protection a ensuite pris fin.
Jusque-là , le Conseil d’Etat considérait que lorsque la protection du salarié avait expiré au jour où l’Inspecteur du travail devait se prononcer, ce dernier n’avait d’autres choix que de se déclarer incompétent (CE, 13 mai 1992, n°110184).
Dans le même temps, la Cour de cassation estimait que l’employeur ne pouvait se soustraire à la saisine de l’Inspecteur du travail, dès lors que le salarié était protégé au moment de la convocation à entretien préalable (cass. Soc. 26 mars 2013, n°11-27.996).
Aussi l’employeur était-il confronté à une obligation pour le moins originale : celle de solliciter l’autorisation de licencier un salarié qui était protégé au moment de la convocation à entretien préalable, mais dont la protection avait pris fin par la suite, tout en sachant que l’Inspecteur du travail ne pourrait se prononcer sur le licenciement et se déclarerait incompétent.
C’est pour remédier à cette incohérence que le Conseil d’Etat a décidé, dans un arrêt du 23 novembre 2016, d’opérer un revirement de jurisprudence, mettant ainsi fin à une position quelque peu absurde mais qui durait néanmoins depuis près d’un quart de siècle (CE, 23 novembre 2016, n°392059).
Ainsi, et désormais, l’Inspecteur du travail, saisi d’une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié dont la protection a pris fin le jour où il statue, sera en tout état de cause tenu de se prononcer, et donc d’autoriser ou non ledit licenciement, dès lors que ce salarié était protégé au moment de l’envoi de la convocation à entretien préalable.
De la même manière, l’employeur sera également tenu de saisir l’Inspecteur du travail d’une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié qui ne bénéficie plus d’aucune protection, au moment où son licenciement est envisagé mais dont les faits qu’il lui reproche ont été commis à une époque où il était protégé (cass. Soc. 27 juin 2007, n°06-40399), sauf à démontrer qu’il n’en a eu une connaissance exacte qu’après l’expiration de cette période de protection (cass. Soc. 9 février 2012, n°10-19.686).
Reste que la Cour de cassation devra s’aligner sur la nouvelle position du Conseil d’Etat, afin de clarifier définitivement les règles en la matière.
La Cour de cassation avait en effet, en dernier lieu, appliqué à la lettre la jurisprudence du Conseil d’Etat du 13 mai 1992 précitée, en considérant que l’employeur retrouvait « le droit de licencier sans autorisation de l’autorité administrative » si la protection légale du salarié avait pris fin avant que l’Inspecteur du travail ne statue, faisant alors fi du refus de ce dernier d’autoriser le licenciement du salarié concerné (cass. Soc. 6 janvier 2016, n°14-12.717).
Cette position ne parait à présent plus tenable et d’ici là la prudence s’impose pour les employeurs qui devront en tout état de cause saisir l’Inspecteur du travail et attendre sa décision, laquelle interviendra à présent nécessairement.
Auteur
Marie-Laure Tredan, avocat en droit du travail, droit pénal du travail et droit de la protection sociale
Louise Raynaud, avocat en droit social
Evolution du statut protecteur en cours de procédure de rupture du contrat de travail d’un salarié protégé : une mise au point s’impose – Article paru dans Les Echos Business le 16 février 2017
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