Rupture conventionnelle. Vers la fin des démissions ?
15 novembre 2013
Les entreprises sont confrontées à un accroissement des demandes de rupture de contrat négociée comme alternative à la démission. Point d’arrêt sur les outils utilisés par les salariés et les moyens dont disposent les entreprises pour en limiter les effets.
Rupture conventionnelle, prise d’acte, demande de résiliation judicaire, abandon de poste sont autant d’outils entre les mains des salariés comme des alternatives à la démission pour essayer de quitter leur entreprise en bénéficiant d’indemnités et/ou une prise en charge par le régime d’assurance chômage.
Le recours à ces différents outils est croissant : les dirigeants d’entreprise et, en particulier, les directeurs des ressources humaines sont en effet désormais fréquemment confrontés à des demandes de salariés de négocier leur départ, alors même que cette volonté n’est pas nécessairement partagée et que les intéressés ont trouvé une solution de repositionnement externe.
Si les employeurs peuvent dans certains cas être tentés de céder à ces demandes, ou être tout simplement contraints de les subir, il n’existe bien évidemment aucun droit général pour les salariés de partir de leur entreprise en contrepartie du versement d’une indemnité et avec une prise en charge par le régime d’assurance chômage.
La diversité des outils au bénéfice des salariés
A cet égard, il est tout d’abord acquis qu’il n’existe aucun droit à la rupture conventionnelle. Ce dispositif requiert en effet une rencontre de volonté des deux parties qui se concrétise au moment de la signature de la convention et qui peut être remise en cause par l’exercice du droit de rétractation qui est ouvert dans les 15 jours de cette signature tant à l’employeur qu’au salarié, et ce sans nécessité de la moindre motivation.
Dans le même sens, la multiplicité du recours aux ruptures conventionnelles dans une entreprise (qui n’est au demeurant pas toujours vertueuse lorsque les salariés ne sont systématiquement pas remplacés), ne parait pas de nature à pouvoir créer un quelconque usage au bénéfice des autres salariés lorsque leur tour viendra de solliciter un départ.
Dans ce contexte, les salariés éconduits ou sans illusion quant à leur éventuelle demande de départ dans le cadre d’une rupture conventionnelle peuvent être parfois tentés de recourir à des dispositifs alternatifs dont la finalité est de faire supporter à l’employeur la responsabilité de la rupture du contrat de travail.
Le premier de ces dispositifs est celui de la résiliation judiciaire. Il consiste à solliciter du juge la rupture du contrat au motif que l’employeur a commis des manquements à ses obligations légales (défaut de paiement d’éléments de rémunération, absence de fourniture de travail correspondant au poste occupé, manquement à l’obligation de sécurité, etc.).
Le second, plus adapté lorsque le salarié a retrouvé une solution extérieure car il permet un départ immédiat, est le mécanisme de la prise d’acte. Partant du même constat d’un manquement de l’employeur à ses obligations à l’égard du salarié, celui-ci ne saisit pas le juge immédiatement mais adresse un courrier (directement ou par l’intermédiaire de son avocat) par lequel il informe l’employeur de la rupture de son contrat en énonçant ses griefs à son endroit. L’employeur est alors obligé de tirer les conséquences de la rupture du contrat en remettant au salarié ses documents de fin de contrat. Le salarié peut ensuite saisir la juridiction prud’homale qui décidera, selon que les griefs sont ou non fondés, si la rupture doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (avec les indemnités correspondantes) ou d’une démission (avec alors l’obligation pour le salarié d’indemniser l’employeur du préavis non effectué).
Dans les deux cas, il importe évidemment que le salarié puisse établir de façon circonstanciée des manquements substantiels – et déterminants du départ – de l’employeur à ses obligations légales.
Or ces éléments peuvent être parfois trouvés sans grande difficulté dans le maquis d’une réglementation sociale particulièrement complexe et contraignante pour les employeurs.
Une marge de manœuvre parfois limitée des employeurs
Face à ce type de situation, les marges de manœuvre des employeurs sont principalement dépendantes des deux éléments suivants :
- le premier concerne le respect de la réglementation sociale. Si celui-ci semble aller de soi, la pratique témoigne des difficultés qui peuvent résulter d’un mode collaboratif fondé sur la confiance et parfois insuffisamment respectueux des règles, notamment en matière de durée du travail. Les tolérances accordées peuvent en effet se retourner à tout moment contre l’employeur alors même que celles-ci reposaient sur un consensus avantageux pour les deux parties.
- le second élément permettant de limiter les risques afférents à des demandes de départs dans des conditions litigieuses a trait à ce que l’on pourrait qualifier de « courage managérial ». Ce point est à l’évidence le plus délicat car les départs conflictuels sont souvent la résultante de situations qui n’ont pas été correctement gérées en amont, via des évaluations professionnelles convenablement (et sincèrement) réalisées ou encore via la formalisation écrite et régulière de différents griefs récurrents à l’adresse du salarié concerné. Cette faible culture de l’écrit en entreprise en France, au motif qu’il est perçu comme une marque de défiance (à tort lorsque ces écrits sont faits avec mesure et discernement), dessert à l’évidence les employeurs lorsque des conflits surgissent et aboutissent à des départs litigieux.
Le retour à l’obligation de loyauté ?
Le recours croissant à ces modes de rupture alternatifs à la démission par des salariés désireux de quitter leur emploi ne parait en définitive pas pouvoir s’expliquer par le seul manquement par les employeurs à leurs obligations légales. Il illustre également un certain délitement des liens de confiance entre les salariés et les entreprises. Un retour de la croissance suffirait-t-il à inverser cette tendance ? Il est malheureusement permis d’en douter.
A propos de l’auteur
Pierre Bonneau, avocat associé. Il intervient en conseil et contentieux en droit du travail, droit pénal du travail et droit de la protection sociale. Il détient une forte expérience notamment dans le domaine de la représentation du personnel et dans la gestion des relations sociales : assistance quotidienne de nombreuses entreprises et organismes dans ce domaine, gestion de contentieux divers (délit d’entrave, discrimination…), mise en place d’accords, formations régulières (actualité sociale, négociation collective…). Son activité consiste plus généralement à conseiller au quotidien les entreprises sur les aspects juridiques des relations individuelles et collectives de travail ainsi qu’en matière de protection sociale.
A lire également
Information des salariés sur les opérations de cession : les retouches de la l... 27 octobre 2015 | CMS FL
Rupture conventionnelle et transaction : une délicate combinaison... 5 juillet 2013 | CMS FL
La nullité de la rupture conventionnelle comme condition de l’exonération fi... 12 octobre 2021 | Pascaline Neymond
Actions gratuites : le choc de complexification... 17 janvier 2017 | CMS FL
La consultation du CSE en cas de cession sous étroit contrôle judiciaire... 21 juin 2021 | Pascaline Neymond
Rupture conventionnelle : montant minimum de l’indemnité spécifique de r... 7 mai 2021 | Pascaline Neymond
Contestation d’un référendum d’entreprise ratifiant un accord coll... 25 juin 2021 | Pascaline Neymond
Infractions routières et véhicule de fonction : la fin de l’impunité... 21 décembre 2016 | CMS FL
Articles récents
- Rapport de durabilité : la nouvelle obligation de consultation du CSE entre en vigueur le 1er janvier 2025
- Statut de lanceur d’alerte : le Défenseur des droits et la jurisprudence précisent ses contours
- Enquêtes internes : des règles en constante évolution
- Pas de co-emploi sans immixtion dans la gestion économique et sociale de la société : illustration en présence d’une société d’exploitation
- Fixation du plafond de la sécurité sociale pour 2025
- Un salarié licencié pour harcèlement sexuel ne peut se prévaloir du phénomène «#Metoo»
- Régimes de retraite des dirigeants : prestations définies versus actions gratuites
- SMIC : Relèvement du salaire minimum de croissance au 1er novembre 2024
- Inaptitude et reclassement : c’est au salarié qu’il appartient de rapporter la preuve d’une déloyauté de l’employeur
- Conférence – Gestion des fins de carrière : que font les entreprises et quelles solutions à dispositions ?
Soumettre un commentaire