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Soultes et échanges de titres : la loi met fin à un «havre fiscal»

Soultes et échanges de titres : la loi met fin à un «havre fiscal»

L’appréhension de liquidités sans fiscalité immédiate sous forme de soulte à l’occasion d’un échange de titres est remise en cause : les plus-values correspondantes sont désormais imposées à concurrence du montant de la soulte. Cette évolution législative s’inscrit dans un contexte où l’Administration engage des procédures de rectification à l’encontre de certaines soultes en recourant à la procédure d’abus de droit.

Les plus-values d’échange de titres réalisées par des particuliers au profit de sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés à l’occasion d’opérations d’apport ou de fusion bénéficient, en principe, d’un différé d’imposition aussi longtemps que les titres reçus en échange sont conservés.

En l’état actuel de la législation, selon qu’à l’issue de l’apport la société bénéficiaire de l’opération est ou non contrôlée par l’apporteur, la plus-value est soumise soit au régime du report d’imposition de l’article 150-0 B ter du Code général des impôts, soit au régime du sursis d’imposition de l’article 150-0 B du CGI. Lorsque les titres apportés sont ceux d’une société « translucide » (non soumise à l’IS) à prépondérance immobilière, c’est en toute occurrence le régime du sursis d’imposition de l’article 150 UB qui s’applique.

Sursis et report d’imposition se distinguent principalement en ce que l’échange de titres en sursis est une simple opération intercalaire réputée inexistante sur le plan fiscal : le prix de revient des titres B reçus en échange correspond au prix d’acquisition des titres A apportés, de telle sorte que la vente des titres B ne dégagera qu’une seule plus-value. De même, la durée de détention qui détermine l’abattement applicable à la plus-value est appréciée depuis la date d’acquisition des titres A.

En revanche, le report d’imposition fige, au moment de l’apport, un montant de plus-value et un taux d’imposition futur. Dans ce cas, la cession des titres reçus en échange génère deux résultats de cession distincts : la plus-value mise en report et la plus ou moins-value afférente aux titres reçus

Le traitement fiscal des soultes

Ces différés d’imposition s’appliquent également lorsqu’une soulte en numéraire rémunère partiellement l’apport, à condition que son montant soit limité au maximum à 10% de la valeur nominale des titres reçus en échange. Jusqu’à récemment, la plus-value d’échange bénéficiait intégralement du différé d’imposition même à hauteur du montant de la soulte, ce qui constituait l’une des rares occasions d’obtenir des liquidités d’une société sans fiscalité immédiate.

Exemple : un contribuable apportait des titres A d’une valeur de 110 acquis pour 90, et recevait en échange des titres B d’une valeur nominale de 100 et une soulte de 10. Tant la plus-value d’apport de 20 que la soulte étaient non imposables immédiatement.

La loi de finances rectificative pour 2016 a mis fin à ce «havre fiscal» : depuis le 1er janvier 2017, les plus-values d’apport ou d’échange de titres qui bénéficient d’un différé d’imposition sont en effet taxables « à concurrence du montant de [la] soulte ».

Ainsi, lorsque la soulte est d’un montant inférieur à la plus-value, l’intégralité de la soulte est taxable et le reliquat de plus-value bénéficie du différé d’imposition.

Lorsqu’au contraire le montant de la soulte est supérieur à la plus-value d’échange, la totalité de la plus-value est immédiatement imposable et une fraction de la soulte échappe dans l’immédiat à l’impôt.

Ainsi revient-on au principe de taxation des soultes qui s’appliquait avant le 1er janvier 2000. Cependant, à la différence du régime d’imposition de l’époque, les plus-values sont, depuis le 1er janvier 2013, soumises au barème progressif de sur le revenu (IR) moyennant le bénéfice d’un abattement d’assiette pour durée de détention. La question se pose donc de savoir comment s’articule le principe d’imposition de la soulte et le bénéfice de l’abattement. Plusieurs conceptions peuvent être imaginées dans le silence de la loi.

Première solution : le montant imposable de la soulte s’apprécierait en fonction du montant de la plus-value d’apport après abattement pour durée de détention.

Exemple : Un abattement de 65% s’applique sur la plus-value de 20, dont le montant taxable s’établit ainsi à 7. La soulte de 10 ne serait donc taxable qu’à concurrence de 7.

Deuxième solution : le montant de la soulte imposable s’apprécierait en fonction du montant de la plus-value avant abattement pour durée de détention.

Exemple : La plus-value étant de 20, le montant taxable de la soulte serait de 10.

Mais alors, l’abattement s’applique-t-il de sorte que l’assiette imposable soit réduite de 10 à 3,5 ?

Dans le cas où cette deuxième solution prévaudrait, l’application de l’abattement devrait à notre avis nécessairement être admise puisque la soulte soumise à l’IR n’est rien d’autre qu’une fraction de la plus-value d’apport éligible à l’abattement.

Il nous semble que cette deuxième solution est la plus cohérente au regard de l’articulation et de l’esprit des textes.

On attend avec intérêt le point de vue de l’Administration sur ces questions.

Notons enfin que dans le cadre du sursis d’imposition, le traitement réservé à la soulte peut impacter le résultat de la vente ultérieure des titres B reçus à l’échange, fixé par référence au prix d’acquisition des titres A apportés. Ce prix d’acquisition doit en effet être minoré du montant de la soulte reçue qui n’a pas fait l’objet d’une imposition au titre de l’année d’échange1. La franchise fiscale dont bénéficie la fraction de la soulte supérieure au montant de la plus-value d’échange n’est donc que temporaire, sauf à ce que les titres B fassent l’objet d’une transmission à titre gratuit (donation ou succession) puisque ces opérations peuvent avoir un effet de «purge» des plus-values.

Les anciennes soultes, siège d’abus de droit ?

L’évolution législative met donc un terme à la tentation que certains ont pu avoir de réaliser des opérations d’échange de titres avec soulte non imposée qui, a posteriori, sont apparues aux yeux de l’Administration fiscale comme guidées par la volonté exclusive d’obtenir des sommes en franchise d’impôt.

Au vu des rectifications engagées, l’Administration paraît distinguer deux cas.

Lorsque c’est l’opération même d’apport de titres qui lui apparaît dépourvue de toute motivation autre que fiscale, l’Administration a tendance à remettre complètement en cause le bénéfice même du régime de différé d’imposition et à soumettre à l’impôt l’intégralité de la plus-value d’échange.

Lorsqu’en revanche l’Administration constate que l’opération d’apport a répondu à un objectif économique ou patrimonial tangible, mais estime que la perception d’une soulte manque de justification économique, l’Administration n’impose le contribuable qu’à hauteur de la soulte. Elle considère que le contribuable a appréhendé des réserves de la société dont les titres ont été apportés, et le taxe comme sur un dividende mais sans le bénéfice de l’abattement de 40% (il est intéressant de relever que la réforme législative soumet les soultes au régime des plus-values). Le Comité de l’abus de droit fiscal a eu récemment l’occasion de valider une première fois cette seconde approche2.

Toutefois, aux termes de l’article L. 64 du LPF, l’administration fiscale n’est en droit d’écarter que les « actes » constitutifs d’un abus de droit. Or, seule l’opération d’apport considérée dans son ensemble, en ce compris la soulte, constitue un « acte », à la différence de la soulte qui procède d’une simple modalité de réalisation de l’acte d’apport autorisée par le code de commerce et par le CGI. En conséquence, la lettre de la loi nous paraît commander que soit écarté le grief d’abus de droit lorsque sont constatées tant l’absence de fictivité de l’apport que l’existence d’un ou plusieurs buts autre que fiscaux justifiant sa mise en œuvre.

Un tel texte répressif qui a pour objet de sanctionner le recours à l’application littérale de lois fiscales dans le but exclusif de bénéficier d’une mesure fiscale contre l’intention du législateur, ne doit-il pas nécessairement être lui-même appliqué de manière strictement littérale afin de garantir le respect du principe constitutionnel de légalité des délits et des peines ? Lequel principe impose au législateur de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire, et au juge de retenir une interprétation stricte de toute loi comportant une dimension pénale3.

Sanctionner la seule soulte tout en admettant le bien-fondé de l’opération d’apport dans laquelle elle s’intègre, reviendrait selon nous à commettre un abus de langage juridique, en assimilant la soulte à un acte, ce qu’elle n’est juridiquement pas.

Il faut s’attendre à un long feuilleton contentieux, dont le fin mot reviendra le moment venu au Conseil d’Etat. Décidemment, le régime des plus-values constitue un gisement inépuisable de disputes fiscales en tout genre, ainsi que l’illustrent aussi bien les opérations de « donation-cession » que d’« apport-cession », et encore les multiples questions prioritaires de constitutionnalité, recours pour excès de pouvoir et autre question préjudicielle soumise à la CJUE.

Autant de symptômes révélateurs de ce que la complexité excessive du régime des plus-values n’est pas compatible avec la légitime sécurité juridique que la loi doit garantir aux contribuables ?

Notes

1 Article 150-0 D, 9 du CGI.
2 CADF, affaires n°2016-20, 21, 22 et 23, du 13 octobre 2016.
3 Article 111-4 du code pénal.

 

Auteurs

Luc Jaillais, avocat associé en droit fiscal

Damien Basson, avocat en droit fiscal

 

Soultes et échanges de titres : la loi met fin à un «havre fiscal» – Article paru dans le magazine Option Finance le 3 avril 2017