Obligation de loyauté ou véritable clause de non-concurrence ? Attention à la rédaction du contrat !
4 avril 2017
Par un arrêt récent (Cass. Soc. 15 mars 2017, n°15-28.142), la Cour de cassation assimile une clause visant à protéger la clientèle de l’entreprise à une obligation de non-concurrence.
Dans l’espèce soumise à la Cour de cassation, le contrat de travail d’une salariée, auxiliaire de vie, prévoyait une « clause de loyauté », aux termes de laquelle « en cas de rupture du présent contrat, (la salariée) s’interdira d’exercer toutes activités directement ou indirectement au profit des clients de la société auprès desquels elle sera intervenue dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail ».
La salariée ayant été licenciée, elle soutenait (entre autres chefs de demande) que cette clause de loyauté était en réalité une clause de non-concurrence illicite, qui entravait sa liberté de travail et lui causait un préjudice.
Distinction entre véritable obligation de non-concurrence et la simple obligation de loyauté
La clause de non-concurrence, qui n’a vocation à s’appliquer qu’après la rupture du contrat de travail, est distincte de l’obligation de loyauté s’imposant au salarié au cours de l’exécution de ce contrat.
Comme tout contrat, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. Il est ainsi acquis qu’il existe une obligation générale de loyauté, qui s’impose tant à l’employeur qu’au salarié tout au long de la vie du contrat, indépendamment de l’existence d’une clause spécifique.
L’obligation de loyauté ne cesse toutefois pas avec la rupture du contrat de travail et subsiste sous la forme de la prohibition pour un ancien salarié de commettre des actes de concurrence déloyale.
Ainsi, les tribunaux considèrent que, bien qu’intitulée « clause de non-concurrence », une clause interdisant au salarié d’emporter tout document (liste de clients, documents publicitaires par exemple), de copier, imiter ou reproduire tout élément propriété de l’employeur et de démarcher des clients par l’utilisation de procédés déloyaux (dénigrement de l’ancien employeur, proposition de tarifs légèrement inférieurs, etc.) n’est qu’une clause rappelant l’interdiction générale de concurrence déloyale, qui doit se distinguer de l’obligation contractuelle de non-concurrence.
En effet, l’objet de la clause de non-concurrence est d’interdire au salarié, après la rupture de son contrat de travail, de créer ou d’entrer au service d’une société concurrente.
Néanmoins et de jurisprudence constante depuis 2008, la Cour de cassation considère que la plupart des clauses de non-détournement de clientèle, surtout lorsqu’elles sont larges et rédigées en des termes imprécis, constituent en réalité des clauses de non-concurrence déguisées qui doivent en suivre le régime.
Clause de non-sollicitation et clause de non-concurrence déguisée : confirmation de jurisprudence
Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation le 15 mars 2017, la cour d’appel de Riom avait considéré que, dans la mesure où elle limitait « l’obligation de loyauté » de la salariée aux seuls clients de la Société auprès desquels elle avait été amenée à intervenir, la clause du contrat de travail de la salariée n’était pas une clause de non-concurrence « susceptible d’entraver sa liberté de travail et de lui créer un préjudice ».
La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel en considérant qu’une « clause selon laquelle il est fait interdiction à un salarié d’entrer en relation, directement ou indirectement, et selon quelque procédé que ce soit, avec la clientèle auprès de laquelle il était intervenu lorsqu’il était au service de son employeur est une clause de non-concurrence ».
Si le domaine des clauses de non-sollicitation assimilées à des clauses de non-concurrence semble de plus en plus large, la question se pose de savoir s’il pourrait subsister sous une certaine forme une obligation de non-sollicitation de clientèle qui ne s’apparente pas à une clause de non-concurrence.
En effet, l’arrêt du 15 mars 2017, comme les arrêts rendus avant lui, ne condamne pas en tant que telles toutes les clauses de non-sollicitation, mais prend soin de reprendre les caractéristiques de la clause litigieuse en rappelant qu’elle interdit « d’entrer en relation, directement ou indirectement, et selon quelque procédé que ce soit ». La Cour met donc en évidence, certes de manière implicite, que la clause est rédigée en des termes assez généraux.
Est-ce à dire qu’une clause de non-sollicitation qui interdirait très spécifiquement à un salarié de démarcher les clients pour lesquels il a travaillé pourrait ne pas s’analyser en une clause de non-concurrence ? Rien n’est moins sûr, sauf à ce que la clause se borne à interdire un démarchage déloyal…
Rappel des conditions de validité de la clause de non-concurrence
Dans l’arrêt du 15 mars 2017, la Cour de cassation, après avoir constaté que la « clause de loyauté » devait s’analyser en une clause de non-concurrence, rappelle les conditions de validité de cette dernière.
Une telle clause n’est licite que si elle remplit les conditions cumulatives suivantes :
- elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise ;
- elle est limitée dans le temps et dans l’espace ;
- elle tient compte des spécificités de l’emploi du salarié ;
- elle comporte l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie financière.
En l’absence de l’une de ces conditions, la clause de non-concurrence est nulle, ce qui ouvre droit, pour le salarié, à l’attribution de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l’entrave apportée à sa liberté de travailler.
A cet égard, si la Cour de cassation a longtemps jugé que la nullité d’une clause de non-concurrence causait nécessairement un préjudice au salarié, rappelons qu’elle a récemment procédé à un revirement de jurisprudence par un arrêt du 26 mai 2016, et qu’elle exige désormais que le salarié fasse la preuve de l’existence d’un préjudice.
Auteurs
Raphaël Bordier, avocat associé, droit social.
Aurore Friedlander, avocat, droit social
Obligation de loyauté ou véritable clause de non-concurrence ? Attention à la rédaction du contrat ! – Article paru dans Les Echos Business le 3 avril 2017
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