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Une appellation d’origine peut rendre illicite une marque postérieure même si celle-ci n’est que la déclinaison d’une marque antérieure

Source : Cour de justice de l'Union européenne

Le Tribunal de l’Union européenne (TUE) vient de rendre un arrêt qui nous rappelle que la marque de l’Union européenne (MUE) est un outil formidable pour les entreprises, mais dont l’usage nécessite un minimum de réflexion préalable quant à son adaptabilité à l’objectif poursuivi (TUE, 9 février 2017, T-696/15, Bodegas Vega Sicilia).

Dans cette affaire une société espagnole avait procédé à un dépôt de MUE constituée du signe verbal TEMPOS VEGA SICILIA pour désigner des boissons alcoolisées. L’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) avait refusé l’enregistrement de cette marque au motif que l’expression TEMPOS VEGA SICILIA contenait le terme SICILIA, lequel constitue une appellation d’origine protégée pour les vins. La demande d’enregistrement était donc contraire aux dispositions de l’article 7, paragraphe 1, sous j), du règlement n°207/2009 du 26 février 2009 sur la marque de l’Union européenne (RMUE) (aff. R 285/2015-4).

Pour mémoire, en application de cette disposition, sont refusées à l’enregistrement les marques de vins qui comportent ou qui sont composées d’indications géographiques destinées à identifier les vins, ou les marques de spiritueux qui comportent ou qui sont composées d’indications géographiques destinées à identifier les spiritueux, lorsque ces vins ou spiritueux n’ont pas ces origines.

Cette disposition du RMUE a une portée très générale. Ainsi, le TUE a eu l’occasion de juger qu’elle s’applique, sans qu’il soit nécessaire de savoir si la marque en question est de nature à tromper le public ou si elle peut entraîner un risque de confusion concernant l’origine du bien (TUE, 11 mai 2010, T-237/08, Abadía Retuerta, point 119).

SICILIA est une appellation d’origine italienne, protégée au niveau européen depuis le 19 février 1999 en relation avec les vins originaires de cette région. Quant à la défenderesse, elle est titulaire d’une marque espagnole VEGA SICILIA enregistrée depuis 1969, c’est-à-dire depuis une date très antérieure à l’obtention de l’appellation d’origine, et d’une MUE de 2003. En outre la marque VEGA SICILIA désigne chez nos voisins ibériques un des crus les plus prestigieux du pays.

Le déposant invoquait donc, pour justifier son droit à obtenir l’enregistrement de sa marque nouvelle TEMPOS VEGA SICILIA, à la fois son antériorité résultant de la marque espagnole VEGA SICILIA, mais aussi la renommée de cette marque en Espagne et dans l’Union. Malheureusement aucun des arguments n’a eu grâce aux yeux du Tribunal.

Sur le premier point, le TUE considère que « à supposer que la requérante puisse revendiquer le bénéfice d’une antériorité en ce qui concerne sa marque Vega Sicilia enregistrée en 1969 en Espagne, elle ne peut, toutefois, en revendiquer le bénéfice, le cas échéant, que pour cette marque existante et non pour enregistrer de nouvelles marques, inexistantes au moment où a été décidée la protection de l’indication géographique, qui seraient également composées de cette indication géographique. En effet, ainsi que le fait observer la chambre de recours, l’article 102, paragraphe 2, du règlement n°1308/2013 n’implique pas automatiquement que le titulaire de droits antérieurs puisse enregistrer de nouvelles marques après l’octroi de l’appellation d’origine ou de l’indication géographique protégée » (point 52).

En d’autres termes, une marque ne peut être enregistrée que de façon individuelle et la protection qui découle de cet enregistrement ne lui est accordée qu’à titre individuel, même dans l’hypothèse d’un enregistrement simultané de plusieurs marques présentant un ou plusieurs éléments communs et distinctifs.

S’agissant du deuxième fait justificatif invoqué, le Tribunal est encore plus péremptoire. La renommée d’une marque « est une circonstance dénuée de pertinence au regard du motif absolu de refus » sur lequel est fondée la décision de l’EUIPO.

Dès lors, poursuit l’arrêt, à supposer même que la marque Vega Sicilia soit largement connue ou qu’elle jouisse d’une certaine renommée dans l’Union européenne, cette circonstance n’empêche pas de rejeter l’enregistrement de la marque demandée en application de l’article 7, paragraphe 1, sous j), du règlement n°207/2009 (point 60).

Cette décision est lourde de conséquences pour la société espagnole. Certes ses droits sur la marque espagnole de 1969, et son exploitation en Espagne, ne sont pas remis en cause. En effet, afin de sauvegarder les droits des titulaires de marques qui, de bonne foi, ont acquis des droits sur une marque consistant ou contenant une appellation d’origine protégée ou une indication de provenance protégée, avant l’enregistrement de celle-ci, l’article 102 paragraphe 2 du règlement 1308/2013 du 17 décembre 2013 prévoit que cette marque peut continuer à être exploitée et renouvelée.

En revanche, concernant la MUE identique, obtenue en 2003 c’est-à-dire postérieurement à l’enregistrement de l’appellation d’origine SICILIA, son enregistrement est désormais en sursis puisqu’il est à la merci d’une action en annulation fondée sur l’article 7, paragraphe 1, sous j), du RMUE, que n’importe qui ayant la capacité d’ester en justice, seule condition exigée par le règlement sur la MUE pour pouvoir agir en annulation d’une marque pour défaut de caractère distinctif devant les instances de l’Office, peut introduire à tout moment.

 

Auteur

José Monteiro, Of Counsel, droit de la propriété intellectuelle