Le comité d’établissement peut-il encore recourir à l’assistance d’un expert-comptable ?
4 mai 2017
La loi du 17 août 2015 a réorganisé les consultations récurrentes du comité d’entreprise (CE) et son recours à un expert-comptable. Cette réforme a-t-elle impacté le droit des comités d’établissement de se faire assister par un expert-comptable ?
L’assistance du comité d’entreprise par un expert-comptable
Jusqu’à la loi n°2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, dite loi « Rebsamen », le Code du travail prévoyait jusqu’à 17 consultations annuelles du CE par l’employeur dans les entreprises d’au moins 300 salariés et 9 dans les entreprises de taille inférieure. Le CE avait la faculté de se faire assister par un expert-comptable pour l’examen annuel des comptes et, dans la limite de deux fois par exercice, pour l’examen des documents comptables prévisionnels.
La loi « Rebsamen » a rationalisé les obligations des employeurs en rassemblant les consultations récurrentes autour de trois consultations annuelles portant sur les orientations stratégiques de l’entreprise, sur sa situation économique et financière, et sur sa politique sociale. La loi octroie au CE la faculté de se faire assister par l’expert-comptable de son choix dans le cadre de chacune de ces consultations annuelles. Les honoraires de l’expert-comptable sont intégralement à la charge de l’employeur (sauf en ce qui concerne l’expertise en vue de l’examen sur les orientations stratégiques dont le financement est assuré à hauteur de 20% par le CE).
La faculté historique du comité d’établissement de recourir à un expert-comptable
Antérieurement à la loi « Rebsamen », la Cour de cassation avait reconnu dès 1992, dans les entreprises à établissements multiples, le droit des comités d’établissement de se faire assister par un expert-comptable pour l’examen annuel des comptes (Cass. soc., 11 mars 1992, n°89-20.670). La Haute Juridiction avait ensuite effectué un pas supplémentaire en faveur de l’assistance du comité d’établissement par un expert-comptable en décidant qu’un comité d’établissement avait le droit d’être assisté par un expert-comptable pour l’examen annuel des comptes même lorsqu’une expertise préalable au niveau du comité central d’entreprise (CCE) avait déjà permis un examen spécifique de la situation de l’établissement (Cass. soc., 18 novembre 2009, n°08-16.260).
Cette jurisprudence a été critiquée en doctrine puisque, au-delà de la redondance des expertises, les établissements ne disposant pas nécessairement de comptes propres, l’examen annuel des comptes ne pouvait se faire en pratique qu’au niveau de l’entreprise et non au niveau des établissements. Ces critiques n’ont pas infléchi la position de la Cour de cassation qui a précisé qu’il importait peu « que la comptabilité soit établie au seul niveau de l’entreprise » (Cass. soc., 8 avril 2014, n°13-10.541).
Une possible remise en cause de cette faculté par la réforme « Rebsamen »
Dès lors, se pose la question de savoir si, depuis la loi « Rebsamen », un comité d’établissement peut se faire assister par un expert-comptable dans le cadre des consultations annuelles.
Les objectifs de la loi « Rebsamen » étaient notamment de rationaliser et de simplifier les consultations du CE et son recours à un expert-comptable. Dans ce cadre, la loi n’a pas spécifié que le comité d’établissement disposerait, parallèlement au CCE, du droit de se faire assister par un expert-comptable, ce qui peut laisser penser que cette faculté est désormais révolue.
Ces derniers mois, différentes juridictions ont eu l’occasion de se prononcer sur la question. Certaines juridictions maintiennent la jurisprudence de la Cour de cassation en décidant que le comité d’établissement peut, comme par le passé, désigner un expert-comptable au titre de l’examen de la situation économique et financière. Ainsi, le tribunal de grande instance (TGI) de Lyon considère que la loi « Rebsamen » n’a pas « restreint la compétence des comités d’établissement dans leur faculté de solliciter une mesure d’expertise comptable lors de la consultation annuelle sur la situation économique et financière de l’entreprise » (TGI Lyon, 10 octobre 2016, n°2016/01321, Rhodia et 24 octobre 2016, Fnac). Le TGI de Rennes décide quant à lui que l’établissement bénéficie par essence d’une autonomie suffisante pour justifier la consultation du comité d’établissement sur la situation économique et financière et son assistance par un expert-comptable (TGI Rennes, 17 novembre 2016, n°16/00822, Fnac). Le TGI de Paris a toutefois retenu qu’un établissement ne bénéficiant pas d’une autonomie économique suffisante ne pouvait justifier la consultation du comité d’établissement et son assistance par un expert-comptable (TGI Paris, 15 décembre 2016, n°16/59957 et n°16/59960, Fnac).
En revanche, selon le TGI de Montpellier, seul le CCE doit être consulté et peut donc désigner un expert-comptable dans le cadre des consultations annuelles (TGI Montpellier, 3 octobre 2016, n°16/03425, IBM). Le TGI relève très justement qu’aucune des dispositions de la loi « Rebsamen » ne prévoit l’assistance d’un expert-comptable au bénéfice d’un comité d’établissement dans le cadre des consultations annuelles. Cette solution est, à notre sens, la plus en adéquation avec les objectifs de rationalisation du législateur. Plus récemment encore, le TGI de Créteil a décidé que la consultation sur la situation économique et financière de l’entreprise, qui conditionne le recours à l’expert, « ne saurait se concevoir au niveau de chacun des établissements […] sauf à priver ladite consultation de tout effet utile » et que seul le CCE peut mandater un expert-comptable pour cette consultation (TGI Créteil, 23 janvier 2017, n°16/10638).
Au regard de la disparité des décisions ainsi rendues par les juridictions du fond, il reviendra nécessairement à la Cour de cassation de trancher la question.
La limitation des honoraires de l’expert-comptable
Pour le cas où il serait finalement décidé que le comité d’établissement peut toujours recourir à un expert-comptable, un arrêt du 8 mars 2017 mérite d’être souligné. Dans cette décision, rendue sous l’empire de la loi ancienne, la Cour de cassation a décidé que la connaissance par l’expert-comptable de la situation comptable et financière de l’entreprise ou de ses établissements, en raison des expertises précédemment réalisées pour le compte du CCE, impose nécessairement que l’expert-comptable en tienne compte dans sa facturation suite à sa mission confiée par un comité d’établissement (Cass. soc., 8 mars 2017, n°15-22.882). En d’autres termes, un même travail ne peut être facturé qu’une seule fois par l’expert-comptable commun à un CCE et aux comités d’établissement. Ce qui tombe sous le sens mais nécessitait manifestement d’être rappelé.
Auteurs
Damien Decolasse, avocat en de droit du travail, droit de la sécurité sociale et de la protection sociale.
Matthieu Beaumont, avocat, en droit social
Le comité d’établissement peut-il encore recourir à l’assistance d’un expert-comptable ? – Article paru dans Les Echos Business le 28 avril 2017
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