Précisions sur le sort des redevances versées au titre de la licence de brevet en cas d’annulation de celui-ci
Deux brevets français et européen, délivrés respectivement en 2008 et 2013, portant sur un « dispositif de récupération de la menue paille sur une moissonneuse batteuse », avaient été concédés en licence exclusive le 12 janvier 2007, pour une durée correspondant à la durée de protection des brevets.
Reprochant au licencié un manque de transparence dans la communication des informations commerciales lui permettant de procéder au calcul du montant des redevances ainsi qu’un défaut de paiement de celles-ci, le titulaire de ces brevets avait procédé à la résiliation du contrat le 16 février 2012 et engagé, quelques mois après, une action devant le tribunal de grande instance (TGI) de Paris, afin de récupérer les sommes dues.
En réplique, le licencié avait invoqué la nullité des brevets pour défaut de nouveauté et d’activité inventive, et sollicité en conséquence le rejet des demandes de payement comme étant mal fondées en leur principe. Parallèlement il avait aussi engagé une action en annulation du brevet européen devant les instances compétentes de l’Office européen des brevets à Munich.
Dans le jugement commenté, le Tribunal rejette l’intégralité des demandes et arguments formulés par le licencié et le condamne au payement, notamment, des sommes réclamées en ces termes :
« Il est exact que l’annulation du brevet objet d’un contrat de licence peut emporter la nullité de celui-ci pour défaut de cause ou d’objet. Pour autant, outre le fait que la nullité du contrat de licence du 12 janvier 2007, qui n’est pas automatique, n’est pas demandée, la question du sort des redevances payées avant la date de l’annulation du brevet ne relève pas de la détermination de la portée de cette dernière mais de la nature et de l’étendue des restitutions réciproques qu’elle fonde par l’effet de la loi, en raison de l’exécution antécédente du contrat au sens, désormais, des articles 1178 et 1352 et suivants du Code civil » (TGI Paris, 12 janvier 2017, n°15/09231, Alain Bon c/ Société Thiérart).
La question du sort des redevances encaissées par le titulaire d’un brevet avant l’annulation du titre, lorsqu’il ne satisfait pas aux conditions de la brevetabilité, est d’un grand intérêt pratique. En effet, en application des articles L.613-27 du Code de la propriété intellectuelle et 138 de la Convention sur le brevet européen, la nullité du brevet contesté a un effet absolu et rétroactif et le titre est anéanti à la date du dépôt. Dès lors se pose la question de savoir si le donneur de licence peut conserver les sommes encaissées avant le prononcé de la décision d’annulation ou s’il doit les restituer.
La réponse à cette question semble aujourd’hui bien acquise, la Cour de cassation ayant décidé que la restitution des redevances ne pouvait être automatique, dès lors que « l’invalidité d’un contrat de licence résultant de la nullité du brevet sur lequel il porte, n’a pas, quel que soit le fondement de cette nullité, pour conséquence de priver rétroactivement de toute cause la rémunération mise à la charge du licencié en contrepartie des prérogatives dont il a effectivement joui » (Cass. com., 28 janvier 2003, n°00/12149).
Nonobstant l’annulation du titre, l’obligation de payement n’est pas nécessairement privée de la contrepartie que constitue l’exclusivité et la jouissance paisible dont a pu bénéficier le licencié, ou de bien d’autres facteurs tels que le savoir-faire effectivement transmis par le brevet ou tout simplement le bénéfice d’image et de la valeur publicitaire liés à l’existence du titre de propriété intellectuelle. Au surplus, dans l’affaire tranchée par le TGI de Paris, une clause contractuelle excluait expressément la restitution des redevances déjà versées.
Quant aux redevances versées après l’annulation du brevet, la Cour de justice a déjà jugé qu’une obligation contractuelle par laquelle le bénéficiaire d’un contrat de licence de brevet était tenu de payer une redevance sans limitation de durée, donc même après l’expiration du brevet, ne constituait pas en elle-même une restriction à la concurrence lorsque l’accord avait été conclu postérieurement au dépôt de la demande de brevet et avant sa délivrance (CJUE, 12 mai 1989, C-320/87, point 15). En effet une telle clause peut avoir une origine autre que le brevet. Plus récemment la Cour de justice a étendu cette solution au cas, comme en l’espèce, où le brevet objet de la licence a été annulé, sous la même réserve que le licencié puisse librement résilier le contrat (CJUE, 7 juillet 2016, C-567/14, point 41).
En définitive l’annulation du brevet, quel que soit le fondement de la nullité, ne permet pas au licencié d’obtenir la restitution des redevances payées antérieurement et n’entraîne pas la caducité automatique du contrat de licence.
Auteurs
José Monteiro, Of Counsel, droit de la propriété intellectuelle15