Le management abusif d’un cadre peut conduire au licenciement du responsable des ressources humaines
16 mai 2017
Avis de tempête pour les responsables des ressources humaines (RRH). La Cour de cassation a jugé le 8 mars 2017 (n°15-24406), que le licenciement d’un RRH, qui avait cautionné le management abusif d’un cadre de l’entreprise (il s’agissait en l’occurrence d’un directeur de magasin), était fautif, et donc justifié.
Dans l’affaire ainsi tranchée par la Haute cour, une salariée, engagée en 1986, exerçait au dernier état les fonctions de RRH. Elle s’est vue notifier son licenciement –à connotation disciplinaire– au cours de l’année 2011. L’employeur reprochait à cette salariée d’avoir cautionné le comportement managérial -manifestement inacceptable- du directeur de magasin, lequel a été de nature à porter atteinte à la santé et à la sécurité de ses collaborateurs, et donc à contrevenir aux prescriptions de l’article L 4122-1 du Code du travail. Les fonctions particulières de RRH et les obligations contractuelles qui en résultent ont été manifestement considérées comme des facteurs aggravants pour l’intéressée.
Plus précisément, à l’occasion d’une enquête organisée par l’employeur, une trentaine de salariés du magasin ont souhaité témoigner. Les éléments recueillis ont fait ressortir, notamment, que plusieurs d’entre eux, singulièrement les proches collaborateurs du directeur de magasin, travaillaient « dans un climat de terreur, sans cesse avec la crainte de perdre leur emploi pour une quelconque raison », ont été « humiliés ou témoins d’humiliations », ou ont « perdu confiance en eux ou ont démissionné sous la contrainte ». Il existait par ailleurs « un climat de manipulation ».
Ces mêmes témoins ont également mis en cause la RRH ainsi que le contrôleur de gestion qui n’ont jamais réagi aux propos et comportement du directeur de magasin, ni usé du contre pouvoir dont ils étaient investis en conséquence de leur position de cadres supérieurs et de membres du comité de direction. Certains salariés sont même allés jusqu’à prétendre que la RRH était, par son absence d’initiatives et en prenant la défense du directeur de magasin dans certaines situations, « partie prenante des idées » de ce dernier.
La cour d’appel de Toulouse, saisie du litige judiciaire porté par la RRH, a considéré, en se fondant sur les nombreux témoignages « à charge » des salariés, que son licenciement disciplinaire était justifié.
Elle a estimé, pour ce faire, que la RRH :
- travaillait en très étroite collaboration avec le directeur de magasin ;
- avait connaissance du comportement inacceptable de celui-ci à l’encontre de ses subordonnés et pouvait même s’y associer ;
- n’a rien fait pour mettre fin à ces pratiques alors qu’en sa qualité de RRH, elle avait une mission particulière en matière de management.
Elle a également estimé que l’argument développé à l’appui de sa défense par la RRH, selon lequel elle était tenue d’obéir à son supérieur hiérarchique, caractérisait l’aveu d’une parfaite connaissance des faits et de son inaction. Elle a ajouté, dans le même esprit, que cet argument ne pouvait disculper l’intéressée dès lors qu’elle avait tout loisir d’informer la Direction des ressources humaines de l’entreprise, et qu’il lui était aisé de le faire.
La salariée, insatisfaite des termes de cette décision de la Cour d’appel, a formé un pourvoi en cassation. Elle a notamment soutenu, devant la Haute cour, qu’un salarié ne peut être sanctionné disciplinairement lorsque le manquement qui lui est reproché résulte en réalité d’un comportement fautif de l’employeur. Elle faisait alors grief à la Cour d’appel de ne pas avoir recherché si l’inaction qui lui était reprochée face au harcèlement moral de son supérieur hiérarchique (à savoir le directeur de magasin) à l’égard des salariés ne résultait pas d’un manquement fautif de la société qui n’a mis en œuvre aucun moyen organisationnel lui permettant de dénoncer les agissements de son directeur.
La Cour de cassation n’a pas suivi cette argumentation, c’est peu de le dire.
Elle a considéré que la Cour d’appel a légalement justifié sa décision en mettant en exergue les points essentiels et déterminants suivants :
- la RRH travaillait en très étroite collaboration avec le directeur de magasin, avait connaissance du comportement inacceptable de celui-ci à l’encontre de ses subordonnés, et pouvait en outre s’y associer ;
- elle n’a pris aucune initiative pour mettre un terme à ces pratiques alors qu’en sa qualité de RRH, elle avait une mission particulière en matière de management ;il relevait de ses fonctions de veiller au climat social et à des conditions de travail « optimales » pour les collaborateurs ;
- la définition contractuelle de ses fonctions précisait qu’elle devait « mettre en oeuvre, dans le cadre de la politique RH France, les politiques humaines et sociales » ;
- le RRH se présente comme « un expert en matière d’évaluation et de management des hommes et des équipes » ;
- en cautionnant les méthodes managériales inacceptables du directeur de magasin avec lequel elle travaillait en très étroite collaboration, et en les laissant perdurer, la salariée a manqué à ses obligations contractuelles et a mis en danger tant la santé physique que mentale des salariés.
Les termes ainsi utilisés par la Cour de cassation sont particulièrement forts, solennels et didactiques.
Loin de stigmatiser une profession en particulier, la Cour de cassation, dans la logique qui est la sienne d’imposer aux employeurs de veiller à la santé et à la sécurité des salariés (rappelons qu’il s’agit pour l’employeur d’une obligation de résultat), fait reposer sur les cadres décisionnaires, au premier rang desquels peuvent se trouver les RRH, l’obligation de prendre des initiatives pour tenter de mettre un terme à une situation de harcèlement moral, et plus généralement à une altération des conditions de travail.
Le RRH peut ainsi agir, à titre d’illustration :
- en évoquant auprès de sa Direction des ressources humaines ou la Direction générale, autant que possible par écrit pour se ménager des preuves utiles en justice, la situation inacceptable qu’il constate de visu ou qui lui est rapportée par des salariés ;
- en adressant des e-mails et/ou courriers au salarié qui adopte un comportement inadapté aux fins de lui demander de cesser d’agir de la sorte, puis en sanctionnant disciplinairement l’intéressé s’il y a lieu ;
- en faisant office de médiateur entre le manager fautif et les salariés placés sous son autorité ;
- en informant le salarié fautif des risques encourus (aux plans social et pénal par exemple mais aussi en termes de productivité ou d’absentéisme des salariés, d’image de l’entreprise, de climat social, etc.) du fait de son comportement ;
- en proposant au manager concerné une formation aux fins qu’il prenne la pleine mesure du caractère inapproprié de son comportement et qu’il prenne conscience de la nécessité de modifier son attitude ou ses propos, dans l’intérêt de tous ;
- en sollicitant les moyens dont il ne dispose pas ;
- en réfléchissant à une modification de l’organisation du travail.
Le RRH a également intérêt, et c’est là peut-être la meilleure prise d’initiative qui soit, à anticiper ce type de difficultés managériales, et à immédiatement prendre des mesures concrètes lorsqu’un premier fait sera identifié.
Il ne s’agit là que de quelques pistes de réflexion. Celles-ci mériteront d’être approfondies par les RRH susceptibles d’être concernés par ce type de difficultés, en fonction de la taille de l’entreprise, du secteur d’activité dans lequel évolue l’employeur, des moyens dont ils disposent, de leur qualification, des liens qu’ils ont pu créer et entretenir avec les salariés encadrants et/ou plus généralement les salariés de l’entreprise, etc.
Auteur
Rodolphe Olivier, avocat associé en droit social
Le management abusif d’un cadre peut conduire au licenciement du responsable des ressources humaines – Article paru dans Les Echos Business le 15 mai 2017
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