Image Image Image Image Image Image Image Image Image Image
Scroll to top

Haut

Rupture brutale des relations commerciales établies – La dimension internationale

Lorsqu’un élément d’extranéité vient se greffer au sein de la relation d’affaire, le régime applicable à la rupture fautive du contrat s’accroît d’un degré de complexité supplémentaire. Si, logiquement, le nombre de décisions publiées est plus faible que celui concernant celles jugées en pur droit interne, il n’est pas pour autant négligeable. En effet, conséquence sans doute de la fameuse « mondialisation » de l’économie, de plus en plus fréquemment, les juridictions ont à connaître de ruptures contentieuses de contrats marqués d’une dimension internationale. A s’en tenir aux seuls premiers mois de 2013, près d’une dizaine de décisions sont repérables qui mettent aux prises deux entreprises, dont l’une, victime ou responsable de la rupture, a son siège hors du territoire français (1). La complexité, inhérente à tout litige marqué d’extranéité, se trouve en l’occurrence accrue car l’analyse est partiellement obscurcie par deux questions qui paraissent surplomber une partie des débats : il s’agit de dire, d’une part, si la règle énoncée à l’article L. 442-6, I 5° doit être considérée comme une loi de police ; d’autre part, si la faute sanctionnée au texte relève de l’ordre délictuel ou contractuel (I). Ce n’est qu’une fois clarifiés ces deux verrous liminaires, qu’on peut examiner les différentes hypothèses envisageables en présence d’un élément d’extranéité (II).

I. Questions liminaires

A) L’article L. 442-6, I 5°, une loi de police ?
Rappelons en un mot l’enjeu considérable de la réponse donnée à cette question. Il s’agit de savoir si les dispositions – très originales lorsqu’on les rapproche des législations des pays comparables au nôtre – du texte s’appliqueront indépendamment de la question de savoir quelle est la loi applicable au litige. Si l’on juge que l’article L. 442-6, I 5° a la nature de loi de police, le texte aura vocation à s’appliquer même si les parties ont choisi d’assujettir leur contrat à une autre loi que la loi française.

Dans l’hypothèse inverse, il conviendra de déterminer la loi ayant vocation à s’appliquer : ce sera la loi choisie par les parties pour régir leurs relations contractuelles si on admet, autre difficulté (v. infra), que la responsabilité encourue est d’ordre contractuel ; ce sera, en principe, la loi où le dommage est survenu (si, du moins, les dispositions du règlement n°864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, dit règlement Rome II, trouvent à s’appliquer).

Loi de police ou pas ? La jurisprudence n’a, à notre connaissance, pas clairement tranché. Alors que la CJCE n’a jamais été saisie de la question et que sa position serait, par ailleurs, délicate à transposer au cas particulier, la Cour de cassation française n’a pas pris parti et semble s’ingénier à éviter de le faire (2). Quant aux juridictions du fond françaises, elles demeurent assez divisées, bien qu’une petite majorité semble se dessiner en faveur de la qualification de loi de police (3).

En l’absence de jurisprudence nette, il faut s’en remettre aux principes généraux gouvernant la matière. Sans reprendre l’ensemble des arguments déjà développés dans ces colonnes (4), il nous semble douteux que l’article L. 442-6, I 5° doive être considéré comme une loi de police. Si la disposition s’inscrit dans une perspective relevant de l’ordre public, c’est d’un ordre public de protection qu’il s’agit. La règle spéciale ne participe ni de la régulation concurrentielle qui prend en compte le marché dans son ensemble, ni de la législation protectrice des consommateurs. A cela s’ajoute la définition communautaire stricte de la notion de loi de police, telle qu’elle ressort en particulier de l’article 9, I, du Règlement Rome I (5). Il nous paraît assez difficile de démontrer que, à travers le mécanisme inscrit à l’article L. 442-6, I 5° du Code de commerce français, serait en jeu la sauvegarde des « intérêts publics » du pays. Il est assez clair, nous semble-t-il, que, à travers ce libellé restrictif, la volonté des Etats membres a été de veiller à ce que les juridictions ne puissent pas considérer que toute norme nationale pourrait mériter la qualification de loi de police – et permettre ainsi d’évincer une disposition de rang communautaire ou une disposition contractuelle ou même une loi nationale étrangère – au seul motif que cette norme aurait une finalité protectrice et serait d’ordre public dans un contexte interne.

Il faut espérer toutefois que, assez rapidement, soit la Cour de cassation française, soit la Cour de justice de l’Union européenne prenne position sur cette irritante question. Mais à supposer même réglé le débat, s’en profile un autre partiellement redondant avec le premier : les litiges nés de la rupture brutale de relations commerciales relèvent-ils du champ contractuel ou délictuel ?

B. La nature contractuelle ou délictuelle de la responsabilité encourue pour rupture brutale

Là encore, on peut légitimement hésiter, plus encore d’ailleurs que sur le problème, assez voisin, de la rupture brutale des pourparlers à propos duquel la qualification délictuelle de la responsabilité encourue est assez peu discutable (6). La rupture est-elle une faute dans l’exécution du contrat ou est-elle extérieure au contrat, relevant alors de la responsabilité civile délictuelle ? On se rappelle que la jurisprudence communautaire s’est plutôt fixée dans le sens de la qualification contractuelle des litiges ayant trait à la rupture d’une relation contractuelle. En 1976 (7) puis en 1988, la CJCE (à l’époque) a ainsi affirmé que le contentieux de l’indemnisation à l’occasion de la rupture d’un contrat relevait de la matière contractuelle. Pour autant, il s’agit là de deux décisions relativement anciennes, qui s’inscrivent toutes deux dans un contexte assez spécifique. De surcroît, elles ne portent pas précisément sur la question qui nous intéresse ici qui est celle de la rupture brutale au sens de l’article L. 442-6, I 5°.

Quant à la jurisprudence interne française, la situation n’a guère évolué depuis 2007 au sein de la Cour de cassation. D’un côté, la première Chambre civile semble raisonner « comme si » la responsabilité découlant du non-respect de l’article L. 442-6, I 5° devait être traitée sur le plan contractuel. Plus exactement, elle admet de donner pleine efficacité à des clauses contractuelles, qui soit fixent la compétence juridictionnelle (8), soit imposent le recours à un tribunal arbitral (9). De l’autre, la Chambre commerciale – mais aussi à moindre degré la deuxième Chambre civile (10) – qui a pris position, expressément quant à elle, en faveur de la qualification délictuelle de l’action. Dans plusieurs arrêts convergents, la Chambre commerciale a affirmé que le fait de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie « engage la responsabilité délictuelle de son auteur ».

L’explication de cette divergence apparente n’est pas due, comme on a pu le croire à un moment, à la nature interne ou internationale du litige. Car si la première Chambre civile a le plus souvent tranché des litiges ayant une dimension internationale, l’affirmation de la Chambre commerciale est intervenue aussi bien dans des contentieux de pur droit interne (11) qu’internationaux (11bis). On notera aussi que n’a pas interférée dans la qualification délictuelle ainsi retenue la circonstance que le contrat brutalement rompu contenait, situation de loin la plus fréquente, une clause attributive de compétence (12) ou en était dépourvu (13).

Dans les trois dernières années, la Chambre commerciale a maintenu fermement sa position. Elle a systématiquement censuré les arrêts ayant raisonné en considérant que la responsabilité encourue était d’ordre contractuel (14). Ce qui, au passage, témoigne d’une certaine résistance des cours d’appels peu convaincues, pour certaines d’entre elles en tout cas, de la pertinence de l’analyse délictuelle prônée par la Chambre commerciale. La première Chambre civile reste toujours assez énigmatique. Toutefois, un arrêt non publié et largement passé inaperçu pourrait peut-être annoncer un alignement vers son homologue. Dans cette affaire, une entreprise française (transporteur routier) avait assigné devant la juridiction française de son siège social une entreprise autrichienne, se plaignant d’un dommage consécutif à la rupture de la relation commerciale. Le tribunal français ayant retenu sa compétence, la première Chambre civile rejette le pourvoi formé contre l’arrêt qui avait raisonné en appliquant l’article 5-3 du Règlement 44/2001, dit Bruxelles I (15). Or, cet article 5-3 s’applique en matière délictuelle ou quasi délictuelle, et donne compétence au tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire. N’est-ce pas admettre, implicitement mais nécessairement, que le raisonnement doit être construit dans l’ordre délictuel ?

Il convient bien entendu de ne pas tirer des conséquences inappropriées d’un arrêt, à l’interprétation délicate et, au surplus, qui n’a pas eu les honneurs d’une publication au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation. Mais il est possible qu’il y ait là le premier jalon dans le sens d’une unification de la jurisprudence. Ceci nous paraît d’autant plus probable qu’il n’est pas certain qu’il existe une véritable opposition entre les deux chambres de la Cour de cassation. Comme on l’a indiqué, la première Chambre civile n’a jamais dit que la responsabilité au titre de l’article L. 442-6, I 5° était de nature contractuelle. Elle a seulement accepté de donner effet à des clauses contractuelles (clauses compromissoires ou clauses attributives de juridiction) libellées de telle façon qu’elles trouvaient à jouer en cas de litiges nés de la rupture brutale de la relation contractuelle. Symétriquement, dans ses arrêts les plus récents, la Chambre commerciale s’attache à analyser précisément le libellé exact des clauses (attributives de juridiction et/ou de loi), tout en affirmant que « peu importe à cet égard la nature délictuelle ou contractuelle de la responsabilité encourue » (16).

De surcroît, sur le plan théorique, l’analyse délictuelle semble plus convaincante ; et ce, pour deux raisons. D’abord, l’article L. 442-6, I 5° vient sanctionner un comportement qui n’a pas de lien avec la bonne ou la mauvaise exécution du contrat en lui-même. Il vise à saisir une faute extracontractuelle comme détachée du contrat. Il n’y a donc pas lieu de raisonner en se plaçant sous l’arche du contrat. Ensuite, la responsabilité spéciale organisée par l’article L. 442- 6, I, 5° ne sanctionne pas la méconnaissance d’une stipulation contractuelle particulière mais la violation d’une règle générale de comportement définie par une disposition légale. Cette dernière qui a sa propre autonomie et sa propre cohérence ne saurait être envisagée dans une logique contractuelle.

II- Hypothèses envisageables

A. Litige communautaire
Lorsque le litige est circonscrit sur le territoire de l’Union européenne – en pratique, une entreprise française se plaint devant les juridictions françaises du préjudice que lui a causé la rupture brutale de la relation commerciale décidée par un partenaire installé au sein de l’Union -, deux situations sont concevables. Il faut distinguer selon qu’une stipulation du contrat envisageait l’hypothèse et décidait à la fois la loi applicable au litige et la juridiction compétente pour en connaître, ou bien qu’aucune stipulation ne visait le cas de figure.

1. Aucune clause ne prévoit l’hypothèse

Le cas de figure n’est peut-être pas aussi exceptionnel qu’on peut le penser à première vue. En effet, si les contrats entre professionnels marqués d’extranéité contiennent quasiment toujours aujourd’hui une clause de loi applicable et/ou de juridiction compétente, il n’est pas dit que cette clause reçoive nécessairement application.

D’abord, pour qu’elle puisse jouer, il importera d’établir qu’elle a été clairement acceptée par le cocontractant auquel l’un des partenaires cherche à l’opposer. La jurisprudence la plus récente montre que cette évidence n’est pas toujours intégrée. C’est ainsi qu’une société française n’a pu faire jouer la clause attributive de juridiction, qu’elle voulait opposer à son cocontractant espagnol car la stipulation insérée dans les conditions générales d’achat, n’avait jamais fait l’objet d’une claire acceptation (17).

Ensuite, selon l’analyse indiquée plus haut, la clause doit être libellée en termes suffisamment compréhensibles pour s’appliquer dans l’hypothèse d’une rupture brutale. Sera opératoire la clause visant « tout litige découlant des relations contractuelles » (18) ou « tout différend pouvant subvenir entre les parties » (19). A l’inverse, seront neutralisées les clauses visant « tout litige né du contrat » (20) ou la clause stipulée s’appliquer à « tout différend portant sur la fin pour quelque cause que ce soit du contrat » (21).

En l’absence de clause donc, sera compétent, outre le tribunal du défendeur, le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire (Règl. n°44/2001, art. 5, 3). En pratique, sauf circonstances particulières (22), le fait dommageable sera situé au siège de l’entreprise victime de la rupture abusive (23), sous réserve des règles spéciales de compétence de l’article L. 442-6, III, al. 5. Ceci explique pourquoi il n’arrivera sans doute jamais que, en l’absence de toute clause attributive de juridiction, une entreprise dont le siège est fixé hors de France saisisse une juridiction française en se prétendant victime d’une rupture brutale initiée par un partenaire français. Consécutivement, si une entreprise française en position de l’imposer insère dans le contrat une clause désignant les juridictions françaises compétentes, elle devra s’attendre à ce que, en cas de rupture de la relation commerciale, le partenaire étranger demande application de l’article L. 442-6, I 5° devant la juridiction ainsi désignée. Mais il faudra alors que la loi française soit applicable au litige ; ce qui, en l’absence de clause et au cas où c’est l’entreprise étrangère qui invoquerait la brutalité d’une rupture, ne devrait pas être le cas.

En effet, pour la détermination de la loi applicable, il faut puiser dans le Règlement Rome II du 11 juillet 2007 « sur la loi applicable aux obligations non contractuelles ». A titre de principe général, celui-ci désigne la loi « du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent » (Règl. n°864/2007, art. 4, 1) (24).

Dans un contentieux relatif à la rupture brutale d’une relation commerciale établie, la solution présente l’intérêt de porter le litige devant une juridiction qui appliquera son propre droit.

2. Existence d’une clause opératoire

Dans ce cas, le juge devra se conformer aux prévisions des parties, qu’il s’agisse de la compétence d’une juridiction ou d’un tribunal arbitral ou de la loi applicable. En effet, l’article 23 du Règlement Bruxelles I reconnaît l’efficacité des clauses attributives de juridiction, qui sont quasiment toujours assorties de clauses d’élection de la loi applicable.

Il nous semble, selon la démonstration esquissée plus haut, que l’article L. 442- 6, I 5° ne relevant pas d’une disposition qui a le caractère de loi de police, le juge français saisi mais devant appliquer une autre loi que le droit français ne pourrait recourir au texte du Code de commerce français pour trancher le litige né de la rupture du contrat.

Le débat judiciaire portera donc essentiellement sur la question de savoir si la stipulation respecte les exigences formelles prescrites par l’article 23 du Règlement Bruxelles I (25).

B) Litige partiellement localisé hors de l’Union européenne
Il faut imaginer ici qu’un des partenaires a son siège en France, alors que l’autre est localisé en dehors du territoire de l’Union européenne. Dans cette hypothèse, si un juge étranger est saisi, il déterminera le droit applicable en fonction de son propre droit international privé.

Au cas où un juge français aurait été saisi d’un litige relatif à la terminaison, jugée brutale, d’une relation d’affaires, une première difficulté devra être tranchée concernant la question de savoir si la responsabilité recherchée est de nature contractuelle ou délictuelle (v. supra, I. B).

En supposant que l’analyse délictuelle ou, plus exactement, non contractuelle prévale, il faudra se référer aux règles du droit international privé français relatives aux délits civils pour déterminer la loi applicable. Depuis le célèbre arrêt Lautour de 1948 (26), dont la solution a été maintes fois confirmée, la loi applicable pour régir la responsabilité civile délictuelle est la loi du lieu où le délit a été commis (lex loci delicti commissi). Dans le cas de la rupture brutale d’une relation établie, il est vraisemblable que, sauf situation très particulière, le rattachement le plus étroit sera localisé dans le pays de la victime de la rupture. Enfin, sous réserve d’être correctement libellée (supra, II. A), une clause désignant une juridiction étrangère devrait pouvoir être mise en oeuvre « des dispositions impératives constitutives de lois de police fussent-elles applicables au fond du litige » (27). La difficulté surviendra toutefois, le cas échéant, au stade de l’exequatur en France de la décision rendue à l’étranger. Si, par exemple, le distributeur français s’estimant victime d’une rupture brutale et ayant dû saisir, du fait de la clause, une juridiction étrangère n’obtient pas gain de cause (ou s’il considère que la réparation obtenue n’est pas à la hauteur de ses attentes), il devra recommencer la procédure en France ; ce qui supposera qu’il introduise au préalable une demande tendant à voir le jugement étranger lui être déclaré inopposable.

Notes

1. Sans souci d’exhaustivité : Cass. com., 11 juin 2013, n°12- 21.424, F-D, distributeur français se plaignant de la rupture brutale initiée par un fournisseur suédois (société de droit suédois) ; CA Nancy Ch. com. 2, 5 juin 2013, n°12/01810, société de droit néerlandais ayant brutalement interrompu ses relations avec un distributeur français ; CA Paris Pôle 1, ch. 1, 4 juin 2013, n°12/15944, société de droit français distributeur en France d’équipements industriels invoquant la rupture brutale du contrat par le fournisseur, une société de droit anglais, ainsi que reprochant à cette dernière d’avoir commis des actes de concurrence déloyale ; CA Paris Pôle 5, ch. 5, 23 mai 2013, n°12/01166, fabricant de meubles français invoquant la réduction très importante et brutale des commandes décidées par une grande enseigne de distribution (société de droit suisse) ; CA Versailles 12e Ch. 14 mai 2013, n°12/00913, sociétés de droit brésilien ayant pour activité la distribution de parfums et de produits cosmétiques au Brésil se plaignant de la cessation des relations commerciales décidée par des sociétés françaises ; CA Versailles 12e Ch. 14 mai 2013, n°11/05310, importateur français de pièces détachées pour voitures se plaignant de la rupture brutale, par le fabricant établi en Argentine, de relations établies par suite d’un changement des conditions de paiement et de l’augmentation des prix ; CA Paris Pôle 1, ch. 3, 19 févr. 2013, n°12/13415, voyagiste français contestant le retrait brutal d’agrément par un transporteur aérien de droit étranger ; CA Paris Pôle 1, ch. 2, 31 janv. 2013, n°12/17503, société de droit allemand ayant interrompu ses relations avec une société française, fournisseur, dans un cas où le contrat rompu contenait une clause attributive de compétence aux juridictions allemandes.

2. Cass. com. 6 sept. 2011, n°10-11.975, Bull. civ., IV, n°126, dans un litige mettant aux prises une entreprise française aux filiales thaïlandaise et française d’une société française. Le pourvoi, formé par l’entreprise dont la responsabilité est retenue pour rupture brutale, est rejeté. Or, la Cour de cassation se garde de répondre à l’argument, développé dans le pourvoi, selon lequel une loi de police ne s’applique que si la situation entre dans le champ d’application de la loi de police et que, « à supposer même que l’article L. 442-6, I, 5° soit une loi de police, ce qui ne s’impose pas, elle ne s’appliquerait pas chaque fois qu’un tribunal français est saisi, mais chaque fois que le marché français est affecté ».

3. Par exemple, CA Lyon Ch. civ. 3, section A, 8 juin 2010, n°10/00919, SARL GRL c./ Société Forall Confezioni Spa, considérant que l’applicabilité au fond du litige « d’une loi de sûreté et de police comme l’article L. 442-6 du Code de commerce » est sans incidence sur la mise en oeuvre d’une clause attributive de compétence acceptée par les parties ; CA Grenoble Ch. com. 7 avr.2011, n°10/05093, Société PETZL DISTRIBUTION c./ SA SILVER SCAPE, même idée : l’application au fond du litige d’une loi de police internationale (L. 442-6 du Code de commerce français) n’est pas de nature à priver la clause de son efficacité ; contra toutefois, CA Versailles Ch. 12, 14 mai 2013, n°12/00913, SA Comercial & importaddora de perfumes e comesticos MMD LTDA, SARL Bright star business corp do Brasil LTDA, SARL R c./ SA Thierry Mugler Parfums, SASU Parfums Loris Azzaro, SA Clarins, qui semble écarter de son raisonnement l’argument, clairement suggéré par les demandeurs, selon lequel l’article L. 442-6 du Code de commerce constituerait une loi de police.

4. Dossier, Les litiges internationaux, Rupture brutale, JSS mars 2011, p. 27-28.

5. Règl. Rome I, n°593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, art. 9, 1 : « Une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique ».

6. V. récemment, sur la localisation du préjudice subi par une société à raison de la rupture brutale de pourparlers, Cass. 2e civ., 11 avril 2013, n°12-16.863, F-D, à paraître Bull. Joly sociétés juillet 2013, note A. Reygrobellet, qui admet de prendre en compte la volonté exprimée par les parties pour localiser précisément le préjudice.

7. CJCE, 6 oct. 1976, A. de Bloos SPRL c/ Sté en commandite par actions Bouyer, aff. 14/76, Rec. CJCE, I, 1976, p. 1473, concl. Mayras et p. 1497, concl. Reischl, en ce sens que le contentieux de l’indemnisation demandée à l’occasion d’une rupture de contrat de concession exclusive relevait de la matière contractuelle ; CJCE, 8 mars 1988, Sté Arcado c/ Sté Haviland, aff. 9/87, Rec. p. 1539, retenant la nature contractuelle de l’action diligentée par l’agent commercial en paiement de l’indemnité due en cas de rupture abusive de son contrat.

8. Cass. 1re civ., 6 mars 2007, n°06-10.946, Bull. civ. I, n°93, p. 82 : la clause attributive de juridiction (en l’occurrence aux juridictions allemandes) est jugée valable au regard de l’article 23 du Règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 (Bruxelles I) ; dans le même sens, Cass. 1re civ., 22 oct. 2008, n°07-15.823, Bull. civ. I, n°233.

9. Cass. 1re civ., 8 juill. 2010, n°09-67.013, Bull. civ. I, n°156, en ce sens que la juridiction étatique est sans pouvoir pour se prononcer sur la compétence d’un arbitre international, sauf inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire.

10. Cass. 2e civ., 6 oct. 2005, n°03-20.187, Bull. civ. II, n°236, p. 211, dans un litige interne et en l’absence de toute clause attributive de compétence : rejet du pourvoi contre l’arrêt ayant relevé que le dommage invoqué par la victime de la rupture était constitué par la cessation d’activité de son entreprise ; selon la Cour, « la cour d’appel a pu déduire de ces constatations et énonciations que le dommage avait été subi au lieu où s’exerçait l’activité de l’entreprise et décider que le tribunal de commerce, dans le ressort duquel elle était située, était territorialement compétent ».

11. Cass. com., 6 févr. 2007, n°04-13.178, Bull. civ. IV, n° 21 ; Cass. com., 13 janv. 2009, n°08-13.971, Bull. civ. IV, n°3 ; Cass. com., 7 juill. 2009, n°08-16.633, Bull. civ. IV, n°96 ; Cass. com., 13 oct. 2009, n°08-20.411, F-D ; Cass. com., 9 mars 2010, n°09- 10.216, F-D.

11bis. Cass. com. 26 oct. 2008, préc. ; Cass. com., 15 sept. 2009, n°07-10.493, F-D.

12. Cass. com., 6 févr. 2007, n°04-13.178, préc. ; Cass. com., 13 janv.2009, n°08-13.971, préc. ; Cass. com., 13 oct. 2009, n°08- 20.411, préc. ; Cass. com., 9 mars 2010, n°09-10.216, préc.

13. Cass. com., 21 oct. 2008, n°07-12.336, préc. ; Cass. com., 7 juill. 2009, n°08-16.633, préc.

14. Cass. com. 13 déc. 2011, n°11-12.024, F-D, dans le cas d’un litige entre une société de droit français, distributeur en France des produits d’une société de droit suisse, la première se plaignant de la rupture brutale des relations décidée par la seconde : cassation de l’arrêt qui retient que relève de la matière contractuelle la demande qui trouve son fondement dans le non-respect d’un engagement librement assumé d’une partie envers une autre et conclut que l’action indemnitaire engagée par le distributeur pour rupture des relations commerciales établies ressortit à la matière contractuelle. Dans le même sens, Cass. com. 6 sept. 2011, n°10-11.975, préc. ; Cass. com. 18 janv. 2011, n°10-11.885, Bull. civ. IV, n°9, cassation de l’arrêt qui, après avoir indiqué que la demande d’indemnisation ? formée par une société visant à obtenir la réparation du dommage qui aurait été causé par la rupture brutale de relations commerciales établies, en déduit que cette demande relève d’un fondement contractuel au sens de l’article 5, 1, a, du règlement n°44/2001.

15. Cass. 1re civ. 19 déc. 2012, n°11-20.401, F-D.

16. Cass. com., 20 mars 2012, n°11-11.570, F-D, CCC août 201 comm. 208, obs. N. Mathey, à propos d’une clause qui attribuait compétence aux juridictions allemandes pour tous les litiges découlant des relations contractuelles.

17. Cass. com. 18 janv. 2011, n°10-11.885, préc. ; en ce sens également, CA Versailles Ch. 13, 29 sept. 2011, n°11/00914, Société de droit espagnol Coprima c./ SAS Safic-Alcan, qui juge qu’une société française ayant assigné une société espagnole au titre de la réparation du préjudice causé par la rupture brutale et abusive du contrat de distribution exclusive qui les liait ne peut se prévaloir de la clause attributive de compétence à une juridiction française, car n’était pas rapportée la preuve de la connaissance et de l’acceptation de la clause laquelle figurait dans les conditions générales inscrites au verso des bons de commande alors que les télécopies des bons de commande adressées à sa contractante ne comportaient que le recto.

18. Cass. com., 20 mars 2012, n°11-11.570, préc., la clause, qui attribue compétence aux juridictions allemandes pour tous les litiges découlant des relations contractuelles, est suffisamment large et compréhensible pour s’appliquer à ceux découlant de faits de rupture brutale partielle des relations commerciales établies entre les parties. Dans le même sens, CA Paris Pôle 1, ch. 2, 31 janv. 2013, n°12/17503, société de droit allemand ayant interrompu ses relations avec une société française : la clause, qui attribue compétence au tribunal du lieu du siège social de l’acheteur, donc aux juridictions allemandes, pour tous les litiges découlant des relations contractuelles, est suffisamment large et compréhensive pour s’appliquer à ceux découlant de faits de rupture brutale des relations commerciales établies entre les parties, peu important à cet égard la nature délictuelle ou contractuelle de la responsabilité encourue.

19. V. par exemple, Cass. 1re civ., 8 juil. 2010, n°09-67.013, préc., dans le cas d’une clause compromissoire qui visait tout litige « né du contrat ou en relation avec celui-ci ».

20. Par exemple, Cass. com., 9 mars 2010, n°09-10.216, préc. : la clause visait restrictivement « tout différend ou tout litige relatif à la formation, l’interprétation, l’exécution, la résiliation ou la cessation du contrat » ; ce qui n’incluait pas la rupture de sa relation commerciale.

21. Cass. com., 12 juin 2012, n°11-18.852, F-D, CCC oct. 2012, comm. 232, obs. N. Mathey, écartant la clause de médiation ainsi libellée.

22. Pour les autres chefs de compétence, v. Dossier, Les litiges internationaux, Rupture brutale, JSS mars 2011, p. 31.

23. Cass. com. 11 juin 2013, n°12-21.424, F-D, distributeur français se plaignant de la rupture brutale initiée par un fournisseur suédois (société de droit suédois) : la cour d’appel et la Cour de cassation raisonnent en se référant à l’article L. 442-6, I 5°, mais considèrent qu’il n’y a pas lieu à indemnisation, la durée du préavis réellement effectué – différente de celle initialement notifiée – étant jugée suffisante. Rappr. CA Versailles Ch. 12, 14 mai 2013, n°11/05310, SARL Adiauto c/ Société Angeletti He Hijos SRL : preuve non rapportée que le partenaire argentin (fabrication et exportation de pièces détachées pour voitures) a été à l’origine de la rupture brutale des relations ayant existé pendant huit années avec une société française ayant pour activité le négoce de pièces détachées automobile

24. CA Versailles Ch. 12, 2 oct. 2012, n°11/03641, SARL Schmidt Technology GMBH c/ SAS Steinel : fournisseur (allemand) ayant rompu le contrat de distribution exclusive qui le liait à un distributeur français depuis 22 ans, tout en respectant un délai de préavis, mais un délai jugé insuffisant au regard des exigences de l’article L. 442-6, I 5° du Code de commerce.

25. Sur ces exigences v. Dossier, Les litiges internationaux, Rupture brutale, JSS mars 2011, p. 31.

26. Cass. civ., 25 mai 1948.

27. Cass. 1re civ., 22 oct. 2008, n°07-15.823, déclarant efficace une clause désignant compétentes les juridictions de San Francisco « pour toute action découlant du contrat » (conclu entre un fournisseur américain et un distributeur français).

 

A propos des auteurs

Elisabeth Flaicher-Maneval, avocat au sein du département de doctrine juridique. En étroite relation avec les avocats du Cabinet intervenant dans ce domaine, elle suit et analyse les évolutions du droit pour formuler des conseils pratiques. Elle participe à l’élaboration des communiqués clients et publie des chroniques dans la presse.

Arnaud Reygrobellet, of Counsel, Doctrine juridique

 

Dossier Rupture brutale des relations commerciales établies, Journal des sociétés, n°110 – Juillet 2013