Le nouvel agent des sûretés à la française
Habilité par la loi Sapin II à prendre par ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi tendant à clarifier et moderniser le régime français de l’agent des sûretés1, le désormais ex-Gouvernement a rendu sa copie à l’occasion de la promulgation de l’ordonnance n°2017-748 du 4 mai 2017.
Celle-ci affiche l’ambition de doter le droit français d’un régime de l’agent des sûretés efficace, à même de concurrencer les modèles de droit étranger. Cette nouvelle tentative2 aboutit à un dispositif léger : un nouveau titre III, dédié à l’agent des sûretés et composé de sept articles (articles 2488-6 à 2488-12), est ajouté à la fin du livre IV du Code civil. Cet instrument, volontairement souple, est conçu pour s’adapter aux besoins de la pratique financière et semble répondre, pour l’essentiel, aux principales critiques adressées à l’actuel article 2328-1 du Code civil.
L’ordonnance assouplit les modalités de désignation de l’agent des sûretés. Si un acte écrit, mentionnant la qualité d’agent des sûretés, l’objet, la durée de sa mission et l’étendue des pouvoirs qui sont lui conférés demeure obligatoire à peine de nullité, cet acte peut toutefois être indépendant de l’acte qui constate l’obligation garantie et être conclu à tout moment (art. 2488-7). Puisqu’aucune qualité particulière n’est exigée, l’agent de sûretés désigné par les créanciers garantis pourrait être une institution financière ou un tiers, personne physique ou morale.
Par ailleurs, le champ d’intervention de l’agent des sûretés est étendu. Jusqu’à présent cantonnée aux sûretés réelles, la compétence de l’agent des sûretés englobe désormais les sûretés personnelles et les garanties (art. 2488-6), ce qui pourrait notamment inclure, selon le rapport au président de la République sur l’ordonnance, les sûretés de droit étranger et les mécanismes de délégation, solidarité ou porte-fort.
L’ordonnance clarifie aussi la nature de la mission de l’agent des sûretés. Il n’est ainsi pas un mandataire agissant au nom et pour le compte des créanciers bénéficiaires, il agit en son nom propre au titre d’une mission d’ordre fiduciaire. Cela emporte deux conséquences :
- les sûretés étant prises en son seul nom, elles ne seront pas affectées par des changements de créanciers bénéficiaires, ce qui s’avérera précieux en matière de crédit syndiqué ;
- il peut exercer, sans mandat spécial, tout droit dans l’intérêt des créanciers bénéficiaires. Cela inclut toute action en justice (y compris toute déclaration de créance) (art. 2488-9). Simplement, l’agent des sûretés devra toujours mentionner qu’il agit en cette qualité.
Important gage de sécurité pour les créanciers bénéficiaires des sûretés dont il assure la gestion, les sûretés et garanties comme les actifs perçus dans le cadre de leur gestion et de leur réalisation forment un patrimoine d’affectation distinct du patrimoine général de l’agent des sûretés. Ainsi, s’il venait à être frappé d’une procédure collective, elle n’affecterait pas le patrimoine d’affectation. Ce faisant, le nouveau régime de l’agent des sûretés n’est pas sans rappeler celui du security trustee anglo-américain ou celui de l’agent des sûretés créé en droit OHADA.
Quant à la responsabilité de l’agent des sûretés, l’article 2488-12 précise que l’agent des sûretés est responsable, sur son patrimoine propre, des fautes accomplies dans l’exercice de sa mission. Il s’agit donc d’une responsabilité de droit commun que les parties peuvent aménager. Nul doute que se maintiendra la pratique de marché consistant à limiter la responsabilité de l’agent des sûretés à la faute lourde, intentionnelle ou dolosive.
Il est trop tôt pour affirmer que le régime de l’agent des sûretés à la française remplira toutes ses promesses et offrira une alternative crédible aux mécanismes de droit étranger. L’entrée en vigueur de l’ordonnance, puisqu’elle est programmée au 1er octobre 20173, laissera le temps aux praticiens du financement de procéder aux légères modifications de la documentation contractuelle qu’elle implique.
Notes
1 Article 117 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
1 L’article 2328-1 du Code civil relatif à l’agent des sûretés avait déjà fait l’objet d’une retouche à l’occasion de la loi n°2008-776 du 4 août 2008.
3 En supposant qu’elle fera bien l’objet d’un dépôt de projet de loi de ratification dans un délai de six mois suivant sa publication.
Auteurs
Alexandre Bordenave, avocat counsel au sein de l’équipe Titrisation et financements structurés
Benjamin Guilleminot, avocat counsel, Financements Structurés