Cession d’une entreprise relevant d’une UES : le transfert du salarié protégé doit être autorisé !
24 mai 2017
Le transfert d’une entreprise faisant partie d’une unité économique et sociale (UES) doit être considéré comme un transfert partiel d’activité dès lors qu’il n’existait pas de comité d’établissement au niveau de l’unité transférée et qu’un comité d’entreprise avait été mis en place au niveau de l’UES. Dans ces conditions, le transfert du salarié protégé était, conformément aux dispositions de l’article L. 2414-1 du Code du travail, subordonné à l’autorisation de l’inspecteur du travail.
Rappel des conditions du transfert du contrat de travail d’un salarié protégé
Aux termes de l’article L. 1224-1 du Code du travail, lorsqu’une modification survient dans la situation juridique de l’employeur, « notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise », tous les contrats de travail en cours au jour de cette modification sont transférés automatiquement au nouvel employeur. Ce transfert des contrats de travail s’opère de plein droit et s’impose aussi bien au nouvel employeur qu’au salarié qui ne peut le refuser. Si toutefois un salarié s’opposait à ce transfert, son contrat de travail serait rompu. Cette rupture pourrait, selon le cas, s’analyser en une démission (Cass. soc., 10 oct. 2006, n°00-04.325) ou un licenciement (Cass. soc., 25 oct. 2000, n°98-45.422).
La loi apporte cependant un tempérament à cette règle s’agissant du transfert des salariés protégés. Ainsi, si le transfert de l’entreprise dans sa totalité emporte le transfert automatique du contrat de travail des salariés protégés au même titre que celui des autres salariés, tel n’est pas le cas à l’occasion d’une cession partielle d’activité. En effet, dans une telle hypothèse, l’article L. 2414-1 du Code du Travail prévoit que le transfert du salarié protégé ne peut intervenir qu’après autorisation de l‘inspecteur de travail. Cette exigence d’une autorisation préalable s’applique, notamment, aux salariés investis des mandats suivants : délégué syndical et ancien délégué syndical ayant exercé ses fonctions pendant au moins un an ; délégué du personnel ; membre élu du comité d’entreprise ; représentant syndical au comité d’entreprise ; représentant du personnel ou ancien représentant au CHSCT ; défenseur syndical ; salarié mandaté par une organisation syndical pour négocier un accord collectif. On peut noter à cet égard que, ni les conseillers prud’hommes, ni les conseillers du salarié inscrits sur les listes dressées par arrêté préfectoral, ne bénéficient de cette protection.
Par l’instauration de cette autorisation préalable, le législateur a voulu que l’inspecteur du travail s’assure que ce transfert, lorsqu’il ne porte que sur certains établissements ou certains services, n’a pas en réalité pour objectif d’exclure de l’entreprise un salarié protégé, en vérifiant notamment que ce dernier travaille effectivement au sein de l’unité transférée. En cas de refus de l’inspecteur du travail d’autoriser le transfert, il appartient alors à l’employeur de conserver le salarié à son service et de lui proposer un emploi similaire à celui qu’il occupait précédemment assorti d’une rémunération équivalente.
L’application au cas particulier de la cession d’entreprise appartenant à une UES
Dans l’espèce soumise à la Cour de cassation, plusieurs sociétés exploitant des restaurants en location gérance, avaient institué entre elles, par accord collectif, une UES. À la suite de la cession de l’une des sociétés composant cette UES à une entreprise extérieure, l’ensemble du personnel, parmi lequel un salarié désigné délégué syndical puis membre du comité d’entreprise au niveau de l’UES, avait été transféré auprès du nouvel employeur. Le salarié protégé avait alors pris acte de la rupture de son contrat de travail par l’entreprise cédante et demandé la requalification de la rupture en licenciement nul en raison de la violation de statut protecteur.
La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir décidé, après avoir constaté que le comité d’entreprise avait été mis en place au niveau de l’UES, que le licenciement était nul au motif que « le transfert de la totalité des salariés d’une entité économique doit être regardé comme un transfert partiel au sens de l’article L. 2414-1 du Code du travail imposant l’autorisation préalable de l’inspecteur du travail pour le transfert d’un salarié titulaire d’un mandat représentatif, dès lors que l’entité transférée ne constitue pas un établissement au sein duquel a été mis en place un comité d’établissement » (Cass. soc., 23 mars 2017, n°15-24.005). Cette décision confirme la solution retenue par la Chambre sociale sur le même sujet dans un arrêt non publié (Cass. soc., 4 nov. 2015, n°14-17.137).
À cet égard, la Cour de cassation étend à la cession d’une entreprise appartenant à une UES, la solution qu’elle avait adoptée à propos du transfert à une autre entreprise, de l’établissement d’une entreprise qui n’était pas doté d’un comité d’établissement, ce dont il résultait qu’il s’agissait d’une cession partielle d’activité requérant l’autorisation préalable de l’inspecteur du travail pour le transfert d’un salarié protégé (Cass. soc., 15 nov. 2011, n°10-15.294).
Pourtant, l’extension de cette solution au cas particulier du transfert d’une entreprise appartenant à une UES suscite un certain nombre d’interrogations :
- on peut tout d’abord s’interroger sur la légitimité qu’il y a à faire application des dispositions relatives à l’UES pour la mise en place des institutions représentatives du personnel afin de déterminer si on est en présence d’une cession totale ou partielle d’entreprise, laquelle devrait s’apprécier au regard du maintien ou non de la personne morale initiale ;
- en outre, et pour les mêmes raisons, on ne voit pas pourquoi le fait qu’il existe un comité d’établissement au sein de l’entreprise transférée serait de nature à transformer un transfert partiel en transfert total d’activité ;
- enfin, et c’est sans doute l’objection la plus importante, on peut se demander quelles sont les conséquences d’une telle solution, en particulier dans le cas où l’inspecteur du travail refuserait de donner son autorisation à ce transfert. On l’a vu, dans un tel cas, l’employeur initial doit en principe proposer au salarié un emploi similaire assorti d’une rémunération équivalente, or dans une telle hypothèse, aucun poste ne peut être proposé dans l’entreprise initiale puisque les postes vont être transférés en totalité au nouvel employeur, sauf à admettre que dans ce type de situation, l’inspecteur du travail donnera systématiquement son autorisation au transfert, et dans ce cas, on ne voit pas l’intérêt d’exiger qu’il donne son accord. Une telle solution est donc susceptible d’importantes difficultés pratiques et juridiques.
En l’espèce, ces difficultés auraient pu être évitées car un accord conclu au niveau de l’UES prévoyait l’obligation pour le cédant de proposer aux salariés protégés la poursuite de leur contrat de travail dans une autre société de l’UES. En l’absence d’une telle proposition, la Cour de cassation, après avoir rappelé que cette disposition ne constituait pas une dérogation illicite aux dispositions d’ordre public de l’article L. 1224-1 du Code du travail puisque la proposition de transfert devait être intervenir avant la prise d’effet de la cession, fait droit à la demande de dommages-intérêts du salarié, pour non-respect de l’accord d’entreprise.
Auteurs
Béatrice Taillardat Pietri, adjoint du Responsable de la doctrine sociale
Louis Paoli, avocat, droit social
Cession d’une entreprise relevant d’une UES : le transfert du salarié protégé doit être autorisé ! – Article paru dans Les Echos Business le 24 mai 2017
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