Protection de la forme du bâtiment par le droit des marques
La France a une longue tradition de protection des marques dites non traditionnelles. Ainsi le premier enregistrement de la forme d’un conditionnement remonterait à 1835 alors que le premier dépôt de la forme d’un produit, en l’occurrence une tablette de chocolat, daterait de 1858.
Malgré cette attitude ouverte, les formes de bâtiments enregistrées comme marques ne sont pas légion. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce désintérêt des acteurs économiques. Tout d’abord, le droit d’auteur dont l’acquisition ne nécessite aucune formalité et n’entraîne aucuns frais, est facilement reconnu en France, ce qui rend le recours au dépôt de marque, payant quant à lui, moins attractif.
Par ailleurs, l’accueil glacial qu’a réservé la jurisprudence au premier exemple connu de dépôt d’une forme de bâtiment, y est probablement pour beaucoup. En l’espèce, il s’agissait de la forme arrondie du bâtiment des restaurants Courte-Paille et de leur toit en chaume, ainsi représentée :
Ayant constaté qu’un concurrent utilisait une forme très proche, le titulaire de cette marque a décidé de le poursuivre en contrefaçon. C’est dans ce contexte que la Cour de cassation a jugé, en 1972, que : « la forme extérieure d’un bâtiment, revendiquée en elle-même et non pas seulement dans sa reproduction par l’un des modes expressément prévus à l’article 1er de la loi du 31 décembre 1964, n’est pas un signe matériel susceptible de constituer une marque valable pour désigner les services d’une entreprise » (Cass. Com., 29 février 1972, n°70-13.430).
Entre-temps, le droit français des marques a profondément évolué avec la directive 89/104 du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques. Quelles sont donc aujourd’hui les possibilités de protection de la forme du bâtiment par le droit des marques ?
Nous examinerons successivement la protection de la forme extérieure du bâtiment et l’agencement intérieur de l’espace. Et nous terminerons par les conflits de droits qui peuvent naître entre d’une part le droit d’auteur et d’autre par le droit des marques.
La protection de la forme extérieure du bâtiment
Dans la jurisprudence actuelle, il faut distinguer deux cas de figure : celui – le plus courant – dans lequel il est considéré que la forme extérieure d’un bâtiment ne présente pas de caractère distinctif. Puis celui, plus rare, où la forme extérieure du bâtiment lui donne sa valeur substantielle. Dans les deux cas, la reconnaissance de la forme à titre de marque sera refusée.
La forme extérieure du bâtiment ne présente pas un caractère distinctif
Trois décennies après Courte-Paille, la société Smart a également souhaité protéger comme marque la forme du bâtiment d’exposition de ses voitures. Elle a ainsi procédé à un dépôt de la représentation ci-dessous comme marque de l’Union européenne.
Toutefois sa tentative n’a pas eu plus de succès : elle s’est heurtée à un refus d’enregistrement de la part de l’Office européen au motif que « le signe n’était pas suffisamment différent des autres bâtiments d’exposition et de vente de voitures […]. Aucune entreprise ne pouvait se voir accorder un monopole en Europe sur la construction de formes habituelles dans le commerce ».
Smart a fait appel mais la décision de l’examinateur a été confirmée par la 4e chambre de recours (EUIPO ch. recours,7 juillet 2004, R 1/2003-4).
Sur le principe, l’instance supérieure de l’Office considère que « les bâtiments de toutes sortes sont des symboles bien connus des villes et constituant des signes identifiants des institutions et d’entreprises publiques. Le fait que l’article 4 du Règlement sur la Marque de l’Union européenne (RMUE) ne se réfère qu’à la forme des marchandises ou de leur emballage, s’agissant des marques à trois dimensions, n’invalide nullement cette affirmation. Le seul critère pour juger la capacité d’un signe à constituer une marque est sa capacité à être représenté graphiquement et son caractère distinctif dans l’abstrait, non son inclusion dans une liste d’exemples » (point 11).
Concernant le fond elle estime que les formes des bâtiments sont généralement dépourvues de caractère distinctif car le consommateur ne les percevra pas intuitivement comme une indication d’origine des produits ou services concernés. Les entreprises ont besoin de bâtiments pour héberger leurs sièges ou leurs activités de production et de distribution. Le fait qu’un bâtiment appartienne à une entreprise particulière est normalement indiqué par d’autres éléments d’identification tels que les noms, les logos, etc. Bien que les bâtiments d’entreprise de toutes sortes puissent, grâce à leur design véhiculer des idées telles que la solidité, la richesse, le dynamisme ou la fonctionnalité, ou simplement refléter l’esprit supposé des temps, un style particulier ou un goût particulier, le fait que cela fasse fonction d’indication d’origine est plutôt improbable (point 16).
Examinant ensuite les éléments constitutifs du signe tels que la section en forme de croix, la Chambre de recours considère qu’ils seront le plus souvent cachés à la vue de l’observateur par la présence de véhicules. Ainsi, l’impression d’ensemble sera dominée par le cuboïde formé par la dalle supérieure carrée et les barres formant les coins. Le vitrage complet sur six étages n’est en l’espèce pas frappant (point 17).
Pour ces raisons la Chambre de recours confirme le refus d’enregistrement au motif que le signe ne présente pas un caractère distinctif au sens de l’article 7-1, c) RMUE.
Cette rigueur n’est pas spécifique aux marques constituées par la forme d’un bâtiment. Elle est générale à toutes les marques composées de formes tridimensionnelles. En effet selon la jurisprudence de la Cour de Justice, « il convient de tenir compte, dans l’appréciation du caractère distinctif, du fait que la perception du consommateur moyen n’est pas nécessairement la même dans le cas d’une marque tridimensionnelle, que dans le cas d’une marque verbale ou figurative qui consiste en un signe indépendant de l’apparence des produits qu’elle désigne. En effet, les consommateurs moyens n’ont pas pour habitude de présumer l’origine des produits en se fondant sur leur forme ou sur celle de leur emballage, en l’absence de tout élément verbal ou graphique, et il pourrait donc s’avérer plus difficile d’établir le caractère distinctif d’une telle marque tridimensionnelle que celui d’une marque verbale ou figurative » (TUE, 29 avril 2004, T-399/02, Euromex, point 24, au sujet de la forme d’une bouteille de bière, ).
Dans ces conditions, seule une marque qui, de manière significative, divergerait de la norme ou des habitudes du secteur et, de ce fait, remplirait sa fonction essentielle d’origine, peut ne pas être dépourvue de caractère distinctif au sens de l’article 7-1, b), du RMUE (TUE, 24 février 2016, T-411/14, The Coca-Cola Company, point 39, au sujet de la forme d’une bouteille à contours sans cannelures).
Et quand bien même cette forme divergerait des normes et habitudes du secteur, il n’est pas exclu que sa reconnaissance à titre de marque puisse se heurter aux dispositions de l’article 4-1, e), iii, de la directive 2015/2436 du 16 décembre 2015.
La forme extérieure qui donne au bâtiment sa valeur substantielle
L’article 4-1, e), de la directive 2015/2436 prohibe l’enregistrement comme marque des signes constitués exclusivement par la forme :
i) imposée par la nature même du produit
ii) ou nécessaire à l’obtention d’un résultat technique
iii) ou encore qui donne une valeur substantielle au produit.
S’agissant de la forme extérieure d’un bâtiment, il paraît difficile d’imaginer que cette forme puisse être imposée par la nature du produit ou nécessaire à l’obtention d’un résultat technique. En revanche le troisième motif d’interdiction semble plus facilement applicable à ce type de signe.
La forme « qui donne une valeur substantielle au produit » est une notion qui manque de clarté et qui suppose une analyse du comportement du consommateur : cette forme est-elle importante dans la décision d’achat du consommateur ? Si la réponse est positive on devrait pouvoir dire qu’elle donne une valeur substantielle au produit. Dans le cas contraire, elle est indifférente et la marque est valable.
La Cour de Justice a eu à se prononcer sur ce motif d’interdiction dans une affaire mettant en cause une marque Benelux constituée par la représentation d’une chaise pour enfant réglable (CJUE, 18 septembre 2014, , C-205/13, Hauck Gmbh c/ Stoke).
Dans cet arrêt la Cour a jugé que la notion de forme qui donne une valeur substantielle au produit « ne saurait être uniquement limitée à la forme de produits ayant exclusivement une valeur artistique ou ornementale » (point 32). D’autres éléments d’appréciation tels que la catégorie des produits, la spécificité de cette forme par rapport à d’autres formes généralement présentes sur le marché concerné, la différence notable de prix par rapport à des produits similaires ou la mise au point d’une stratégie promotionnelle mettant principalement en avant les caractéristiques esthétiques du produit en cause, peuvent également entrer en ligne de compte (point 35).
L’article 4-1 de la directive était conçu à l’origine pour éviter la perpétuation par le droit des marques de droits temporaires tels que le droit d’auteur ou le droit des dessins et modèles. Mais la Cour de justice lui donne une portée plus large. En effet, ainsi que le préconise l’avocat général dans ses conclusions, le texte « vise également tous les autres produits utilitaires dont le design constitue l’un des éléments essentiels décidant de leur attractivité, et donc de leur succès sur le marché » (point 81). Cette application particulièrement extensive des textes apparaît fondamentalement injuste car plus la forme déposée à titre de marque est créative et s’éloigne des formes habituelles, plus elle est susceptible de tomber sous le coup de l’article 4-1, e), iii, de la directive.
La protection de l’aménagement intérieur du bâtiment
L’aménagement intérieur des locaux commerciaux fait incontestablement partie des éléments d’identification d’une entreprise. C’est pourquoi certaines n’ont pas hésité à déposer comme marque l’image de cet environnement.
La société Apple, notamment, a procédé à des dépôts de marque dans différents pays d’Europe dont l’Allemagne, d’un dessin en couleurs représentant l’espace de vente de ses boutiques, pour les services de commerce.
Doutant du caractère enregistrable d’un tel signe, le Tribunal de brevets allemand a posé deux questions préjudicielles à la CJUE, afin de savoir si la possibilité de protéger le conditionnement d’un produit peut également couvrir la présentation matérialisant un service.
La Cour répond à cette question par l’affirmative : « une représentation qui visualise l’aménagement d’un espace de vente au moyen d’un ensemble continu de lignes, de contours et de formes, peut constituer une marque à condition qu’elle soit propre à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises. Il en est ainsi lorsque l’aménagement visualisé diverge de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur économique concerné » (CJUE, 10 juillet 2014, C-421/13, points 19 et 20).
Si sur le principe, l’aménagement d’un espace de vente peut être protégé comme marque dès lors qu’il présente un caractère distinctif, encore faut-il veiller particulièrement à ce que la représentation renseigne les tiers sur le contenu précis de l’objet du droit. Tel est en substance ce que la Cour de cassation a jugé dans un litige opposant une enseigne de parfumerie à un concurrent Patchouli Valence (Cass. Com., 11 janvier 2000, n°97-19.605).
Dans son pourvoi, Séphora reprochait à la Cour d’appel d’avoir annulé la marque représentée ci-dessous :
Elle arguait qu’en vertu de l’article L.711-1 du Code de la propriété intellectuelle, une forme comme une combinaison de couleurs caractérisant un service peuvent constituer une marque. La Cour d’appel aurait donc dû rechercher si, à partir de la photographie du certificat d’identité de la marque, la combinaison de couleurs (noir, rouge, blanc) et le parti pris d’agencement (chemin rouge, meubles noirs, colonne noire) ne constituaient, dans leur ensemble, un signe distinctif susceptible de constituer une marque de service.
La Cour de cassation rejette cette argumentation. Elle indique que la protection à titre de marque de la forme caractéristique d’un bâtiment dans lequel on propose le service désigné au dépôt est légalement possible dès lors que cette forme est « précise et arbitraire ». En l’espèce néanmoins, la représentation montrait l’intérieur d’un magasin avec de très nombreux éléments, sans qu’on puisse déterminer lesquels d’entre eux seraient distinctifs pour désigner des services de conseils aux particuliers en matière de parfumerie. Or certaines des formes identifiables sont purement fonctionnelles et nécessaires à l’exposition de produits de parfumerie et d’autres ne sont pas identifiables. Partant, la Cour d’appel a pu déduire à juste titre que les éléments complexes et imprécis de la marque déposée par la société Séphora n’avaient aucun caractère distinctif.
Le droit de marque restant une option possible pour la protection de la forme d’un bâtiment et le droit d’auteur la voie naturelle, comment éviter les litiges susceptibles de naître entre eux ?
Droit d’auteur et droit de marque : comment assurer la coexistence ?
Le cessionnaire du droit de reproduction portant sur une création protégée par un droit d’auteur peut-il renforcer ses droits vis-à -vis des tiers, en déposant cette forme comme marque ? Tel était en substance, la question qui était posée à la Cour de cassation dans un litige opposant le dessinateur d’un étui de parfum à son client cessionnaire du droit de reproduction sur ce décor, qui avait eu l’idée de le déposer comme marque.
De manière extrêmement sévère, la Haute Juridiction décide, « qu’aucun usage [n’impose] qu’à elle seule et sauf clause contraire expresse, la cession des droits de reproduction d’une Å“uvre sur des étuis et emballages, implique cession du droit de déposer ce dessin en tant que marque » (Cass. Com., 16 février 2000, n°09-12.262).
Bien que l’article L.131-3 du Code de la propriété intellectuelle dispose que la transmission des droits d’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession, la solution semble critiquable à plusieurs égards.
Tout d’abord le droit de déposer la création cédée à titre de marque n’est pas une prérogative spécifique de l’auteur, tels que peuvent l’être le droit de reproduction ou de représentation, mais plutôt un appendice de ces droits dont la finalité est de renforcer le droit exclusif sur l’œuvre et de permettre ainsi de mieux lutter contre les atteintes de la part des tiers. Cet aspect est particulièrement important dans le domaine de la parfumerie eu égard au phénomène de la contrefaçon.
Peut-on imaginer un seul instant, un auteur qui cède son droit de reproduction sur l’emballage d’un produit industriel destiné à être reproduit en centaines de milliers d’exemplaires, conserver par devers soi le droit de déposer à son nom, voire de céder à un tiers, cette présentation comme marque ? N’est-il pas tenu d’une obligation de garantie laquelle comprend aussi son fait personnel ?
En l’état de la jurisprudence, néanmoins, les praticiens doivent être vigilants et inclure dans leurs contrats de cession non seulement les prérogatives cédées mais également le droit de déposer la forme du bâtiment ou de son agencement comme marque.
Auteur
José Monteiro, Of Counsel, droit de la propriété intellectuelle
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