Les discriminations au travail : quels récents changements ? Comment faire face en pratique à la folie législative dans ce domaine ?
29 juin 2017
Les entreprises sont confrontées à un accroissement des règles en matière de lutte contre les discriminations au travail. Face à ce dédale législatif et à la rigueur des sanctions encourues en cas de reconnaissance par le juge d’une discrimination, il est nécessaire de s’interroger sur les mesures prises au sein de l’entreprise pour lutter contre les discriminations.
Tout d’abord, le législateur n’en finit plus d’allonger la liste des critères de discrimination prohibés, non sans faire preuve d’une certaine démagogie.
Ainsi, l’article L. 1132-1 du Code du travail, qui interdisait déjà les discriminations fondées notamment sur l’origine, le sexe, l’âge, la situation de famille ou encore l’état de santé, interdit :
- depuis juin 2016, les discriminations basées sur « la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur » ;
- mais également, depuis novembre 2016, celles basées sur la « capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français ».
Ces deux derniers critères de discrimination posent évidemment de grandes difficultés d’interprétation, sources d’insécurité juridique pour les entreprises.
Que signifie la notion de « particulière » vulnérabilité ? Est-ce seulement une question de ressources financières de la personne ou est-ce que cela renvoie à une notion de précarité sociale dans laquelle pourraient rentrer en ligne de compte l’âge, la maladie, l’origine ? Dans ce dernier cas, ce critère de discrimination ne fait-il pas alors doublon avec ceux déjà existants ?
Quant à la capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, différentes interprétations de ce critère sont possibles. Est-ce que cela signifie qu’il n’est pas possible de refuser de recruter ou licencier quelqu’un parce qu’il ne parle pas une langue ou au contraire parce qu’il la parle ? Il semblerait que soit ici visée la discrimination fondée sur la capacité à s’exprimer dans une langue étrangère ou régionale autre que le français (en plus du français). En effet, selon Paul Molac, député, il s’agit « de protéger les langues régionales » et « de ne pas en faire un prétexte pour ne pas recruter une personne par exemple ».
Dès lors, doit être posée la question de la pertinence de l’ajout de ce critère de discrimination prohibé. En effet, un employeur qui pose la question des langues parlées à un candidat, en cours d’entretien d’embauche, et qui obtient ainsi des informations sur l’origine de ce candidat motivant le refus de recrutement, pouvait déjà être sanctionné pour avoir commis un acte discriminatoire en raison de l’origine.
Le législateur n’a pas souhaité cesser, en 2017, la production frénétique de critères de discrimination. La loi du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer ajoute, en effet, un nouveau critère de discrimination prohibé, à savoir la « domiciliation bancaire ». Il s’agirait de sanctionner les comportements discriminatoires dont seraient victimes les populations d’outre-mer, notamment dans l’accès au logement et au crédit, en raison d’un compte bancaire domicilié hors de l’hexagone.
Il existe donc actuellement pas moins de 24 critères de discrimination, sans compter les autres comportements discriminatoires prohibés au gré du code du travail : la discrimination en raison de l’exercice normal du droit de grève, la discrimination en raison de l’exercice des fonctions de juré ou de citoyen assesseur, la discrimination pour avoir refusé, en raison de son orientation sexuelle, une mutation géographique dans un Etat incriminant l’homosexualité et la discrimination pour avoir lancé une alerte professionnelle.
Le thème de la discrimination au travail attend, lui aussi, son choc de simplification, désespérément.
L’illisibilité de ces règles est d’autant plus inquiétante pour les entreprises que l’argument de la discrimination est souvent utilisé dans les prétoires. Cela s’explique notamment par le régime spécifique de la preuve des discriminations qui est favorable aux salariés (article L. 1134-1 du Code du travail).
La preuve est d’ailleurs encore facilitée depuis la loi du 27 janvier 2017 qui admet la recevabilité, devant les juridictions civiles, de la preuve obtenue au moyen d’un testing. Le testing consiste, par exemple, à envoyer à un employeur deux CV similaires, à l’exception de ce qui pourrait constituer un motif de discrimination : le premier CV comporte un nom à consonance étrangère et le second CV, un nom d’origine française. L’exclusion par l’employeur de la première candidature constituera une preuve de la discrimination fondée sur l’origine.
L’employeur, et surtout la fonction RH, doivent, dès lors, faire preuve d’une extrême vigilance en matière de discrimination car les sanctions encourues sont sévères. La discrimination est sanctionnée par le Code pénal d’une amende de 45 000 euros (225 000 euros pour les personnes morales) et de 3 ans d’emprisonnement. Un candidat écarté d’une procédure de recrutement pour un motif discriminatoire peut se voir octroyer des dommages et intérêts. Un salarié peut obtenir la nullité de son licenciement s’il est jugé discriminatoire et ainsi être soit réintégré, soit indemnisé s’il refuse sa réintégration.
La nullité du licenciement discriminatoire a d’ailleurs été prononcée dans une décision récente et sévère de la Cour de cassation concernant une salariée de la RATP. En application d’une loi ancienne sur la police des chemins de fers, les agents de contrôle de la RATP doivent être assermentés pour pouvoir être habilités à dresser des procès-verbaux d’infraction. A la suite de son admission dans le cadre permanent de la RATP, une salariée est donc convoquée pour cette prestation de serment devant le TGI de Paris.
Elle refuse, alors, en raison de sa religion chrétienne, de prononcer la formule « je le jure » mais propose au tribunal une formule alternative par laquelle elle s’engage solennellement à respecter la réglementation. Le TGI refuse cette formule et fait acter le refus de la salariée de prêter serment. Cette salariée est licenciée pour faute grave au motif qu’elle n’a pas obtenu son assermentation devant le tribunal.
Selon la Cour de cassation, le licenciement est discriminatoire et donc nul car fondé sur les convictions religieuses de la salariée. L’employeur supporte ainsi les conséquences d’une discrimination, émanant en réalité du TGI, alors même que la salariée n’avait pas obtenu l’assermentation indispensable à ses fonctions (Cass. soc. 1er février 2017 n°16-10.459).
Pour finir, au regard de tous ces éléments, les entreprises doivent mener des actions concrètes en faveur de la lutte contre la discrimination (actions de sensibilisation, actions de formation, partenariats avec les écoles ou les universités pour des actions de promotion de la diversité en entreprise…).
Les entreprises peuvent, pour cela, s’appuyer sur la négociation collective. En effet, la négociation obligatoire sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail doit porter sur les mesures permettant de lutter contre toute discrimination en matière de recrutement, d’emploi et d’accès à la formation professionnelle.
L’organisation de formations, à destination des managers mais aussi des collaborateurs affectés au recrutement, est vivement conseillée.
La loi du 27 janvier 2017 instaure d’ailleurs, dans toute entreprise employant au moins 300 salariés et dans toute entreprise spécialisée dans le recrutement, une nouvelle obligation de formation à la non-discrimination à l’embauche, pour les employés chargés des missions de recrutement, au moins une fois tous les 5 ans.
Il est nécessaire de former les recruteurs et de leur apprendre notamment à conduire des entretiens d’embauche, dans le respect des règles légales.
Les entreprises avec leurs responsables des ressources humaines doivent véritablement se poser la question de l’existence ou de la suffisance d’actions concrètes de lutte contre les discriminations en leur sein pour être en mesure de faire valoir ces actions en cas de contentieux portant sur une mesure prétendument discriminatoire.
Auteurs
Guillaume Bossy, avocat associé, CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon, droit social
Aude Poirier, avocat, CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon, droit social
Les discriminations au travail : quels récents changements ? Comment faire face en pratique à la folie législative dans ce domaine ? – Article paru dans la Gazette ANDRH en mai 2017
A lire également
Rupture brutale des relations commerciales établies – Quelles sanctions e... 26 novembre 2013 | CMS FL
Montant des sanctions : pas d’incidence systématique de l’appartena... 6 juillet 2016 | CMS FL
Convention collective des journalistes et indépendance éditoriale : cas pratiq... 10 août 2017 | CMS FL
Le curieux licenciement économique pour refus de mobilité... 12 juin 2013 | CMS FL
Identifier les usages d’entreprise et évaluer l’opportunité de leur dénon... 23 avril 2020 | Pascaline Neymond
Réforme Macron : la nouvelle et salutaire prévisibilité de l’indemnisation ... 1 décembre 2017 | CMS FL
L’accord de performance collective à l’épreuve du contrôle de l&r... 18 octobre 2019 | Pascaline Neymond
Individualisation de l’activité partielle : du « sur-mesure » pour la repri... 8 juin 2020 | CMS FL Social
Articles récents
- La « charte IA » : un outil de contrôle et de conformité désormais incontournable
- Rapport de durabilité : la nouvelle obligation de consultation du CSE entre en vigueur le 1er janvier 2025
- Statut de lanceur d’alerte : le Défenseur des droits et la jurisprudence précisent ses contours
- Enquêtes internes : des règles en constante évolution
- Pas de co-emploi sans immixtion dans la gestion économique et sociale de la société : illustration en présence d’une société d’exploitation
- Fixation du plafond de la sécurité sociale pour 2025
- Un salarié licencié pour harcèlement sexuel ne peut se prévaloir du phénomène «#Metoo»
- Régimes de retraite des dirigeants : prestations définies versus actions gratuites
- SMIC : Relèvement du salaire minimum de croissance au 1er novembre 2024
- Inaptitude et reclassement : c’est au salarié qu’il appartient de rapporter la preuve d’une déloyauté de l’employeur