Contestation des avis médicaux : une procédure en quête de clarification
12 juillet 2017
La loi du 8 août 2016 a profondément modifié le régime de la contestation des avis du médecin du travail en substituant un recours devant la formation de référé du conseil de prud’hommes chargée notamment de désigner un médecin-expert, au recours devant l’inspecteur du travail jusqu’alors applicable.
Le décret d’application de cette disposition (décret n°2016-1908 du 27 décembre 2016), organisant la procédure nouvelle entrée en vigueur le 1er janvier 2017, a suscité de nombreuses interrogations quant à sa mise en œuvre. Pour pallier ces difficultés, un décret modificatif (décret n°2017-1008 du 10 mai 2017) a été publié.
Certaines dispositions clarifiées
Selon les dispositions de la loi du 8 août 2016 et du décret du 27 décembre 2016, les éléments de nature médicale des avis et propositions émis par le médecin du travail peuvent faire l’objet d’une contestation devant la formation de référé du conseil de prud’hommes dans un délai de quinze jours à compter de leur notification. Aux termes de ces textes, cette saisine ne semblait initialement avoir d’autre objet que la désignation d’un médecin expert dont il n’était pas prévu que l’avis se substitue à celui du médecin du travail. Cette rédaction laissait en suspens la question de savoir qui devait se prononcer sur les avis rendus par le médecin du travail et le médecin expert, étant entendu que la formation de référé du conseil de prud’hommes n’a pas vocation à rendre de décisions au fond. Sur cette question, le décret du 10 mai 2017 prévoit désormais que le conseil de prud’hommes statuant « en la forme des référés », rend une décision au fond qui se substitue aux éléments de nature médicale qui ont justifié les avis et propositions du médecin du travail.
Une autre difficulté concernait la détermination des parties au litige portant sur la contestation des éléments médicaux. Bien que la juridiction prud’homale soit en principe compétente pour connaitre des contentieux susceptibles de s’élever à l’occasion du contrat de travail entre les employeurs et les salariés, il semblait logique que s’agissant d’un litige opposant l’employeur ou le salarié au médecin ayant rendu l’avis, ce dernier soit effectivement partie à l’instance. Pourtant, dans un courrier adressé aux DIRECCTE le 3 février 2017, le ministère du travail, rappelant la compétence d’attribution du conseil de prud’hommes, retenait que le médecin du travail ne pouvait être partie au litige qui devait donc opposer l’employeur et le salarié, alors même qu’il n’y avait, le cas échéant, aucun litige entre eux. Cette solution est confirmée par le décret du 10 mai 2017 qui retient que le médecin du travail, informé de la contestation, n’est pas partie au litige.
Par ailleurs, en substituant, au recours devant l’inspecteur du travail, un recours devant le conseil de prud’hommes, la loi a institué une procédure payante au lieu et place de la procédure gratuite existante, puisqu’il y a désormais lieu de payer des frais d’expertise. Le nouvel article R. 4624-45-1 du code du Travail précise à cet égard que le président de la formation de référé fixe le montant de la rémunération de l’expert et qu’une provision des sommes dues à ce dernier doit être consignée à la caisse des dépôts et consignations par le demandeur. Le coût final de l’expertise est en principe mis à la charge de la partie perdante. Toutefois, il est expressément prévu que la juridiction peut décider de ne pas mettre ces frais à la charge de cette dernière si la procédure n’est pas dilatoire ou abusive.
Enfin, le texte, dans sa nouvelle rédaction, précise que la décision du conseil de prud’hommes de charger le médecin inspecteur d’une consultation relative à la contestation ne peut intervenir qu’après que le médecin expert a été désigné. Ce même texte reconnaît au médecin expert, non seulement la possibilité d’obtenir communication du dossier médical en santé au travail du salarié, mais aussi d’entendre le médecin du travail.
Quelques questions toujours en suspens
Saisi du projet de décret modificatif, le conseil de la prud’homie a considéré le 28 mars 2017 à l’unanimité, que « les ajustements réglementaires ne répondent absolument pas aux difficultés générées par les incohérences du nouveau système légal de contestation des décisions prises par les médecins du travail ». Comme une partie des praticiens du droit, il a donc demandé une remise à plat de cette procédure.
En effet, malgré les précisions apportées par le décret du 10 mai 2017, certaines questions demeurent encore sans réponse. Parmi celles-ci, on peut notamment mentionner celle qui concerne le sens à donner à l’expression « éléments de nature médicale » qui sont, aux termes du texte, les seuls susceptibles de pouvoir faire l’objet d’une contestation devant le conseil de prud’hommes statuant en la forme des référés. Car, ces éléments ne sont pas définis. A notre avis, il ne devrait pas pouvoir s’agir des raisons purement médicales qui ont présidé à la décision du médecin du travail puisque ces informations sont couvertes par le secret médical mais plus vraisemblablement des propositions d’adaptation, d’aménagement ou de transformation du poste, voire de la déclaration d’aptitude ou d’inaptitude.
Par ailleurs, on peut également s’interroger sur la possibilité de contester ou non les éléments de nature non médicale des avis, propositions et conclusions du médecin du travail, tels que le non-respect de la procédure de déclaration de l’inaptitude : doit-on déduire du texte que ces éléments ne peuvent en aucun cas être contestés ? Il nous semble qu’une telle contestation demeure possible et qu’elle devrait s’inscrire dans le cadre d’une saisine du conseil de prud’hommes dans les conditions du droit commun.
En dernier lieu, les textes ne donnent aucune précision sur le délai de désignation d’un médecin expert ni sur le délai imparti à celui-ci pour se prononcer. Or, cette question n’est pas sans incidence pour l’employeur compte tenu de l’obligation qui lui est faite par les articles L. 1226-4 et L. 1226-11 du Code du travail de reprendre le versement des salaires à l’issue du délai d’un mois à compter de la déclaration d’inaptitude.
On le voit, malgré de louables tentatives pour clarifier et sécuriser le dispositif de contestation des avis du médecin du travail, quelques incertitudes demeurent quant au périmètre du recours et à ses modalités de mise en œuvre. Mais, comme cela a été annoncé, les prochaines réformes du Code du travail devraient être l’occasion de sécuriser encore les modalités de contestation des avis du médecin du travail.
Auteurs
Marie-Pierre Schramm, avocat associée, spécialisée en conseil et en contentieux dans le domaine du droit social
Béatrice Taillardat Pietri, adjoint du Responsable de la doctrine sociale
Contestation des avis médicaux : une procédure en quête de clarification – Article paru dans Les Echos Business le 11 juillet 2017
A lire également
Procédure prud’homale : une réforme utile mais incomplète... 5 mars 2015 | CMS FL
L’obligation de sécurité de résultat : des excès au recadrage... 29 février 2016 | CMS FL
Dans quel cadre désigner un délégué syndical ?... 30 juin 2016 | CMS FL
Covid-19 : renforcement des outils de gestion de la crise sanitaire... 25 janvier 2022 | Pascaline Neymond
Médecine du travail : une réforme source d’interrogations... 16 mars 2017 | CMS FL
Le CSE à l’heure des renouvellements 27 avril 2022 | Pascaline Neymond
Le médecin du travail ne deviendrait-il pas le nouveau DRH des entreprises ?... 14 avril 2023 | Pascaline Neymond
Basculement des arrêts de travail dérogatoires en activité partielle : un dis... 27 mai 2020 | CMS FL Social
Articles récents
- Rapport de durabilité : la nouvelle obligation de consultation du CSE entre en vigueur le 1er janvier 2025
- Statut de lanceur d’alerte : le Défenseur des droits et la jurisprudence précisent ses contours
- Enquêtes internes : des règles en constante évolution
- Pas de co-emploi sans immixtion dans la gestion économique et sociale de la société : illustration en présence d’une société d’exploitation
- Fixation du plafond de la sécurité sociale pour 2025
- Un salarié licencié pour harcèlement sexuel ne peut se prévaloir du phénomène «#Metoo»
- Régimes de retraite des dirigeants : prestations définies versus actions gratuites
- SMIC : Relèvement du salaire minimum de croissance au 1er novembre 2024
- Inaptitude et reclassement : c’est au salarié qu’il appartient de rapporter la preuve d’une déloyauté de l’employeur
- Conférence – Gestion des fins de carrière : que font les entreprises et quelles solutions à dispositions ?