Image Image Image Image Image Image Image Image Image Image
Scroll to top

Haut

Marque « Cheval blanc » : conclusion de la saga judiciaire

Marque « Cheval blanc » : conclusion de la saga judiciaire

On pourra désormais parler de la « saga du Cheval Blanc », tant cette affaire a connu de rebondissements. Tout commence en 2008, lorsque la SC Château Cheval Blanc, exploitant viticole à Saint Emilion et producteur d’un premier grand cru classé A, assigne l’EARL Cheval Blanc, exploitant viticole et producteur, cette fois d’un vin d’appellation d’origine contrôlée dit de « grande consommation ».

Alors que la SC Château Cheval Blanc est titulaire de la marque semi-figurative « Cheval Blanc » n°1301809, déposée en 1933 et régulièrement renouvelée depuis, désignant en classe 33 notamment des vins et vins de provenance française, l’EARL Cheval Blanc est titulaire des marques suivantes, désignant également du vin en classe 33 :

  • marque nominative « Domaine du Cheval Blanc » n°1291368 ;
  • marque nominative « Château Relais du Cheval Blanc » n°127221 ;
  • marque semi-figurative représentant une tête de cheval harnachée n°033205896.

Le demandeur agit sur le double fondement de l’annulation de ces marques et de la dénomination sociale EARL Cheval Blanc, devenue depuis lors la société Chaussié de Cheval Blanc pour déceptivité (articles L.711-3 et L.714-6 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) et article L.217-1 du Code de la consommation), et de la contrefaçon par imitation à titre subsidiaire.

Après des examens successifs en première instance, en appel puis en cassation, l’affaire est renvoyée pour nouvel examen devant la cour d’appel de Bordeaux, qui estime prescrite l’action fondée sur le caractère déceptif de la marque « Domaine du Cheval Blanc » (CA Bordeaux, 5 mai 2015, n°14/00275). Elle déboute le demandeur de sa demande en nullité de la marque figurative en écartant son caractère déceptif, mais fait droit à sa demande relative à l’usage des termes « Cheval Blanc » dans la dénomination sociale du défendeur.

Mettant fin à presque dix années de procédure, la Cour de cassation a finalement tranché le 7 juin dernier (Cass. com, 8 juin 2017, n°15-21.357), jugeant prescrite l’action fondée sur le vice de déceptivité et rejetant le moyen évoquant le préjudice subi par le demandeur du fait de l’utilisation du vocable « Cheval Blanc » dans la dénomination sociale du défendeur.

La prescription de l’action fondée sur le vice de déceptivité de la marque « Domaine du Cheval Blanc »

On sait que la marque a pour fonction première l’indication d’une origine. Etroitement liée au droit de la consommation, elle doit permettre au consommateur d’identifier la provenance d’un produit. C’est ce principe qui donne toute sa raison d’être au concept de déceptivité. En effet, en vertu de l’article L.711-3 du CPI, une marque ne peut être de nature à « tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service ». Or, dans le domaine viticole la question de la provenance du produit est d’autant plus importante qu’elle détermine la qualité du produit, ses caractéristiques essentielles, etc., et bien souvent son prix. Plus encore que dans les autres domaines, le consommateur doit alors pouvoir choisir le cru selon son origine et donc selon sa marque.

L’affaire du Cheval Blanc est sur ce point un cas d’école, puisqu’elle opposait un premier grand cru classé A (la plus haute catégorie pour les vins de Saint Emilion), à un cru plus modeste également bordelais. Le consommateur d’attention moyenne risquait fort de prendre le second cru pour une récolte particulière liée au grand cru Cheval Blanc. De là à conclure au caractère déceptif de la marque « Domaine du Cheval Blanc », il n’y avait qu’un jugement. La question n’a pourtant même pas été examinée car en l’espèce, le débat ne portait pas sur le vice de déceptivité, mais sur la prescription de l’action.

Le principal argument évoqué par les demandeurs au pourvoi était fondé sur le principe selon lequel le vice de déceptivité ne peut être purgé ni par le temps, ni par l’usage. Ainsi, tant que la marque litigieuse demeurerait en vigueur, tout tiers pourrait en demander la nullité sur ce fondement. La Cour de cassation rejette ce moyen, estimant que l’action fondée sur le vice de déceptivité est soumise aux délais de prescription de droit commun : dans le cas d’espèce la réforme de la prescription n’ayant pas vocation à s’appliquer, il convenait de retenir le délai de trente ans.

La Cour ne retient pas davantage le caractère continu de l’infraction civile, et fait courir le délai de prescription de trente ans à compter de la date du dépôt de la marque. La marque litigieuse ayant été déposée le 18 juillet 1973, l’action était alors prescrite depuis le 18 juillet 2003.

Une telle décision n’est pas si surprenante, tant il est rare de trouver des exemples d’imprescriptibilité, a fortiori en droit des marques. Surtout, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de préciser, dans une affaire impliquant également des exploitants viticoles, que l’action en nullité d’une marque déceptive n’est ni une action en contrefaçon, ni une action en revendication. Par conséquent, elle n’est pas soumise aux règles de prescription et de forclusion des articles L.712-6 et L.716-5 du CPI prévoyant une prescription triennale (Cass. com, 13 octobre 2009, n°08-12.270). On pouvait alors déduire de cette décision que l’action était soumise aux délais de prescription de droit commun.

Il manquait cette précision pour que la jurisprudence soit établie : c’est maintenant chose faite avec la décision « Cheval Blanc ».

La réparation du préjudice découlant de la contrefaçon

Le second moyen de pourvoi concernait la demande en contrefaçon visant la dénomination sociale de la société « Chaussié de Cheval Blanc ». Les demandeurs évoquaient en effet le préjudice causé par la contrefaçon – reconnue par la Cour d’appel – tirée de la reprise du vocable « Cheval Blanc » dans la dénomination sociale du défendeur. Le moyen s’attachait donc à démontrer que le seul acte de contrefaçon implique en lui-même un préjudice, s’appuyant sur l’article L.716-1 du CPI.

Le pari était risqué, puisque les demandeurs tentaient ainsi de transposer en contrefaçon un principe jurisprudentiel s’appliquant à la concurrence déloyale. Une jurisprudence constante, réaffirmée en 2017, énonce en effet qu’il « s’infère nécessairement d’actes de dénigrement constitutifs de concurrence déloyale un trouble commercial générant un préjudice, fût-il seulement moral » (not. Cass. com, 11 janvier 2017, n°15-18.669).

Sans surprise, la Cour écarte cet argument en évoquant le principe de réparation intégrale du préjudice. En l’espèce, les propriétaires du grand cru classé « Cheval Blanc » ne démontraient pas avoir subi un quelconque préjudice du fait de l’usage du vocable « Cheval Blanc » par leurs concurrents. La seule interdiction de l’usage de ce vocable telle que l’a décidée la Cour d’appel suffisait à réparer l’entier préjudice des demandeurs.

Il ressort de cet arrêt un avertissement clair aux titulaires de marques : la vigilance face aux marques concurrentes potentiellement déceptives doit être constante. En effet, la prescription hier trentenaire, aujourd’hui quinquennale, enferme l’action dans des délais extrêmement brefs. Comme en matière de contrefaçon, la défense des marques doit être placée sous le signe de la surveillance et de la réactivité.

 

Auteurs

José Monteiro, of Counsel, droit de la propriété intellectuelle

Clotilde Patte, juriste, droit de la propriété intellectuelle