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Marque « Laguiole » : legem faciens, non justicia dico

Marque « Laguiole » : legem faciens, non justicia dico

La décision du 5 avril 2017 de la Cour de justice de l’Union européenne illustre bien le proverbe latin selon lequel « dire le droit n’est pas (toujours) faire justice » (CJUE, 5 avril 2017, C-598/14 P, EUIPO c/ Gilbert Szajner).

Il est de notoriété publique qu’un important contentieux oppose depuis des années le maire et les industriels de la commune de Laguiole à un certain Gilbert Szajner qui, profitant de l’absence de protection du nom LAGUIOLE, l’a fait enregistrer en son nom, dans de nombreux pays dont la France et l’Union européenne et dans les domaines les plus variés.

Les faits sont relativement simples. Invoquant la protection de sa dénomination sociale, les Forges de Laguiole ont engagé une action en annulation de la marque de l’UE (MUE) LAGUIOLE devant l’Office européen pour la protection de la propriété intellectuelle (EUIPO). La 1re chambre de recours de l’Office lui a donné raison et annulé cette marque pour tous les produits couverts à l’exclusion des services de communication.

Pour décider ainsi, la chambre de recours a fait application des dispositions des articles 8-4 et 52-1 du règlement 207/2009 du 26 février 2009 sur la marque de l’UE. Par lecture combinée de ces articles, un signe autre qu’une marque peut être invoqué dans le cadre d’une opposition ou servir de fondement à une action en annulation d’une MUE, à condition qu’il soit utilisé dans la vie des affaires, que le droit ait été acquis antérieurement à la date de la marque de l’UE et enfin que selon le droit de l’Etat membre concerné, il permette à son titulaire d’interdire l’enregistrement ou l’usage d’une marque identique ou similaire plus récente (TUE, 24 mars 2009, T-318/06, General Optica, point 32). Ces quatre conditions sont cumulatives.

En l’espèce, pour justifier sa décision, la chambre de recours a fait application de la jurisprudence dominante de la Cour de cassation (voir notamment : Cass. com., 21 mai 1996, n°94-16.531, NRJ), selon laquelle une dénomination sociale est protégée par principe pour toutes les activités couvertes par son objet social sauf lorsque cet objet est imprécis, auquel cas la protection est limitée aux activités effectivement et concrètement exercées par la société. Or, en l’espèce, l’objet social de la demanderesse à l’action en annulation à savoir, « fabrication et vente de tous articles de coutellerie, cisellerie, articles cadeaux et souvenirs – tous articles liés aux arts de la table », répondait bien à l’exigence de précision.

L’affaire aurait pu s’arrêter là mais monsieur Szajner a engagé un recours devant le Tribunal de l’Union européenne (TUE) et bien lui a pris car entre-temps la Cour de cassation a changé profondément le sens de sa jurisprudence. Dans un arrêt du 10 juillet 2012, elle a jugé que la protection de la dénomination sociale s’étendait désormais exclusivement aux activités exercées par la personne morale sous son nom et non à celles énumérées dans ses statuts (Cass. com., 10 juillet 2012, n°08-12.010, décision « Cœur de princesse »).

Prenant acte de ce changement important, le Tribunal a réformé la décision de la chambre de recours en ce qu’elle avait annulé la marque LAGUIOLE pour les produits autres que les articles de coutellerie, cuillers, scies, rasoirs, lames de rasoirs, limes et pinces à ongles, coupe-ongles, coupe-papier, tire-bouchons, ouvre-bouteilles et les coupe-cigares.

Dans l’arrêt commenté la Cour de Justice approuve. Aux points 42 et 43 elle déclare que, dans le cadre du contrôle de légalité de la décision de l’EUIPO auquel il doit procéder, le Tribunal doit prendre en compte toutes les circonstances même si elles se sont révélées postérieurement à la décision de la chambre de recours. Partant il doit appliquer la règle du droit telle qu’interprétée par les juridictions nationales à la date à laquelle il rend sa décision.

 

Auteur

José Monteiro, of Counsel, droit de la propriété intellectuelle