Le salarié créateur de logiciel : l’articulation délicate entre droit d’auteur et le droit du travail
4 août 2017
Le logiciel se définit comme « l’ensemble des programmes, procédés et règles et éventuellement de la documentation, relatifs au fonctionnement d’un ensemble de traitement de données »1. Selon le Code de la propriété intellectuelle, le logiciel est considéré comme une œuvre de l’esprit, et par conséquent son créateur bénéficie d’une protection et de droits particuliers, tels que le droit d’exploitation de l’œuvre.
Traditionnellement, le droit d’auteur appartient au seul créateur de l’œuvre, et ce quand bien même l’auteur est salarié et réalise la création protégée dans le cadre et en exécution de son contrat de travail. La situation est cependant bien différente s’agissant des logiciels.
En effet, le Code de la propriété intellectuelle prévoit que les droits sur les logiciels sont dévolus automatiquement à l’employeur, contrairement au régime du droit d’auteur applicable aux créations littéraires et artistiques.
La cession du logiciel créé par le salarié dans le cadre de sa mission est automatique ne fait pas l’objet d’une rémunération supplémentaire
Lorsque le logiciel est créé par un salarié dans l’exercice de ses fonctions ou d’après les instructions de son employeur, les droits patrimoniaux sur ce logiciel sont dévolus automatiquement à l’employeur, seul habilité à exercer ces droits sans qu’il soit nécessaire d’organiser contractuellement le transfert de droit et ce en application de la loi. Des dispositions contractuelles peuvent néanmoins aménager ces principes.
Le logiciel doit avoir été créé postérieurement à la conclusion du contrat de travail. En effet, les droits de propriétés portant sur un logiciel ne sont pas dévolus à l’employeur lorsque la version développée pendant le contrat de travail n’est qu’une adaptation d’un logiciel créée avant l’embauche du salarié par ce dernier.
Ce régime exceptionnel autorise l’employeur à bénéficier des droits patrimoniaux sur le logiciel. En revanche, le salarié conserve les droits moraux. Aucune disposition ne prévoit de rémunération supplémentaire de l’employeur au profit du salarié, créateur de logiciel.
Pour pouvoir se prévaloir de cette dévolution automatique des droits patrimoniaux, il revient à l’employeur en cas de contestation, d’établir que le créateur du logiciel exerçait dans l’entreprise ses fonctions dans le cadre d’un contrat de travail, dans un lien de subordination, sur instruction de l’employeur. Une telle démonstration peut dans certains cas s’avérer difficile lorsque les fonctions exercées ne comprennent pas nécessairement de missions de développement informatiques ou de programmation.
En outre, précisons que ces dispositions ne sont donc pas applicables lorsque le créateur est un indépendant travaillant en collaboration avec les services de l’entreprise (auto-entrepreneur ou prestataire de services). Dans ces hypothèses, le droit commun d’auteur s’appliquerait. Les régimes des œuvres de collaboration, des œuvres collectives ou de « copropriété » pourraient le cas échéant s’appliquer si les créateurs indépendants interviennent en coordination avec les salariés de l’entreprise pour l’analyse, la conception et le développement effectif du logiciel. Dans ces configurations complexes, le contrat de prestation de service pourra aménager la cession ou la concession de certains droits en tentant compte pour chaque créateur du régime des droits d’auteur applicable, selon son statut.
Lorsque le logiciel est créé par le salarié en dehors du cadre de ses fonctions, il bénéficie sur celui-ci des mêmes droits que tout créateur d’œuvres de l’esprit.
Le logiciel créé par le salarié hors du cadre de sa mission reste sa propriété. L’employeur désireux d’en acquérir les droits devra formuler une offre d’achat, que le salarié est libre d’accepter ou non. Dès lors que le logiciel a été créé hors du cadre du contrat de travail, le régime général de cession des droits d’auteur, qui prévoit que la cession des droits patrimoniaux sur le logiciel peut être totale ou partielle, a vocation à s’appliquer.
Une telle cession implique qu’un accord soit trouvé sur le prix de cession. Ici encore, le régime du logiciel fait exception puisque contrairement au prix de cession des droits d’auteur sur les créations traditionnelle, qui doit être proportionnel aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation de l’œuvre, le prix de cession du logiciel peut être forfaitaire.
Ce régime, moins favorable à l’employeur, confirme toute l’importance de la définition des missions du salarié dans son contrat de travail ou à l’occasion des projets qui lui sont confiés, notamment lorsqu’ils impliquent directement ou indirectement la création d’un logiciel.
Note
1 Arrêté du 22 décembre 1981 relatif à l’enrichissement du vocabulaire de l’informatique (Journal Officiel du 17 janvier 1982).
Auteurs
Anne-Laure Villedieu, avocat associée en droit de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.
Maïté Ollivier, avocat en droit social
Le salarié créateur de logiciel : l’articulation délicate entre droit d’auteur et le droit du travail – Article paru dans Les Echos Business le 2 août 2017
A lire également
Maternité : pas de report de la protection en cas de congé conventionnel suppl... 15 février 2017 | CMS FL
Droit social : quand la RSE devient source d’obligations et d’opportunités ... 21 juin 2021 | Pascaline Neymond
Impacts du « Brexit » en droit du travail et en droit de la sécurité sociale... 28 janvier 2021 | CMS FL Social
« Ecolab » versus « Kairos-Ecolab » : précisions sur la notion de posit... 4 novembre 2016 | CMS FL
Contrat informatique : absence de déséquilibre significatif en présence de cl... 9 novembre 2016 | CMS FL
Les manquements anciens de l’employeur ne justifient pas la rupture à ses to... 1 juin 2016 | CMS FL
Windows 10 : la CNIL met Microsoft en demeure... 15 novembre 2016 | CMS FL
Le consentement aux traitements d’analyse des correspondances électroniqu... 16 août 2017 | CMS FL
Articles récents
- Rapport de durabilité : la nouvelle obligation de consultation du CSE entre en vigueur le 1er janvier 2025
- Statut de lanceur d’alerte : le Défenseur des droits et la jurisprudence précisent ses contours
- Enquêtes internes : des règles en constante évolution
- Pas de co-emploi sans immixtion dans la gestion économique et sociale de la société : illustration en présence d’une société d’exploitation
- Fixation du plafond de la sécurité sociale pour 2025
- Un salarié licencié pour harcèlement sexuel ne peut se prévaloir du phénomène «#Metoo»
- Régimes de retraite des dirigeants : prestations définies versus actions gratuites
- SMIC : Relèvement du salaire minimum de croissance au 1er novembre 2024
- Inaptitude et reclassement : c’est au salarié qu’il appartient de rapporter la preuve d’une déloyauté de l’employeur
- Conférence – Gestion des fins de carrière : que font les entreprises et quelles solutions à dispositions ?