Groupements autonomes de moyens et TVA
La Cour de Justice de l’Union Européenne exclut de l’exonération de TVA les groupements dont les membres poursuivent une activité bancaire, financière ou d’assurances.
I – Par un arrêt du 4 mai et trois arrêts du 21 septembre 2017, la CJUE précise sa position
Après un premier arrêt du 4 mai 2017, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu le 21 septembre 2017 trois nouveaux arrêts dans lesquels elle poursuit sa lecture restrictive du champ d’application de l’article 132 paragraphe 1-f de la directive 2006/112 (transposé à l’article 261 B du Code Général des Impôts), aux termes duquel sont exonérées « les prestations de services effectuées par des groupements autonomes de personnes exerçant une activité exonérée ou pour laquelle elles n’ont pas la qualité d’assujetti, en vue de rendre à leurs membres les services directement nécessaires à l’exercice de cette activité, lorsque ces groupements se bornent à réclamer à leurs membres le remboursement exact de la part leur incombant dans les dépenses engagées en commun, à condition que cette exonération ne soit pas susceptible de provoquer des distorsions de concurrence ».
Dans son premier arrêt du 4 mai 2017 la Cour avait notamment indiqué qu’en adoptant un régime de TVA relatif aux groupements autonomes de personnes qui, premièrement, prévoit une exonération pour les services rendus par le groupement à ses membres dès lors que la part de leurs activités taxées n’excède pas 30% de leur chiffre d’affaires annuel, deuxièmement, autorise les membres du groupement à déduire la TVA d’amont ayant grevé les biens ou services fournis au groupement lui-même, et troisièmement, prévoit une exonération pour les opérations effectuées par un membre du groupement en son nom mais pour le compte du groupement, un Etat membre manque aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 132 paragraphe 1-f la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006.
Dans les trois arrêts rendus le 21 septembre, la CJUE considère que cette disposition exclut de l’exonération de TVA les groupements de moyens dont les membres poursuivent une activité bancaire, financière ou d’assurances.
Ce faisant, la Cour de Justice s’écarte de l’avis de la Commission européenne et condamne la législation de la majorité des États membres.
II – Le point sur les interprétations en présence
La Commission européenne faisait valoir que l’exonération de TVA prévue à l’article 132 paragraphe 1-f de la directive 2006/112 n’est pas limitée aux groupements de moyens dont les membres exercent des activités d’intérêt général, mais vise tous les groupements de moyens dont les membres exercent une activité exonérée de la TVA.
Mais, pour sa part, la Cour de Justice précise qu’il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie.
S’agissant du contexte dans lequel s’inscrit l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/112, la Cour souligne que cette disposition figure au chapitre, intitulé « Exonérations en faveur de certaines activités d’intérêt général », du titre IX de cette directive. Selon elle, cet intitulé indique que l’exonération prévue à ladite disposition ne vise que les groupements de moyens dont les membres exercent des activités d’intérêt général.
En ce qui concerne l’objectif de l’article 132, paragraphe 1, sous f), la Cour rappelle la finalité de l’ensemble des dispositions de l’article 132 de la directive 2006/112, qui consiste à exonérer de la TVA certaines activités d’intérêt général, en vue de faciliter l’accès à certaines prestations ainsi que la fourniture de certains biens, en évitant les surcoûts qui découleraient de leur assujettissement à la TVA.
Aussi, les prestations de services fournies par un groupement de moyens relèvent de l’exonération de TVA uniquement lorsqu’elles contribuent directement à l’exercice d’activités d’intérêt général.
Il en découle que ne sauraient relever de l’exonération prévue à l’article132, paragraphe 1, sous f) des prestations de services qui contribuent non pas directement à l’exercice d’activités d’intérêt général visées à cet article132, mais à l’exercice d’autres activités exonérées, notamment bancaires et financières.
Cette interprétation volontairement restrictive de la Cour de Justice suscite nos critiques car la consultation des travaux préparatoires à la sixième directive montre que le débat sur la portée de l’exonération réservée aux groupements de moyens portait sur un choix entre une portée réservée au secteur médical ou une portée étendue à l’ensemble des groupements professionnels (voir notamment Conseil des Communautés européennes, note de la Présidence du 8 décembre 1976 R/3034/76 ; session du 16 décembre et note du 26 novembre 1976 R/2900/76). L’analyse la plus large, soutenue par la France, sera finalement retenue puisque l’article 13, A-1-f de la sixième directive du 17 mai 1977 ne limite pas la portée de l’exonération qu’il institue aux seuls groupements constitués dans le secteur médical mais prévoit que l’activité des membres doit être exonérée de TVA sans autre restriction. C’est pourquoi la Commission européenne faisait également valoir devant la Cour de Justice que l’intitulé de ce chapitre serait le résultat d’une négligence rédactionnelle, qui serait expliquée par le fait que la proposition initiale de sixième directive prévoyait une limitation de l’exonération en cause aux GAP à caractère médical ou paramédical.
De plus, une note de la présidence du Conseil de l’Union européenne en date du 8 novembre 2010 indique :
« Pour ce qui est de l’exonération applicable au partage des coûts, des progrès ont été réalisés dans la mesure où il a été établi que les dispositions existantes en matière de partage des coûts, qui sont énoncées à l’article 132, 1-f de la directive TVA, sont déjà applicables aux services financiers et aux services d’assurance. Il ne serait ainsi plus nécessaire, du moins à ce stade, de mener des travaux complémentaires au niveau du Conseil sur les règles particulières applicables dans ce domaine en ce qui concerne lesdits services » (point 6).
Il résulte clairement de cette note que le Conseil estimait établi que le champ d’application des dispositions de l’article 132, 1-f de la directive inclut depuis l’origine de la 6ème directive les groupements de moyens constitués par des entreprises du secteur bancaire et de l’assurance.
On peut donc se demander pourquoi la Cour de Justice n’a pas suivi ces arguments et a persisté à se référer à sa jurisprudence traditionnelle , qu’elle reprend dans ces trois arrêts, selon laquelle le champ d’application des exonérations visées à l’article 132 de la directive 2006/112 est d’interprétation stricte, au motif qu’elles constituent des dérogations au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti…
La première question que l’on peut se poser à la suite de ces arrêts est celle de la modification de la législation française en vue de sa mise en conformité avec l’interprétation faite par la Cour. Pour l’instant le projet de loi de finances pour 2018 ne prévoit rien de tel.
Pour le passé, notons que la Cour a pris la précaution d’indiquer que les principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité s’opposent à ce que le bénéfice de l’exonération de TVA soit remis en cause sur le fondement des arrêts qu’elle vient de rendre dans les États membres qui ont autorisé l’application de l’exonération aux groupements de moyens constitués dans les secteurs de l’assurance ou des services financiers. Tel étant le cas de la France, les groupements de moyens constitués dans ces domaines d’activités ne pourront donc faire l’objet de redressements.
S’agissant des soins palliatifs pouvant être mis en œuvre en France après ces arrêts, deux solutions sont envisageables.
La première consisterait, pour les États membres concernés, à proposer une modification de la Directive pour contrecarrer l’interprétation restrictive de la Cour de Justice, ce qui toutefois suppose une décision prise à l’unanimité des États membres du Conseil de l’Union.
La deuxième consisterait, pour la France, à mettre en place un régime de groupe TVA, en application duquel toutes les entités appartenant au groupe constituent un assujetti unique. Les opérations entre les membres sont alors traitées comme s’il s’agissait d’opérations internes à une seule entreprise, autrement dit, elles sont neutralisées pour l’application de la TVA. Une large majorité d’États membres en permettent déjà l’application à leurs entreprises.
Gageons toutefois que ces modifications n’interviendront pas avant plusieurs mois.
Enfin, il restera également à cerner le périmètre exact des activités d’intérêt général dont la Cour précise qu’il comprend les opérations liées à l’aide et à la sécurité sociales, à l’éducation, au sport, à la culture et à la santé.
Auteurs
Philippe Tournès, avocat associé, TVA