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Nouvelles précisions sur l’appréciation du caractère individuel et de la nouveauté d’un dessin et modèle

Nouvelles précisions sur l’appréciation du caractère individuel et de la nouveauté d’un dessin et modèle

Bien que discret, l’arrêt Chanel SAS c. EUIPO rendu par le Tribunal de l’Union européenne (TUE) le 18 juillet 2017 mérite que l’on y prête attention dès lors qu’il rappelle certains aspects de l’appréciation délicate de la condition du caractère individuel (TUE, 18 juillet 2017, T-57/16, Chanel SAS c/ EUIPO).


En l’espèce, déboutée de sa demande en nullité d’un dessin communautaire enregistré par la troisième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) (decision of the Third Board of Appeal of 18 November 2015, case n°R2346/2014), la requérante avait formé un recours auprès du TUE. Elle reprochait à l’Office, sur le fondement de les articles 6 et 25 a) et b) du règlement 6/2002 du 12 décembre 2001, d’avoir retenu que le dessin litigieux (visuel 1) procurait à l’utilisateur averti une impression globale différente de celle de son monogramme (visuel 2), dessin lui-même protégé en tant que marque et constitutif d’une divulgation antérieure.

Pour bénéficier de la protection prévue par le règlement 6/2002, un dessin ou modèle doit remplir deux conditions. Il doit être nouveau et avoir un caractère individuel, c’est-à-dire procurer à l’utilisateur averti une impression globale différente. Ces deux conditions, aux contours mal définis, ont conduit à une jurisprudence foisonnante en la matière. L’arrêt du 18 juillet 2017, qui vient rappeler les quatre étapes à suivre lors de l’appréciation du caractère individuel d’un dessin ou modèle, en est une illustration.

Ainsi, il faudra déterminer dans un premier temps, le secteur des produits concernés. Puis, dans un second temps, devra être identifié l’utilisateur averti, personnage de référence qui ne se confond ni avec la notion de consommateur du droit des marques, ni avec celle d’homme du métier du droit des brevets. En l’espèce, le dessin communautaire consistant en un ornement destiné à être apposé sur d’autres produits que ceux portant le célèbre monogramme, l’utilisateur averti serait constitué par les professionnels ou les utilisateurs finaux desdits produits.

Sera également analysé le degré de liberté dont le créateur a disposé lors de l’élaboration du dessin ou modèle. Enfin, le Tribunal indique que devra être établie une comparaison des impressions globales produites par les dessins ou modèles en cause en prenant en compte les éléments énoncés ci-dessus.

Au-delà d’un simple rappel méthodologique des étapes de l’examen à suivre, le Tribunal revient plus spécifiquement sur la dimension du facteur relatif à la liberté du créateur. Affirmant qu’un tel critère n’est pas autonome, les juges semblent relativiser sa pertinence quant à l’appréciation du caractère individuel. Ils soutiennent en ce sens que, si le degré de liberté dont bénéficie le créateur lors de l’élaboration du dessin ou modèle peut influer sur l’existence de l’impression globale différente, il ne doit pas pour autant conditionner l’appréciation du caractère individuel en elle-même (point 31). Le dessin ou modèle contesté doit être considéré comme une reproduction du dessin ou modèle antérieur mais aussi de l’idée originale véhiculée par celui-ci (point 32).

En outre, le TUE revient sur la nécessité d’identifier la nature des produits lors de l’appréciation de la condition du caractère individuel. Il considère que le produit concerné par le dessin litigieux est un ornement, que cette identification se suffit à elle-même et que, dès lors, il n’y a pas lieu de déterminer le produit sur lequel sera apposé cet ornement. Une telle solution, pour le moins alambiquée, modère malencontreusement l’importance de l’identification des produits concernés dans l’appréciation du caractère individuel. Il aurait été plus pertinent, en effet, comme le revendiquait la requérante, d’identifier le produit « auquel était destiné à être appliqué cet ornement ». Ainsi, le Tribunal semble suggérer que l’identification des produits concernés par les dessins en conflit est requise certes, mais dans la mesure du possible.

Depuis cette décision la Cour de justice a rendu un arrêt qui rend ce débat relativement superflu. Il était déjà admis au titre de l’exigence de nouveauté qu’un dessin ou modèle communautaire ne pouvait être considéré comme nouveau, au sens de l’article 5 du règlement n°6/2002, si un dessin ou modèle identique avait été divulgué au public antérieurement, quand bien même ce dessin ou modèle antérieur serait destiné à être incorporé dans un produit différent. Le nouvel arrêt étend cette solution à l’examen du caractère individuel du dessin ou modèle contesté. Selon la Cour, « lorsqu’un dessin ou modèle est considéré comme ayant été divulgué au public, au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement nº 6/2002, cette divulgation vaut tant pour ce qui est de l’examen du caractère nouveau […] que du caractère individuel de ce premier dessin et modèle » (CJUE, 21 septembre 2017, C-361/15 P, Easy Sanitary Solutions c/ EUIPO et Group Nivelles, point 128).

 

Auteur

José Monteiro, of Counsel, droit de la propriété intellectuelle