Quel statut pour les travailleurs de la nouvelle économie ?
Les juges font face ces derniers temps à un certain nombre de demandes de requalification en contrat de travail du contrat conclu entre une société exploitant une plateforme web et un travailleur indépendant exerçant le plus souvent sous le statut d’autoentrepreneur.
Encouragés par le succès des contentieux remportés par les « conducteurs de voiture de transport avec chauffeur » devant le conseil de prud’hommes de Paris, les coursiers-livreurs des plateformes numériques ont à leur tour saisi les juridictions aux fins de se voir reconnaître le statut de salarié.
Or, dans une série de décisions récentes (conseil de prud’hommes de Paris du 27 sept. 2017 et cour d’appel de Paris, 12 oct. 2017), les juges ont refusé de reconnaître la qualité de salarié aux coursiers-livreurs. Une nouvelle décision de la cour d’appel de Paris du 9 novembre 2017 vient une fois de plus de consacrer le statut de travailleur indépendant des coursiers-livreurs de plateformes internet.
Cette décision est l’occasion de refaire le point sur ce sujet.
Les faits. Un travailleur immatriculé au répertoire des entreprises sous le régime d’autoentrepreneur, a conclu un contrat de prestation de service avec la société Deliveroo France, une entreprise exploitant une plateforme web ayant pour objet la livraison de repas commandés par les utilisateurs. Estimant avoir été trompé sur la nature du contrat le liant à la société, le coursier a saisi le conseil de prud’hommes de Paris afin notamment d’obtenir la requalification du contrat de prestation de service en contrat de travail. Débouté par les juges prud’homaux, le livreur a saisi la cour d’appel de Paris qui a confirmé le jugement déféré.
Absence de définition légale du « contrat de travail ». N’étant pas défini par le Code du travail, la notion de « contrat de travail » a été précisée par la jurisprudence considérant que constitue un contrat de travail le contrat par lequel une personne physique s’engage à mettre son activité à la disposition d’une autre, physique ou morale, moyennant rémunération et dans un rapport de subordination à l’égard de celle-ci.
Le critère clé du salariat : le lien de subordination. Pour pouvoir effectivement prétendre au statut de salarié, il convient de démontrer que l’intéressé se trouve dans un état de subordination juridique permanente à l’égard d’un employeur et exécute son travail sous l’autorité de ce dernier qui a le pouvoir de donner des ordres et directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner leurs éventuels manquements. Ce lien de subordination résulte des conditions réelles de l’exercice de l’activité litigieuse, la dénomination donnée par les parties à leur convention étant indifférente. Les juges raisonnent en la matière selon la méthode dite du faisceau d’indices qui leur a permis par le passé de conclure à l’existence d’un contrat de travail dans des situations inédites telles que les émissions de télé-réalité, où les participants devaient prendre part aux activités et suivre les règles définies unilatéralement par le producteur. La jurisprudence admet parmi de tels indices l’exercice d’une activité au sein d’un service organisé lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions de travail. L’existence d’un « service organisé » se caractérise en principe par des horaires imposés, la mise à disposition du matériel et une clientèle appartenant à l’employeur.
Existe-t-il des indices suffisants pour permettre de reconnaître l’existence d’un lien de subordination dans la relation entre un travailleur indépendant et l’entreprise exploitant une plateforme web ? De prime abord, on pourrait ainsi être tenté de répondre par l’affirmative dans la mesure où le service de livraison de repas, s’inscrivant dans une relation tripartite entre le restaurateur, le coursier et le client, est nécessairement organisé.
Dans l’affaire Deliveroo, à l’appui de sa demande, le coursier soutenait notamment le fait que la société fournissait le matériel utile à la prestation de travail, imposait le trajet à emprunter et sanctionnait le refus d’une période de prestation (« shift ») caractérisait le pouvoir de direction et de sanction de la société. Ces arguments sont rejetés par les juges insistant tout particulièrement sur la liberté dont dispose le travailleur indépendant.
Une liberté exclusive d’une relation salariale. Eu égard à la liberté dont bénéficie le travailleur des plateformes web, les indices ne paraissent pas suffisamment forts pour caractériser une relation de subordination indispensable pour emporter la requalification du contrat de prestation de service en contrat de travail.
Ces travailleurs ne sont pas à la disposition permanente d’un donneur d’ordre qui ne détermine pas unilatéralement leurs conditions d’exécution du travail : premièrement, les travailleurs fixent eux-mêmes les plages horaires pendant lesquelles ils souhaitent travailler ou pas. En outre, ils sont libres de choisir et d’organiser leurs propres parcours pour effectuer les livraisons. Ils choisissent librement leur matériel tel que le vélo, le seul matériel imposé par l’exploitant de la plateforme numérique étant un sac isotherme, une batterie externe pour le rechargement de leur smartphone, l’application informatique et des vêtements au nom de la société.
Alors que la Haute juridiction n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer, cette série de décisions devrait réconforter davantage les sociétés exploitant une plateforme numérique et s’inscrit clairement dans la voie de la clarification du statut des travailleurs de la nouvelle économie.
Auteurs
Caroline Froger-Michon, avocat associée, droit social.
Julian Kisslinger, avocat, droit social
Quel statut pour les travailleurs de la nouvelle économie ? – Article paru dans Les Echos Exécutives le 4 décembre 2017