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L’obligation documentaire en matière de prix de transfert : version 2.0

L’obligation documentaire en matière de prix de transfert : version 2.0

La loi de finances pour 2018 a modifié le contenu de la documentation des prix de transfert que doivent préparer les entreprises françaises appartenant à des grands groupes. En s’alignant sur le modèle proposé par l’OCDE, ce contenu devra être plus détaillé. Pour autant, les groupes utiliseront désormais un modèle appliqué dans de nombreux autres pays, ce qui pourrait permettre de contenir les coûts de mise en conformité.

La nouvelle obligation documentaire

Depuis 2010, les entreprises françaises appartenant à des grands groupes internationaux doivent préparer une documentation justifiant le caractère normal ou de pleine concurrence de leurs prix de transfert – c’est-à-dire des prix pratiqués dans le cadre de leurs transactions intragroupe internationales ; cette documentation doit être remise à l’administration fiscale lors d’un contrôle.

La loi de finances pour 2018 a modifié le contenu de cette documentation1 pour reprendre le modèle proposé en octobre 2015 dans le cadre de l’action 13 du projet BEPS de l’OCDE2. Les groupes devront retenir ce nouveau format pour documenter la politique de prix de transfert appliquée au cours des exercices ouverts à compter du 1er janvier 2018.

La documentation des prix de transfert continuera de se composer d’un fichier principal (masterfile), qui a pour objectif de donner une vue d’ensemble de l’organisation du groupe considéré, et d’un fichier local (local file), qui a pour objet de fournir des informations permettant d’analyser le caractère de pleine concurrence des transactions intragroupe internationales de la société vérifiée.

Les informations requises dans le fichier principal peuvent être ventilées selon les cinq catégories suivantes :

  • La structure organisationnelle du groupe
  • Une description du domaine (ou des domaines) d’activité du groupe
  • Les actifs incorporels du groupe
  • Les activités financières interentreprises du groupe ; et
  • Les situations financière et fiscale du groupe.

Ces catégories (et leurs composantes) reprennent les types de transactions que l’OCDE considère comme générant fréquemment des risques de prix anormaux et donc des risques de transferts indirects de bénéfices. Parmi les principales nouveautés du texte, on peut noter qu’il est désormais nécessaire de décrire la chaine d’approvisionnement des cinq principaux biens et services offerts par le groupe. Il comprend aussi une analyse plus précise des actifs incorporels du groupe en ce que doit être décrite la stratégie globale en matière de mise au point, de propriété et d’exploitation des incorporels. En outre, des informations sur la façon dont le groupe se finance auprès de tiers doivent également être fournies. Enfin, si le groupe en prépare, les comptes consolidés du groupe doivent être fournis.

Le fichier local est plus classique : il comprend notamment une description de l’activité de l’entreprise vérifiée, son analyse fonctionnelle, une description des principales transactions internationales intragroupe de cette entreprise et de la politique de prix de transfert appliquée ainsi que les études économiques permettant de justifier cette politique. En complément, le nouveau texte prévoit notamment qu’il est désormais nécessaire de fournir la copie des accords intragroupe importants conclus par l’entreprise vérifiée et des informations et des tableaux de répartition montrant comment les données financières utilisées pour appliquer la méthode de détermination des prix de transfert peuvent être reliées aux états financiers.

L’amende applicable lorsque la documentation est absente ou incomplète est inchangée (article 1735 ter du Code Général des Impôts (« CGI »)) : fixée à un montant minimum de 10.000 €, elle peut atteindre le plus élevé des montants suivants compte tenu de la gravité des manquements constatés par l’administration :

  • 0,5% du montant des transactions pour lesquelles la documentation est absente ou incomplète
  • 5% des rectifications en matière de prix de transfert portant sur des transactions pour lesquelles la documentation absente ou incomplète.

Ainsi, même en l’absence de rectification en matière de prix de transfert, une pénalité importante peut être appliquée.

Ce modèle est appliqué dans de nombreux autres pays

La nouvelle obligation documentaire est plus contraignante que la précédente car elle comprend plus d’informations ou documents à fournir. Le coût de constitution de cette documentation est a priori plus élevé qu’auparavant.

Pour autant, plusieurs États ont d’ores et déjà adopté le standard mondial de documentation conçu par l’OCDE. Il en est ainsi de l’Allemagne, de la Chine, de la Belgique, des Pays-Bas, du Japon ou encore de l’Espagne. Dans ces pays, le fichier principal conçu pour la France pourra être réutilisé et le même format pourra être retenu pour le fichier local. Cette standardisation de la documentation – souhaitée par l’OCDE – devrait permettre de contenir les coûts de conformité supportés par les groupes.

D’autres pratiques acceptées en France doivent aussi permettre de maîtriser ces coûts. On peut en particulier rappeler que :

  • L’administration fiscale française admet généralement les études de comparables régionales (par exemple, pan-européennes) ; ceci permet de préparer une étude de comparables pour plusieurs pays situés dans la même région (au lieu d’une étude par pays).
  • L’administration admet fréquemment les documentations des prix de transfert rédigées en anglais (bien que la loi l’y autorise, l’administration n’exige donc pas systématiquement une traduction en français).

Toutefois, d’autre pays majeurs, à l’image des Etats-Unis, n’ont pas encore mis leur législation en adéquation avec le modèle de l’OCDE. Avec ces pays, les travaux d’adaptation de la documentation des prix de transfert resteront donc plus lourds.

L’administration fiscale dispose désormais de plusieurs sources pour vérifier les prix de transfert

Compte tenu des pénalités éventuellement applicables et du fait qu’une documentation défaillante pourrait être vue par l’administration comme traduisant une politique de prix de transfert anormale, il ne peut qu’être recommandé de préparer une documentation des prix de transfert conforme à la nouvelle loi. On constate d’ailleurs que, désormais, l’administration fiscale demande quasi-systématiquement la documentation des prix de transfert au début des vérifications. De même, elle n’hésite plus à adresser aux sociétés des mises en demeure de fournir ou compléter une documentation ; cette étape est en effet le préalable nécessaire à l’éventuelle application d’une amende. Il est ainsi fortement probable que des pénalités pour défaut ou manquement seront appliquées dans le futur.

Les groupes doivent cependant garder à l’esprit que cette documentation fait partie d’un ensemble plus large d’informations dont dispose l’administration fiscale pour vérifier leur politique de prix de transfert. En effet :

  • Les sociétés devant préparer une documentation des prix de transfert doivent aussi, chaque année, transmettre à l’administration fiscale une déclaration de leur politique de prix de transfert (article 223 quinquies B du Code Général des Impôts (« CGI ») – Formulaire 2257-SD). Cette déclaration comprend notamment une indication des principales transactions intragroupe internationales de la société considérée, leur montant, les autres pays impliqués et la méthode de prix de transfert mise en œuvre.
  • Pour les sociétés appartenant aux plus grands groupes (dont le chiffre d’affaires annuel consolidé est supérieur ou égal à 750 millions €), l’administration française disposera en outre de la déclaration pays par pays (article 223 quinquies C du CGI – Formulaire 2258-SD). Cette déclaration fournit notamment une vue d’ensemble de la répartition des chiffres d’affaires, bénéfices, impôts, salariés et des activités par juridiction du groupe considéré. A cet égard, on peut mentionner que l’OCDE a publié, en septembre 2017, à destination des administrations fiscales, un manuel pratique d’évaluation des risques fiscaux pouvant être identifiés à partir des déclarations pays par pays.

Les groupes doivent ainsi anticiper les vérifications en analysant les informations fournies en amont du contrôle fiscal et en s’assurant de la cohérence entre ces informations et celles qui seront données pendant le contrôle fiscal.

Enfin, ces informations étant fournies à l’administration sous un format électronique, les groupes doivent aussi anticiper à terme une automatisation de leur traitement et de leur recoupement.

Notes

1 Seul l’article L 13 AA du Livre des Procédures Fiscales (« LPF ») a été modifié. L’article L 13 AB du LPF est inchangé.

2 Ce modèle est désormais incorporé dans l’édition de juillet 2017 des Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales.

 

Auteurs

Xavier Daluzeau, avocat associé, fiscalité internationale

Valentin Lescroart, avocat, fiscalité internationale.

 

L’obligation documentaire en matière de prix de transfert : version 2.0 – Article paru dans le magazine Option Finance le 29 janvier 2018