Le versement transport : un mécanisme de taxation complexe à surveiller
26 février 2018
Le versement transport est une contribution prévue par le Code général des collectivités territoriales (CGCT) destinée à financer les transports en commun dans le périmètre d’une autorité organisatrice des transports l’ayant institué. Cette contribution est recouvrée par les URSSAF dans les mêmes conditions que les cotisations de sécurité sociale, qui sont ensuite chargées de les reverser aux autorités organisatrices des transports aux termes de conventions conclus entre elles.
Au regard de sa nature, le versement transport, qui constitue une charge salariale importante pour les entreprises, fait l’objet d’une réglementation particulièrement complexe qui a été modifiée en dernier lieu par un décret du 9 mai 2017 (n°2017-858), entré en vigueur au 1er janvier 2018. Une attention singulière devra être apportée dans la démarche, afin d’identifier les modalités d’assujettissement, les taux applicables ainsi que les éventuelles règles de dégressivité susceptibles d’être appliquées.
Nous vous livrons ci-après en synthèse la méthodologie à appliquer.
Étape 1 : Identifier les différents périmètres transport existants
Le versement transport est obligatoire pour les personnes physiques ou morales, publiques ou privées 1, lorsqu’elles emploient au moins 11 salariés2 ayant leur lieu de travail en région Ile-de-France3 ou, hors de la région Ile-de-France dans un périmètre où le versement transport a été institué en application d’une délibération d’une autorité organisatrice des transports.
L’URSSAF met régulièrement à jour sur son site internet la liste des communes relevant d’un périmètre transport ainsi que les taux applicables.
Étape 2 : Décompter méthodiquement les effectifs par entreprise ou établissement relevant d’un périmètre transport
Les règles et modalités de calcul de l’effectif ont été modifiées par le décret du 9 mai 2017. Ainsi, depuis le 1er janvier 2018, l’effectif de l’entreprise est calculé conformément aux dispositions de l’article R.130-1 du Code de la Sécurité Sociale.
Il résulte de ces dispositions que sont désormais pris en compte :
- intégralement les salariés titulaires d’un contrat de travail, les personnes et agents visés à l’article L.5424-1 du Code du travail ainsi que certains dirigeants assimilés salariés, occupés à temps plein, sauf lorsqu’ils remplacent un salarié absent ou dont le contrat est suspendu ;
- partiellement au prorata de leur durée de travail, les salariés à temps partiel ainsi que les agents visés à l’article L.5424-1 du Code du travail à temps partiel ou à temps non complet.
Comme auparavant, demeurent toutefois exclues de l’effectif les personnes mentionnées à l’article L.1111-3 du Code du travail. De la même manière, les stagiaires n’étant pas liés par un contrat de travail sont également exclus du calcul de l’effectif.
Pour les entreprises de travail temporaire, l’effectif comprend les salariés permanents et les salariés, qui, au cours de la période de calcul considérée, ont été liés à cette entreprise par un contrat de mission.
Comme auparavant, le décompte des effectifs est égal à la moyenne du nombre de personnes employées au cours de chacun des mois de l’année civile précédente, étant précisé que les mois au cours desquels aucun salarié n’est employé sont neutralisés pour établir cette moyenne.
Le décompte mensuel de l’effectif est quant à lui désormais déterminé à due proportion du nombre de jours du mois pendant lequel les salariés ont été employés et non plus, comme auparavant, par référence à la présence du salarié au dernier jour de chaque mois.
Ce calcul a le mérite de tenir compte de l’effectif « réel » en fonction du temps de présence au cours du mois et non plus de l’effectif « théorique » calculé au dernier jour du mois et incluant les salariés absents.
Toutefois, dans l’hypothèse de la création d’un premier emploi salarié, l’effectif à prendre en compte correspond à celui présent le dernier jour du mois au cours duquel a été réalisée cette première embauche.
Étape 3 : Identifier le lieu de travail des salariés par référence à la notion d’établissement
Avant le 1er janvier 2018, l’assujettissement au versement transport était fonction du lieu de travail effectif des salariés et non pas du lieu d’implantation du siège de l’entreprise.
Cette notion n’étant pas sans poser de difficultés en pratique dans le cas des salariés itinérants dont le lieu de travail ne pouvait être déterminé précisément (au regard notamment des conditions spécifiques de travail (ex : commerciaux itinérants, VRP, chauffeurs routiers, etc.). Dans une telle hypothèse, il convenait de se référer, au lieu où les intéressés exerçaient leur activité en totalité ou en majeure partie par référence à leur temps de travail et non à leur rémunération.
Cela pouvait conduire à devoir déterminer chaque mois le lieu principal d’activité d’un salarié affecté chaque mois ou au cours d’un même mois, sur plusieurs chantiers différents relevant de différents périmètres transport. L’employeur devait en outre être en mesure de justifier pour chaque salarié concerné le lieu effectif de son activité en produisant tous documents utiles (contrats de travail, fiches de postes, relevés d’heures, ordres de mission, etc.).
Depuis le 1er janvier 2018, l’assujettissement au versement transport est fonction du lieu de l’établissement d’affectation des salariés dans lequel les employeurs sont tenus d’inscrire ces salariés sur le registre unique du personnel de cet établissement4.
Pour mémoire, l’obligation de tenir un registre unique du personnel, obligatoire dans tout établissement où sont employés des salariés, s’applique aux employeurs de droit privé ainsi qu’au personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé.
Cette notion d’établissement n’est toutefois pas précisée par les textes. On peut ainsi s’interroger sur la définition de l’établissement à retenir :
- soit au sens du Droit de la sécurité sociale : à savoir la définition retenue par les URSSAF pour l’établissement des déclarations sociales, c’est-à-dire celle retenue par l’INSEE pour la gestion du répertoire « Sirene ». Ainsi, seuls les salariés rattachés à un établissement affecté d’un identifiant « Siret » devraient être décomptés de l’effectif dudit établissement pour le calcul du versement transport ;
- soit au sens du Droit du travail : à savoir toute unité de travail et de production regroupant un certain nombre de travailleurs, disposant d’une certaine autonomie malgré sa dépendance à l’égard de l’entreprise, et dirigée par un chef d’établissement, représentant du chef d’entreprise ou au contraire, comme une notion plus fonctionnelle, regroupant tout centre d’activité où s’exécutent un ou plusieurs contrats de travail, peu important le nombre de salariés et le degré d’autonomie de ce centre.
La référence à la notion d’établissement sera certainement source de contentieux.
Étape 4 : Tenir compte des exceptions en cas d’exercice d’une activité en dehors de l’établissement
Des exceptions sont prévues lorsque les salariés exercent leur activité en dehors d’un établissement. Il en va ainsi :
- pour les salariés titulaires d’un contrat de mission avec une entreprise de travail temporaire ou d’un contrat de travail conclu avec un groupement d’employeurs : il est tenu compte du lieu d’exécution de leur mission ou de leur activité dans chacune des zones où est institué le versement transport ; cette notion rejoint la notion précédemment retenue du lieu effectif de travail ;
- pour les autres salariés qui exercent leur activité hors d’un établissement de leur employeur : il est tenu compte du lieu où est exercée cette activité si cette durée excède trois mois consécutifs dans chacune des zones où est institué le versement transport.
Par dérogation, les salariés affectés aux véhicules des entreprises de transport routier ou aérien qui exercent leur activité à titre principal en dehors d’une zone où a été institué le versement transport sont exclus de la détermination des effectifs servant au calcul du versement transport.
Hors ces cas dérogatoires expressément visés par le CGCT, la question se pose de savoir si les précisions de l’ACOSS, notamment visées dans sa Lettre-circulaire n°2005-087 du 6 juin 2005, et les exceptions retenues par la jurisprudence auront vocation à perdurer.
Pour mémoire, la Cour de cassation avait estimé qu’il convenait d’exclure de l’effectif et du calcul du versement transport les rémunérations versées aux directeurs régionaux pour lesquels il n’étaient pas possible de déterminer leur lieu principal d’activité dès lors qu’ils changeaient de lieu de travail chaque jour de la semaine (Cass. 2ème civ., 25 avril 2007, n°06-14715).
Pour certaines catégories de personnels, le lieu de travail effectif s’entendait comme :
- le lieu du chantier pour le personnel occupé sur des chantiers. Toutefois et sans déroger à cette règle, les chantiers temporaires dont la durée n’excède pas un mois de date à date sont exclus du champ d’application du versement transport si l’entreprise n’exerce pas habituellement son activité dans un périmètre transport5 ;
- le lieu de résidence pour les salariés travaillant à domicile et les journalistes pigistes ;
- lorsque les salariés sont transportés du siège de l’établissement sur le chantier où ils exercent leur activité, le lieu de travail effectif reste le chantier et non le siège de l’établissement, point de départ régulier de l’activité (Cass., 2ème civ., 19 fev. 2009, n°07-21873) ;
Désormais, la référence à la notion d’établissement au sens du lieu de tenue du registre unique du personnel, laisserait à penser que les employeurs devront déterminer les seuils d’effectifs et le calcul du versement transport aux lieux des différents établissements, ou de l’entreprise si celle-ci ne dispose pas d’établissements distincts.
Seul le lieu de travail serait pris en compte pour les salariés travaillant au moins trois mois consécutifs en dehors d’un établissement.
Étape 5 : Vérifier les règles de dégressivité éventuellement applicables au sein de chaque périmètre transport
En cas de franchissement de seuil des règles de dégressivité sont instituées. Ainsi, les entreprises atteignant ou dépassant l’effectif de 11 salariés pour la première fois au 31 décembre bénéficient à compter du 1er janvier de l’année suivant le dépassement :
- d’une dispense totale de versement transport pendant 3 ans ;
- puis d’un abattement dégressif de leur taux de versement transport pendant les 3 années suivantes. Les taux de réduction sont respectivement de 75% la quatrième année, 50% la cinquième et 25% la sixième.
Étape 6 : Assujettir la rémunération mensuelle brute de tous les salariés pris en compte dans l’effectif relevant d’un périmètre transport
Depuis le 1er janvier 2018, l’assiette de calcul du versement transport est composée de toutes les sommes soumises à cotisations de sécurité sociale versées aux salariés pris en compte dans l’effectif au sein d’un même périmètre transport.
Avant cette date, seules les rémunérations versées au personnel dont le lieu de travail effectif était situé à l’intérieur du périmètre transport, en ce compris la rémunération versée au personnel exclu du calcul de l’effectif (stagiaires, apprentis, etc.), entrait dans l’assiette de calcul du versement transport.
Pour les entreprises de travail temporaire, il est tenu compte des rémunérations dues au titre de l’ensemble des salariés intérimaires employés dans chaque périmètre transport à compter du premier jour de leur mission et ce quelle que soit la durée de celle-ci.
En somme, les nouvelles règles de décompte des effectifs pour l’application de la réglementation relative au versement transport sont plus précises que celles applicables par le passé et notamment pour les entreprises à structure complexe (entreprise multi-sites), pour lesquelles la référence à la notion de lieu de travail effectif pouvait être source de difficultés pratiques. Compte tenu des changements intervenus, les entreprises devront donc adapter sans délai les paramétrages de leurs logiciels de paie et appliquer méthodiquement les règles de décompte des effectifs par entreprise ou établissement relevant d’un périmètre transport.
Elles devront également vérifier l’existence et la validité de la délibération prise par l’autorité organisatrice des transports ayant institué ou révisé le taux du versement transport.
En cas de contestation, suite à contrôle notamment, ou de cotisations versement transport indues, les entreprises pourront en vertu de deux arrêts rendus par la Cour de Cassation le 15 juin 2017 (16-12551) et le 6 juillet 2017 (n°16-18896), adresser leur réclamation directement aux URSSAF dont elles relèvent, et non plus comme cela était imposé auparavant, auprès des autorités organisatrices des transports. La demande de remboursement du versement de transport indûment versé se prescrit par trois ans à compter de la date à laquelle la contribution a été acquittée en application de l’article L. 243-6 du Code du travail.
Notes
1 A l’exception des fondations et associations reconnues d’utilité publique à but non lucratif dont l’activité est de caractère social
2 Avant le 1er janvier 2016, l’effectif était de 10 salariés
3 Composé de Paris et 7 départements limitrophes (Essonne (91), Hauts-de-Seine (92), Seine-et-Marne (77), Seine-Saint-Denis (93), Val-de-Marne (94), Val-d’Oise (95), Yvelines (78),
4 Cf. article R.130-2 du Code de la Sécurité Sociale
5 A contrario, si l’entreprise exerce habituellement son activité dans un périmètre transport, il conviendrait d’inclure les salariés affectés à un chantier temporaire (dont la durée est inférieure à un mois), dans le champ d’application du versement transport
Auteurs
Françoise Albrieux-Vuarchex, avocat associé, droit social, CMS Francis Lefebvre Lyon Avocats
Camla Boulkout, avocat, droit social, CMS Francis Lefebvre Lyon Avocats
Le versement transport : un mécanisme de taxation complexe à surveiller – Article paru dans Les Echos Exécutives le 23 février 2018
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