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Confirmation de la légitimité des réseaux de réparation sélective

Confirmation de la légitimité des réseaux de réparation sélective

La distribution sélective est à l’honneur à Luxembourg avec deux arrêts importants rendus en la matière en fin d’année 2017.

Si l’arrêt Coty de la CJUE, concernant la possibilité de restreindre la vente de produits faisant l’objet d’une distribution sélective sur des places de marché de type Amazon, a été largement commenté (Voir V. Coursière-Pluntz et N. Pétrignet : « Un fournisseur de produits de luxe peut interdire la revente de ses produits sur une plateforme en ligne », BRDA 1/2018), l’arrêt rendu par le Tribunal de l’Union européenne (TUE) fin octobre 2017 dans le secteur de l’horlogerie de luxe retiendra également l’attention.

En l’espèce, la Confédération européenne des associations d’horlogers-réparateurs (CEAHR) avait attaqué devant le TUE le rejet par la Commission européenne de sa plainte dénonçant l’existence d’une entente entre plusieurs fabricants de montres suisses et la mise en œuvre d’un abus de position dominante résultant du refus, par ces fabricants, de continuer à approvisionner les réparateurs de montres indépendants en pièces de rechange.

Un premier rejet de plainte par la Commission avait été motivé par l’absence d’un intérêt suffisant de l’Union européenne à poursuivre l’enquête sur les infractions alléguées. Ce rejet avait été annulé par le TUE en 2010 comme non suffisamment motivé.

A la suite de cet arrêt, la Commission avait ouvert une procédure limitée aux montres de prestige, qu’elle avait clôturée en 2014 par un nouveau rejet de plainte, cette fois-ci motivé par le caractère disproportionné des ressources qu’une enquête plus détaillée nécessiterait au regard de la faible probabilité d’établir l’existence d’une infraction aux règles relatives aux ententes anticoncurrentielles et aux abus de position dominante.

A travers sa plainte, la CEAHR mettait en cause l’existence même des systèmes de réparation sélective mis en place par la plupart des fabricants de montres suisses.

Pour devenir des réparateurs agréés dans ces systèmes, les réparateurs indépendants doivent respecter des critères liés à leur formation, leur expérience et leur équipement et au caractère approprié de leurs locaux. La logique de ces réseaux veut que les réparateurs indépendants non agréés n’aient en revanche accès ni aux pièces détachées et outils spécifiques à la marque ni aux informations techniques nécessaires à la réparation.

La Commission, défenderesse au recours, était soutenue par les fabricants LVMH, Rolex et Swatch.

Bien que dans cette affaire ni la Commission, ni le Tribunal n’aient conclu de manière définitive quant à la validité des réseaux de réparation des montres de luxe mis en cause par la CEAHR, d’utiles clarifications sont apportées sur les critères d’analyse de tels systèmes.

Dans son arrêt, le TUE rappelle ainsi que les systèmes de distribution sélective ne contreviennent pas à l’interdiction des ententes anticoncurrentielles, dès lors qu’ils visent à atteindre un résultat légitime, qui est de nature à améliorer la concurrence sur d’autres facteurs que le prix.

Les critères de validité appliqués aux systèmes de distribution sélective sont utilisés, par analogie, pour évaluer les systèmes de réparation sélective : ces systèmes ne contreviennent pas à la prohibition des ententes anticoncurrentielles, à condition d’être objectivement justifiés, non discriminatoires et proportionnés.

Appliquant les critères classiques de l’arrêt Métro (CJCE, 25 octobre 1977, Metro SB-Großmärkte/ Commission, 26/76, point 20), le TUE expose en effet que l’organisation d’un tel réseau de distribution ne relève pas de la prohibition des ententes anticoncurrentielles, pour autant que :

  • le choix des réparateurs s’opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, fixés d’une manière uniforme à l’égard de tous les réparateurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire ;
  • les propriétés du produit en cause nécessitent, pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage, un tel réseau et, enfin ;
  • les critères définis n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire (voir également CJUE, 6 décembre 2016, Coty GmbH, C-230/16).

S’agissant de leur justification objective, le TUE indique que si la préservation de l’image de marque ne peut justifier à elle seule une restriction de concurrence par la mise en place d’un système de réparation sélective (cf. CJUE, 13 octobre 2011, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, C 439/09, point 46), l’objectif de préserver la qualité des produits et leur bon usage peut, à lui seul, justifier une telle restriction.

Dès lors que les critères de la jurisprudence Metro sont remplis, il n’est pas nécessaire de vérifier que ces réseaux de distribution n’ont pas pour effet d’éliminer toute concurrence.

S’agissant de la critique portée par la CEAHR sur le terrain de l’abus de position dominante, le TUE relève que, pour qu’un abus soit caractérisé, il doit y avoir un risque d’élimination de toute concurrence effective, ce qui est peu probable s’agissant des réseaux de réparation sélective des montres de luxe.

En effet, pour qu’un tel risque existe, il faut que le refus soit de nature à éliminer toute concurrence sur le marché de la part du demandeur de ces produits ou services, que ce refus ne puisse être objectivement justifié et que ces produits et services soient en eux-mêmes indispensables à l’exercice de l’activité du demandeur.

Le TUE approuve la Commission de s’être notamment fondée, aux fins de son analyse, sur l’existence d’une concurrence entre les réparateurs agréés sur le marché en cause et entre ces réparateurs et les centres de réparation internes des fabricants, sur le caractère ouvert des réseaux de réparation sélective aux réparateurs souhaitant les rejoindre et sur la possibilité d’appartenir à plusieurs réseaux de réparation agréés.

La CEAHR a annoncé avoir formé un pourvoi contre cet arrêt devant la CJUE.

TUE, 23 octobre 2017, aff. T- 712/14

 

Auteur

Virginie Coursière-Pluntz, avocat counsel, droit de la concurrence et droit européen tant en conseil qu’en contentieux.