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Litispendance : la CJUE trace des limites prévisibles

Litispendance : la CJUE trace des limites prévisibles

Lorsque deux actions sont formées entre les mêmes parties, la première sur la base d’une marque nationale et la seconde sur la base d’une marque de l’Union européenne (UE) identique, le tribunal saisi en second lieu d’une demande d’interdiction d’usage sur l’ensemble du territoire de l’UE doit se dessaisir de la partie du litige relative au territoire de l’État membre concerné par la première action.
C’est en substance ce que la Cour de justice de l’UE a jugé dans cet arrêt opposant les deux entreprises homonymes mais indépendantes, la société allemande Merck KGaA et la société américaine Merck & Co (CJUE, 19 octobre 2017, C-231/16). Il s’agit également de l’énième épisode de la bataille que se livrent les deux groupes sur l’usage de la marque « MERCK » dans le domaine pharmaceutique, depuis leur scission, intervenue en 1919.

En effet, au lendemain de la première guerre mondiale, le groupe pharmaceutique allemand a été contraint de se séparer de sa florissante succursale américaine. Depuis cette date, chacun des deux groupes détient des droits sur la marque Merck, mais dans des zones géographiques distinctes. Leur coexistence serait sans doute restée paisible sans l’apparition d’Internet et l’usage concurrent, par ces deux groupes, de la marque « MERCK », par l’intermédiaire de sites Internet ne prévoyant aucun ciblage géographique spécifique.

Estimant que ces usages portent atteinte à ses droits de marque, Merck KGaA forme une action en contrefaçon à l’encontre de plusieurs sociétés du groupe américain, devant la Haute cour de justice, sur le fondement des marques nationales dont elle est titulaire au Royaume-Uni, aux fins de leur voir interdire l’usage de la marque MERCK sur des sites Internet et sur les réseaux sociaux accessibles depuis le Royaume-Uni.

Merck KGaA introduit ensuite une seconde action, cette fois sur le fondement de ses marques de l’UE, devant le tribunal de Hambourg saisi en sa qualité de tribunal des marques de l’UE, visant à obtenir une interdiction similaire mais sur le territoire de l’ensemble de l’Union européenne.

La question était donc de savoir si, sur le fondement du règlement 207/2009 du 26 février 2009, les mêmes faits pouvaient être sanctionnés par la juridiction anglaise sur la base des marques nationales et par les tribunaux allemands, en Allemagne, sur la base des marques de l’UE.

L’article 109, § 1, a), du règlement, qui définit les conditions de la litispendance, ne prévoit pas explicitement la possibilité pour la juridiction saisie en second lieu de reconnaître partiellement son incompétence. Par conséquent, le tribunal de Hambourg décide de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) une série de questions préjudicielles.

En réponse, la CJUE précise que la condition énoncée à l’article 109, § 1, a) du règlement 207/2009 relative à l’existence de « mêmes faits » est remplie, sous réserve que les actions en contrefaçon aient la même cause et le même objet. En l’espèce, la condition relative à l’identité de cause est remplie puisque les faits sont identiques. En revanche, la condition d’identité d’objet ne l’est que partiellement dès lors que la première action vise à obtenir une interdiction limitée au territoire britannique tandis que la seconde vise l’ensemble du territoire de l’UE. Par conséquent, la CJUE conclut que, dans une telle hypothèse, « la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir (en faveur de la juridiction première saisie) de la partie du litige relative au territoire de l’État membre visé par l’action en contrefaçon portée devant la juridiction première saisie ».

Le même arrêt précise utilement que ce dessaisissement ne doit être opéré que « dans la seule mesure où lesdites marques sont valables pour des produits ou des services identiques ».

Cet arrêt mesuré est conforme à l’objectif visé, éviter un risque de contrariété de décisions. Il ne parviendra toutefois pas en pratique à mettre un terme au morcellement des litiges de plus en plus courant dans un marché internationalisé.

 

Auteur

Sabine Rigaud, avocat, droit commercial et droit de la propriété intellectuelle