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Compétence juridictionnelle en matière de rupture brutale de relations commerciales établies : les enseignements de 2017

Compétence juridictionnelle en matière de rupture brutale de relations commerciales établies : les enseignements de 2017

Plus de quinze années n’auront pas suffi pour épuiser toutes les questions que suscite l’application de l’article L. 442-6 I. 5° du Code de commerce.

Ce texte qui, depuis 2001, permet à une entreprise d’engager la responsabilité civile de son partenaire commercial lorsque celui-ci rompt « brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels » est l’un des plus utilisés par les plaideurs.

La jurisprudence rendue en la matière en 2017 est l’occasion de revenir sur les règles qui permettent de déterminer quelle juridiction saisir en première instance et en cause d’appel.

L’article D. 442-3 du Code de commerce attribue compétence à huit juridictions spécialisées1.

Il précise qu’une seule Cour d’appel est compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions spécialisées : celle de Paris.

De là, les praticiens, confrontés à la diversité des clauses contractuelles de résolution des litiges, ont été amenés à s’interroger sur les points suivants :

1. Peut-on déroger à l’article D. 442-3 du Code de commerce en attribuant contractuellement compétence à d’autres juridictions que celles désignées par le Code de commerce ?

La solution, établie dans l’ordre international2, restait à préciser dans l’ordre interne.

Après avoir rappelé que la seule applicabilité de l’article L. 442-6 précité n’exclut pas la possibilité de recourir à l’arbitrage, la Cour de cassation retient à l’inverse, aux termes d’un attendu de principe, que les dispositions de l’article D. 442-3 précité « ne peuvent être mises en échec par une clause attributive de juridiction » (Com. 1er mars 2017, n°15-22.675).

En l’espèce, une clause attribuait juridiction au tribunal de commerce de Créteil, alors que le tribunal de commerce de Paris est la juridiction spécialisée désignée pour les litiges du ressort de la cour d’appel de Paris, auquel le tribunal de commerce de Créteil appartient aussi.

Ainsi, il n’est pas possible de déroger à l’article D. 442-3 susvisé en désignant une juridiction qui ne figure pas sur la liste limitative fixée par le pouvoir réglementaire.

Quid du cas dans lequel les parties auraient effectivement choisi l’une des huit juridictions désignées, mais sans respecter la répartition prévue ?

Il est permis de penser qu’une telle clause, qui ne tient pas à proprement parler en échec les dispositions de l’article D. 442-3 dans la mesure où elle conduit à saisir l’une des huit juridictions spécialisées, conformément au souhait du législateur, pourrait produire ses effets.

A notre connaissance, la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée sur cette question.

2. Quelle Cour d’appel saisir dans le cas (plus fréquent qu’on ne le pense) où une juridiction non spécialisée s’est à tort estimée compétente en première instance : celle de Paris ou celle du ressort auquel appartient la juridiction non spécialisée ?

Sur ce point, la Cour de cassation a opéré au printemps dernier un revirement de jurisprudence (Com. 29 mars 2017 n°15-17.659 et 15-24.241 ; Com. 26 avril 2017 n°15-26.780).

Elle juge aujourd’hui que puisque l’article D. 442-3 précité attribue compétence à la cour d’appel de Paris pour se prononcer sur les décisions rendues par les juridictions spécialisées, les décisions rendues par les juridictions non spécialisées relèvent de la compétence de la Cour d’appel du ressort auquel elles appartiennent, en application du droit commun3.

La Cour d’appel du ressort de la juridiction non spécialisée s’étant à tort estimée compétente doit désormais déclarer l’appel recevable et relever d’office l’excès de pouvoir commis par cette juridiction.

Auparavant, la Cour de cassation décidait que la cour d’appel de Paris était seule compétente pour connaître de tous les recours formés à l’encontre des décisions rendues sur le fondement de l’article L. 442-6 précité -y compris lorsqu’elles émanaient de juridictions non spécialisées- et que la violation de cette compétence exclusive constituait une fin de non-recevoir que la Cour d’appel incompétente devait relever d’office4.

Comme la Cour de cassation a pu l’expliquer de manière particulièrement didactique aux termes des arrêts de revirement précités, cette solution présentait cependant un double inconvénient.

D’une part, elle était « source, pour les parties, d’insécurité juridique quant à la détermination de la Cour d’appel pouvant connaître de leur recours, eu égard aux termes mêmes de l’article D. 442-3 du Code de commerce » et, d’autre part, elle « [conduisait] au maintien de décisions rendues par des juridictions non spécialisées, les recours formés devant les autres cours d’appel que celle de Paris étant déclarés irrecevables ».

Un tel revirement nous semble devoir être approuvé.

Notes

1 Cf. Annexe 4-2-1. du livre IV du Code de commerce

2 V. Jurisprudence Monstercable Civ. 1re 22 octobre 2008 n°07-15.823 ; Civ. 1re 18 janvier 2017 n°15-26.105.

3Article R. 311-3 du COJ

4 Com. 31 mars 2015 n°14-10.016 ; Com. 20 octobre 2015 n°14-15.851

 

Auteurs

Olivier Kuhn, avocat associé, Contentieux & arbitrage

Laura Bourgeois, avocat en procédures contentieuses et arbitrales

 

Compétence juridictionnelle en matière de rupture brutale de relations commerciales établies : les enseignements de 2017 – Analyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 12 février 2018