Secret des affaires : une réparation au-delà du préjudice ?
1. Le principe de réparation intégrale est bien connu des juristes français. Il s’agit d’un fondement du droit de la responsabilité civile. En France, tout le préjudice est réparé mais rien que le préjudice. C’est le droit pénal qui sanctionne, pas le droit civil.
Tout aussi classiquement se pose le problème de la faute lucrative, celle qui est susceptible d’enrichir son auteur suffisamment pour que la perspective de devoir réparer les conséquences de son acte n’ait aucun effet dissuasif. Ainsi peut-il en être en matière de violation de la vie privée par voie de presse, du droit à l’image ou, et c’est ce qui nous intéresse ici, de violation d’un secret d’affaires.
Il est en effet des cas dans lesquels la déloyauté dans l’obtention d’un secret ne fait aucun doute et où le fautif en a largement profité mais où la victime est sans recours. Dès lors qu’aucune qualification pénale n’est possible et que la victime n’a aucun préjudice à justifier (ni baisse de chiffre d’affaires, ni atteinte à l’image, ni perte de client,…), un bien mal acquis profite.
2. Ce sont de telles situations que la proposition de loi du 19 février 2018 ayant pour objet la transposition de la directive 2016/943 sur les secrets d’affaires cherche à résoudre.
Le nouvel article L. 152-3 du Code de commerce disposerait qu’en cas de violation illégitime des secrets des affaires, la juridiction prendrait en considération pour fixer les dommages et intérêts « les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte au secret des affaires, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte ».
Si le juge prend désormais en compte les profits du fautif, le principe de responsabilité intégrale n’épuise alors plus la matière de la responsabilité civile. A côté des dommages et intérêts compensatoires doit être identifiée une nouvelle catégorie de dommages et intérêts dont il faut déterminer les règles, les conditions d’attribution et les limites.
3. Différents choix peuvent être faits. La notion de dommages et intérêts non-compensatoires peut être réservée à quelques domaines du droit limités, comme la violation de secrets d’affaires, ou être érigée au rang de remède de droit commun.
Ces nouveaux dommages et intérêts peuvent avoir une fonction punitive et n’être mesurés qu’à la hauteur de leur valeur dissuasive (dommages et intérêts punitifs). Ils peuvent être limités à la seule confiscation des profits réalisés de manière illicite (dommages et intérêts dits restitutoires mais que l’on pourrait aussi appeler confiscatoires). Les dommages et intérêts punitifs pourraient être réservés aux hypothèses de faute très grave et délibérée, et les dommages et intérêts confiscatoires aux cas de faute lucrative1.
4. Les plaideurs et leurs juges pourraient s’être saisis sans attendre de ces nouveaux instruments dont la place semble déjà pouvoir être trouvée dans notre droit.
En propriété intellectuelle, le législateur a introduit dès 2014 la faculté pour le juge de prendre en compte les bénéfices réalisés par le fautif pour fixer le quantum des dommages et intérêts, par exemple en matière de contrefaçon2.
La Cour de cassation a, quant à elle, plus généralement énoncé dans un arrêt du 14 octobre 20103 que « celui qui contrevient à une obligation contractuelle de ne pas faire doit des dommages-intérêts par le seul fait de la contravention » en cassant un arrêt d’appel constant l’absence de préjudice justifié.
5. Les plaideurs et leurs juges attendent-ils que le législateur fasse l’effort de repenser la responsabilité civile ? Le projet de loi de réforme de la responsabilité civile du 13 mars 2017 traite bien de la faute lucrative mais il introduit un autre remède en droit de la responsabilité.
L’article 1266-1 modifié du Code civil donnerait la possibilité à la victime et au ministère public de demander le prononcé d’une amende civile d’un montant proportionné à la gravité de la faute commise, aux facultés contributives de l’auteur et aux profits que celui-ci en a retirés.
Cette réforme ajouterait donc un nouvel élément à l’arsenal mais ne donnerait aucune clef concernant l’utilisation des dommages et intérêts non-compensatoires. C’est donc aux plaideurs et à leurs juges qu’il reviendra de les concevoir.
Notes
1 Cf. proposition du professeur Viney D.2009.2944
2 Cf. Article L. 331-1-4 du Code de propriété intellectuelle
3 Civ. 1, 14 octobre 2010, bull. 197 (09-69928)
Auteurs
Jean-Fabrice Brun, avocat associé en procédures contentieuses et arbitrales en matière de droit des affaires et de droit pénal des affaires
Edouard Vielle, avocat, Contentieux et arbitrage
Secret des affaires : une réparation au-delà du préjudice ? – Analyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 12 mars 2018
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