Union de l’énergie : comment assurer la sécurité d’approvisionnement en électricité dans un univers concurrentiel?

20 mars 2018
La Commission européenne peine à réaliser les limites du modèle de marché centré sur la concurrence par la fourniture d’électricité, dit « energy only », que mettent en œuvre les directives de libéralisation depuis 1996. L’une de ses principales insuffisances, avérée, tient à ce qu’il ne répond pas aux impératifs de sécurité d’approvisionnement.
Plusieurs États-membres ont ainsi élaboré des mécanismes suppléant les carences des directives et règlements du « 3e paquet », afin d’envoyer aux investisseurs des signaux économiques permettant la construction et la mise en exploitation d’ouvrages de production neufs ou, à défaut, le maintien en capacité de fonctionner d’installations déclassées. Ces mécanismes sont très divers, mais ils présentent tous la caractéristique d’avoir été conçus à l’échelle nationale, faute précisément pour les institutions européennes d’avoir compris, admis et géré cette problématique.
La Commission a exprimé ses inquiétudes quant aux risques, sinon d’éclatement, du moins de perturbation du marché intérieur, dans ses lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014-2020, publiées le 28 juin 2014. Elle craint à la fois les effets de ces dispositifs sur les flux intra-européens et le renforcement de la position des producteurs dominants sur les marchés nationaux.
Elle a par la suite mené une enquête sectorielle. Ainsi mieux informée et tenant compte des inquiétudes des Etats membres, elle a, en tant qu’autorité de concurrence, reconnu l’existence de défaillances de marché et admis successivement la compatibilité avec le marché intérieur de tous ces mécanismes, quitte à obtenir des modifications à l’occasion de ce contrôle des aides d’Etat. Tel fut notamment le cas du mécanisme de capacité français. Après une longue négociation et plusieurs modifications, il a donné lieu à une décision positive du 8 novembre 2016 et est entré en fonctionnement le 1er janvier 2017 ; il a de fait facilité le passage de l’hiver 2017-2018, notamment en évitant la « mise sous cocon » de centrales à gaz.
La France s’est cependant engagée à mettre en œuvre plusieurs évolutions au 1er janvier 2019, dont l’intégration dans le mécanisme français de capacités d’effacement et de capacités de production situées ailleurs en Europe.
Dans la continuité de ce mouvement, la Commission a pris, le 7 février 2018, une série de décisions déclarant compatibles de nouveaux mécanismes ou amendant des mécanismes déjà autorisés (communiqué IP/18/682). Cela concerne six pays regroupant plus de la moitié de la population européenne : Allemagne, France, Italie, Pologne, Belgique et Grèce. S’agissant du mécanisme français, la Commission a approuvé les modalités d’intégration des capacités d’effacement de la demande, c’est-à-dire de réduction de la consommation en lieu et place d’une augmentation de la production. Elle l’avait déjà fait en 2016 pour l’Allemagne.
En l’état, la combinaison de mécanismes nationaux qui se met en place prend des allures de défi : complexité intrinsèque, coordination entre des dispositifs très différents, certification de capacités situées à l’étranger et absence de double prise en compte, répartition de la rente de congestion des interconnexions, intégration effective de l’effacement de consommation au même titre que la production, etc.
Ainsi, après ces deux phases de défiance, puis de conciliation, l’Union européenne et les Etats membres doivent entrer dans celle de la construction d’un nouveau modèle économique qui respecte le principe de subsidiarité et qui combine au mieux les différents objectifs d’une politique de l’électricité :
- à court terme, optimisation de la concurrence, compétitivité des entreprises consommatrices, protection des consommateurs particuliers ;
- à long terme, indépendance énergétique, sécurité d’approvisionnement et contribution au freinage du changement climatique.
La diversité des points de vue entre les Etats membres, ainsi qu’entre la Commission, le Parlement européen et le Conseil, sur les méthodes permettant d’assurer la sécurité d’approvisionnement dans un contexte concurrentiel ne permet pas de deviner à ce stade quel sera le point d’équilibre des discussions en cours.
Auteur
Christophe Barthélemy, avocat associé, droit de l’énergie et droit public
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