Publication des accords collectifs : un contenu et des modalités enfin précisés!
12 avril 2018
Mesure préconisée par le rapport sur la négociation collective, le travail et l’emploi présenté au premier ministre en septembre 2015, l’obligation de publication des accords a été introduite dans le code du travail par la loi du 8 août 2016.
Cette publication, qui s’ajoute aux formalités de dépôt des accords, est assurée par les services du ministère du Travail. Instituée selon l’étude d’impact de la loi du 8 août 2016 dans le triple objectif de « favoriser l’accès des salariés et des employeurs au droit conventionnel, développer la connaissance de la négociation collective, faciliter le partage des bonnes pratiques (notamment en matière d’égalité femmes/hommes et de handicap », l’obligation de publication des accords, dont le champ et les modalités ont été largement étendus et modifiés par les ordonnances Macron et par la loi n°2018-217 du 29 mars 2018 qui les a ratifiées, remplit également d’autres objectifs.
Une publication via un dépôt dématérialisé
Tous les accords conclus à partir du 1er septembre 2017 devront prochainement être déposés en ligne sur une plate-forme de téléprocédure Télé@ccords (https://www.teleaccords.travail-emploi.gouv.fr) accompagnés de l’ensemble des pièces justificatives prévues par les articles D. 2231-6 et D. 2231-7 du Code du travail. Le dossier déposé est alors automatiquement transmis à la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) compétente qui délivre le récépissé de dépôt et transmet à son tour l’accord à la direction de l’information légale et administrative, pour publication sur le site http://www.legifrance.gouv.fr.
Les accords soumis à l’obligation de publication
La loi fait obligation de publier « les conventions de branche, de groupe, d’entreprise ou d’établissement » (c. trav., art. L.2231-5-1), c’est-à-dire les accords qui ont la nature juridique d’accord collectif au sens du Code du travail. Sont donc visés non seulement les accords conclus avec des délégués syndicaux, conformément aux dispositions de l’article L.2232-12, mais aussi les accords conclus, en l’absence de délégué syndical, avec des élus du personnel, des salariés mandatés par une organisation syndicale représentative au niveau de la branche ou, à défaut, au niveau interprofessionnel, dans les conditions définies par les articles L.2232-23-1 à L.2232-26. Sont également visés par cette obligation, les accords ratifiés par les deux tiers du personnel dans les entreprises de moins de 11 salariés ou dans les entreprises dont l’effectif atteint 20 salariés mais qui sont dépourvues d’élus du personnel.
Les dispositions de l’article L.2231-5-1 du Code du travail, telles que modifiées par la loi de ratification, excluent expressément de cette obligation de publication certains accords, bien qu’ils aient la nature juridique d’accords collectifs. Il s’agit des accords qui comportent par nature des données économiques : les accords d’intéressement, de participation, les plans épargne entreprise, interentreprises ou pour la retraite collectifs, les accords de performance collective et les plans de sauvegarde de l’emploi négociés.
Sont enfin exclus de cette obligation les procès-verbaux de désaccord, les engagements unilatéraux pris par l’employeur et les accords conclus selon d’autres modalités que celles énumérées ci-dessus, tels que les accords conclus avec la majorité des membres du comité social et économique (ou du comité d’entreprise, de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel), les accords de prévoyance ratifiés par la majorité du personnel et les protocoles d’accords préélectoraux.
Les modalités de la publication
Le texte issu de la loi du 8 août 2016, tel que précisé par son décret d’application (n°2017-752 du 3 mai 2017), instituait une période transitoire jusqu’au 1er octobre 2018 pendant laquelle les accords étaient publiés dans une version ne comportant pas les noms et prénoms des négociateurs et des signataires. La loi de ratification des ordonnances a pérennisé le régime transitoire : les accords collectifs -qu’ils soient de branche, de groupe, d’entreprise ou interentreprises- seront donc publiés, dans tous les cas, dans une version ne comportant pas les noms et prénoms des signataires. L’administration précise les modalités pratiques de cette anonymisation qui doit conduire à supprimer, et non pas seulement à les masquer, ces mentions de la version publiable de l’accord.
Un certain nombre d’entreprises se sont interrogées sur le point de savoir si cette faculté d’anonymisation pouvait leur permettre d’occulter le nom de l’entreprise de la version publiée de l’accord. On peut en effet considérer que seule l’anonymisation totale permet de préserver les intérêts de l’entreprise, notamment, son image et sa stratégie ainsi que de faire face aux risques de concurrence. Cette faculté semble néanmoins exclue aussi bien par la lettre du texte que par la position exprimée sur ce sujet par l’administration du travail. En effet, l’article L.2231-5-1 dans sa nouvelle rédaction, prévoit que les accords sont publiés « dans une version ne comportant pas les noms et prénoms des négociateurs et des signataires », ce qui parait viser uniquement les personnes physiques. La Direction générale du travail confirme d’ailleurs cette lecture puisqu’elle a déclaré qu’« occulter le nom de l’entreprise à ce titre ne paraissait pas souhaitable, car il ne permet pas [au citoyen] d’aller au plus près de la norme applicable. Son identification permet donc là encore une transparence souhaitable pour l’ensemble de la société civile, en termes de comparaison ou encore de suivi dans le temps ».
Si la faculté d’anonymiser les nom et prénom des négociateurs et des signataires de l’accord ne permet pas l’anonymisation intégrale de l’entreprise, une large marge de manœuvre est néanmoins laissée aux entreprises s’agissant de la détermination du contenu de l’accord à publier.
La marge de manœuvre laissée aux entreprises
Aux termes de l’article L.2231-5-1 du code du travail, les partenaires sociaux peuvent toujours convenir qu’une partie de l’accord d’entreprise ou de groupe conclu ne sera pas publiée. Cette décision de publication partielle, qui n’est pas applicable aux accords de branche, doit faire l’objet d’un acte distinct de l’accord, établi postérieurement à sa conclusion, motivé et signé par l’employeur et par la majorité des organisations syndicales signataires de l’accord. Ce document, accompagné de la version intégrale de l’accord et de la version destinée à la publication, supprimant les stipulations faisant l’objet d’une occultation, doit être joint au dépôt dématérialisé.
Cette possibilité de publication partielle constitue une véritable souplesse, en particulier pour les employeurs, sans pour autant vider l’obligation de toute substance.
Elle n’a ainsi pas pour objet de permettre aux partenaires sociaux de se dispenser de toute publication.
Cette procédure de publication partielle ne devrait pas permettre non plus aux partenaires sociaux d‘occulter la raison sociale de l’entreprise. En effet, en introduisant la possibilité pour l’employeur de procéder à une publication partielle, le législateur a voulu tenir compte du risque pour l’entreprise que soient diffusées « des informations sensibles sur sa situation, sa stratégie, sa politique en matière de ressources humaines ou encore des informations qui relèvent du secret industriel et commercial » (étude d’impact p. 108), toutes données qui ne peuvent être exploitées, par hypothèse, que si l’identité de l’entreprise est connue. En d’autres termes, l’existence même de la mesure suppose que l’identité de l’entreprise soit connue.
Les entreprises qui tenteraient de procéder à une publication occultant le nom de l’entreprise s’exposeraient à une publication intégrale de l’accord. En effet, la direction générale du travail prévoit l’application d’une telle mesure en cas de non-exécution ou de mauvaise exécution des actions d’anonymisation et d’occultation.
En tout état de cause, l’intérêt de cette disposition autorisant, par accord des parties, la publication partielle de l’accord, se trouve cependant largement minoré par la modification apportée par la loi de ratification, à l’article L. 2231-5-1 du code du travail. Cette nouvelle disposition prévoit en effet que « l’employeur peut occulter les éléments portant atteinte aux intérêts stratégiques de l’entreprise ». En donnant à l’employeur la possibilité d’agir unilatéralement, le législateur a reconnu que l’entreprise devait pouvoir préserver ses intérêts, même en cas de désaccord avec les partenaires sociaux.
Si cette disposition a fortement réduit l’intérêt de négocier sur l’anonymisation partielle de l’accord, il n’en reste pas moins que les employeurs devront toujours faire preuve de vigilance pour déterminer ce qui, dans le contenu de l’accord, ne doit pas faire l’objet d’une publication.
Les nouveaux effets attachés à la publication
Suivant les préconisations du rapport de 2015, l’ordonnance du 22 septembre 2017 a réduit de cinq ans à deux mois le délai de prescription de l’action en nullité d’un accord collectif.
L’article L.2262-14 précise le point de départ de ce délai qui court :
- pour les organisations syndicales disposant d’une section syndicale dans l’entreprise, à compter de la notification qui leur est faite de l’accord ;
Sur ce point, le Conseil constitutionnel -dans sa décision rendue le 21 mars 2018 (n°2018-761) à propos de la conformité à la constitution de la loi de ratification- a précisé que le point de départ de ce délai ne peut être fixé à la date de notification qu’à l’égard des organisations syndicales représentatives, seules destinataires de la notification de l’accord prévue à l’article L.2231-5 du Code du travail. Ce point de départ n’est donc pas opposable aux organisations syndicales non représentatives, même si elles ont une section syndicale dans l’entreprise.
- pour toutes les autres personnes intéressées, à compter de la publication de l’accord dans la base de données.
L’application de cette disposition fixant à la date de publication de l’accord le point de départ du délai de l’action en nullité de l’accord, posait deux difficultés.
La première difficulté tenait à ce qu’on ignorait de quelle façon la date de publication de l’accord était portée à la connaissance du public. Cette difficulté est désormais levée puisque la date de publication figure désormais dans la base de données. Il appartient aux personnes intéressées de vérifier régulièrement si l’accord en cause a fait l’objet d’une publication.
La deuxième difficulté tenait au fait que certains accords ne sont pas soumis à l’obligation de publication (accord de performance collective, accord de participation, etc.) et que certains autres sont publiés de façon non exhaustive. Dès lors, les personnes intéressées peuvent être empêchées d’exercer le recours. A cet égard, le Conseil constitutionnel, dans sa décision précitée, a émis une réserve d’interprétation. Il décide en effet, s’agissant des accords qui ont fait l’objet d’une publication partielle, que le délai de recours contre ces parties non publiées ne commence à courir qu’à compter du jour où les personnes intéressées en ont eu connaissance. Cette solution devrait également s’appliquer aux accords collectifs exclus de l’obligation de publication (à l’exception des plans de sauvegarde de l’emploi négociés dont la contestation est soumise à un délai spécifique).
Auteurs
Béatrice Taillardat Pietri, adjoint du responsable de la doctrine sociale
Ludovique Clavreul, avocat, droit social
Publication des accords collectifs : un contenu et des modalités enfin précisés ! – Article paru dans Les Echos Exécutives le 12 avril 2018
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