Une recommandation de la Commission européenne constitue-t-elle un acte attaquable ?
Dans un arrêt C-16/16 P du 20 février 2018, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rappelé les conditions dans lesquelles une recommandation adoptée par la Commission européenne peut faire l’objet d’un recours en annulation.
Cette jurisprudence n’est pas sans rappeler les décisions Fairvesta (nos 368082, 368083, 368084) et Numericable (n°390023) du 21 mars 2016, dans lesquelles le Conseil d’Etat a décidé d’ouvrir le recours pour excès de pouvoir contre les actes de droit souple, tels que les communiqués de presse ou les prises de position d’autorités publiques, qui sont de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou qui ont pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent. Dans un arrêt plus récent, le Conseil d’Etat a précisé les conditions dans lesquelles les actes de droit souple sont susceptibles de recours (CE, 13 décembre 2017, n°401799, Bouygues Télécom, voir notre synthèse de cette jurisprudence, publiée dans la dernière lettre des régulations).
A l’origine du litige se trouve la recommandation 2014/478 du 14 juillet 2004 relative à des principes pour la protection des consommateurs et des joueurs dans le cadre des services de jeux d’argent et de hasard en ligne […].
En l’espèce, la CJUE a dû trancher la question suivante : une recommandation de la Commission, à savoir un instrument explicitement exclu du contrôle juridictionnel en vertu de l’article 263, premier alinéa, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), peut-elle malgré tout faire l’objet d’un recours en annulation au titre de cette disposition ?
En effet, l’article 263 du TFUE exclut le contrôle de la Cour sur les actes ayant la nature d’une simple recommandation au motif que ces actes ne sont pas destinés à produire des effets juridiques contraignants. Pour rappel, l’article 288, cinquième alinéa, du TFUE prévoit que les recommandations ne lient pas.
Toutefois, l’impossibilité de former un recours en annulation contre une recommandation peut être contournée, à titre exceptionnel, si l’acte attaqué, par son contenu, ne constitue pas une véritable recommandation. Il convient de rappeler que sont considérés comme des « actes attaquables », au sens de l’article 263 du TFUE, toutes dispositions adoptées par les institutions, quelle qu’en soit la forme, qui visent à produire des effets de droit obligatoires.
Pour déterminer si l’acte attaqué produit de tels effets, il y a lieu de s’attacher à la substance de cet acte et d’en apprécier les effets à l’aune de critères objectifs comme son contenu, en tenant compte, le cas échéant, du contexte de son adoption ainsi que des pouvoirs de l’institution qui en est l’auteur.
En l’occurrence, afin de déterminer si la recommandation litigieuse était susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation au titre de l’article 263 du TFUE, le juge de l’Union a examiné son libellé et le contexte dans lequel elle s’est inscrite, son contenu ainsi que l’intention de son auteur.
Plus particulièrement, il a été jugé que :
- la recommandation litigieuse est libellée, pour l’essentiel, en des termes non impératifs ;
- il ressort de son contenu qu’elle n’est aucunement destinée à produire des effets juridiques contraignants et que la Commission n’a nullement eu l’intention de lui conférer de tels effets ;
- la recommandation litigieuse ne comporte aucune indication explicite selon laquelle les Etats membres seraient tenus d’adopter et d’appliquer les principes qu’elle énonce. Bien au contraire, la Commission a indiqué qu’« il ne semble pas opportun, à ce stade, de proposer une législation de l’[Union] spécifique au secteur des jeux de hasard en ligne ».
Dès lors, il a été conclu que la recommandation en cause « ne produit ni n’est destinée à produire des effets de droit obligatoires, en sorte qu’elle ne saurait être qualifiée d’acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE ».
Cette conclusion est sans préjudice sur l’obligation pour les juges nationaux de prendre les recommandations en considération en vue de la solution des litiges qui leur sont soumis, notamment lorsque ces recommandations éclairent l’interprétation de dispositions nationales prises dans le but d’assurer leur mise en œuvre ou lorsqu’elles ont pour objet de compléter les dispositions de l’Union ayant un caractère contraignant.
Auteurs
Claire Vannini, avocat associé, droit de la concurrence nationale et européen
Eleni Moraïtou, avocat, droit de la concurrence nationale et européen