Le licenciement ce n’est pas automatique
11 mars 2014
Dans une décision récente, la Cour de cassation nous rappelle que les clauses dites « de licenciement automatique » prévues par le contrat de travail n’autorisent pas l’employeur à licencier sans justifier d’un motif réel et sérieux de licenciement.
Il est une pratique consistant à insérer dans le contrat de travail, notamment des salariés commerciaux, une clause prévoyant que le retrait du permis de conduire ou la non-atteinte des résultats constituera un motif de licenciement, permettant à l’employeur de rompre le contrat, parfois même pour faute grave.
Néanmoins, en cas de réalisation du manquement considéré, on ne saurait que conseiller à l’employeur de prendre des précautions avant de licencier, comme le rappelle la Cour de cassation dans son arrêt du 12 février 2014 (n°12-11.554), sans s’en tenir à la lettre du contrat.
Un contrat de travail peut-il convenir à l’avance de motifs de licenciement ?
En l’espèce, le salarié avait été embauché en août 2006 en qualité de commercial, prospecteur et vendeur par contrat à durée indéterminée à la suite d’un premier contrat à durée déterminée.
L’article 10 de son contrat de travail prévoyait qu’ « en cas de retrait de permis de conduire, si ce dernier est nécessaire à l’exercice de son emploi et que le reclassement à un autre poste s’avère impossible, le salarié verra son contrat de travail rompu ».
En avril 2008, le salarié voit son permis suspendu pour une durée de deux mois pour excès de vitesse.
Le 22 mai 2008, le salarié est licencié au visa de l’article 10 de son contrat de travail. Il conteste ce licenciement, lequel est validé par la Cour d’appel. La Cour de cassation ne la suit pas et invalide le licenciement.
Un principe réaffirmé : les clauses contractuelles de licenciement ne sont pas valides.
Dans l’arrêt du 12 février 2014, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence, constante depuis les années 2000, selon laquelle « aucune clause du contrat ne peut valablement décider qu’une circonstance quelconque constituera en elle-même une cause de licenciement ».
L’employeur ne peut donc se pré-constituer, par le biais du contrat de travail, un motif de licenciement en cas de manquement d’un salarié à ses obligations ou compte-tenu de circonstances particulières, de même qu’il ne peut qualifier par anticipation certains faits de faute grave.
Ces clauses ne lient pas le juge qui conserve, en cas de litige, le pouvoir d’apprécier le caractère réel et sérieux du licenciement prononcé, de même que la gravité de la faute, le cas échéant.
Tout licenciement doit reposer sur un motif réel et sérieux….
L’existence d’une telle clause, si elle ne permet pas à elle-seule de justifier un licenciement en cas de manquement du salarié à ses obligations, n’invalide pas pour autant le licenciement prononcé.
En effet, la Cour de cassation affirme dans cette décision : « qu’en statuant comme elle l’a fait, alors qu’elle avait relevé qu’aux termes de la lettre de licenciement, le licenciement était motivé exclusivement par l’application de l’article 10 du contrat de travail, la Cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations ».
En conséquence, l’employeur peut toujours sanctionner le manquement objet de la clause du contrat de travail sous réserve de justifier d’un motif réel et sérieux de licenciement, en fonction du manquement considéré et dans les conditions de droit commun.
…qui doit correspondre aux manquements du salarié…
En l’espèce, l’infraction avait été commise par le salarié avec son véhicule de fonction pendant un déplacement privé, un dimanche.
Partant, le manquement du salarié relevant de sa vie personnelle, l’employeur ne pouvait le licencier pour un motif disciplinaire mais pouvait envisager un licenciement pour motif personnel à condition d’apporter la preuve d’un trouble objectif dans le fonctionnement de l’entreprise et de l’impossibilité d’exécuter le contrat de travail.
De même, dans un cas de non-atteinte des objectifs, l’employeur pourra envisager un licenciement pour insuffisance professionnelle ou pour faute selon que l’insuffisance de résultat procède ou non de la mauvaise volonté délibérée du salarié et sous réserve que les objectifs aient été portés à la connaissance du salarié et soient réalisables.
…et être explicité dans la lettre de licenciement
En l’espèce, l’employeur avait omis toute référence à un quelconque caractère disciplinaire dans la lettre de licenciement, sans caractériser un trouble objectif et sans conclure à l’impossibilité d’exécuter le contrat de travail.
Il s’était ainsi cantonné à une simple et seule référence à la clause du contrat de travail en ces termes « ainsi que je vous l’ai exposé lors de l’entretien, les motifs de licenciement sont les suivants : conformément à l’article 10 de votre contrat de travail, qui prévoit la rupture de celui-ci en cas de retrait du permis de conduire qui vous est nécessaire pour l’exercice de votre emploi, je considère que ces faits constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement ».
La Cour de cassation rappelle alors que « la lettre de licenciement fixe les termes du litige » et que la seule référence à la clause de licenciement automatique ne permet pas à l’employeur de justifier ensuite dans le cadre du contentieux du caractère réel et sérieux du licenciement, à la différence de la Cour d’appel qui avait validé le licenciement en se fondant sur le trouble objectif révélé par les éléments du dossier.
La sanction : un licenciement sans cause réelle et sérieuse
Un licenciement fondé exclusivement sur une clause contractuelle de rupture est considéré comme dénué de fondement ce qui emporte les conséquences suivantes :
- versement de l’indemnité de licenciement et de l’indemnité compensatrice de préavis si le salarié avait été licencié pour faute grave ;
- versement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse fixé en fonction du préjudice subi et dont le montant ne peut être inférieur à six mois de salaire pour un salarié ayant deux ans d’ancienneté au moins dans une entreprise de plus de 11 salariés ;
- condamnation au remboursement des allocations chômage à Pôle Emploi dans la limite de six mois d’allocation lorsque le salarié a plus de deux ans d’ancienneté et que l’entreprise compte plus de 11 salariés.
A l’inverse, l’employeur est tenu par les limitations qu’il s’est contractuellement imposé
Il convient de préciser qu’à l’inverse, l’employeur qui aurait subordonné, contractuellement ou conventionnellement, le licenciement pour faute grave à l’envoi d’un ou plusieurs avertissements préalables reste tenu par ses dispositions, sauf à ce qu’elles rendent impossible la rupture du contrat de travail.
A propos des auteurs
Vincent Delage, avocat associé. Spécialisé en droit social, Vincent intervient notamment en matière de gestion des relations individuelles et collectives de travail tout comme en matière d’épargne salariale. Il conseille également ses clients sur le statut des dirigeants (mandataires sociaux et cadres dirigeants) et assure la mise en œuvre et le suivi des aspects sociaux des restructurations et réorganisations d’entreprises.
Laure Soyer, avocat, spécialisée dans l’assistance rapprochée d’entreprises dans la gestion quotidienne des problématiques sociales.
A lire également
Le télétravail selon l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 : entre ... 22 novembre 2017 | CMS FL
Procédure de recueil des signalements des lanceurs d’alertes : les modalités... 19 mai 2017 | CMS FL
Procédure de recours contre l’avis ou les avis du médecin du travail : l’o... 12 janvier 2018 | CMS FL
Pas d’indemnité de clientèle pour le VRP en l’absence de préjudice subi... 11 janvier 2017 | CMS FL
Règlement intérieur : quand la procédure disciplinaire devient une garantie d... 11 décembre 2023 | Pascaline Neymond
Absence de réponse : l’administration qui ne dit mot consent ?... 16 décembre 2014 | CMS FL
Le recours à un client mystère : une méthode de contrôle loyale à condition... 12 octobre 2023 | Pascaline Neymond
Un salarié peut-il pratiquer le covoiturage avec son véhicule professionnel ?... 26 décembre 2018 | CMS FL
Articles récents
- Rapport de durabilité : la nouvelle obligation de consultation du CSE entre en vigueur le 1er janvier 2025
- Statut de lanceur d’alerte : le Défenseur des droits et la jurisprudence précisent ses contours
- Enquêtes internes : des règles en constante évolution
- Pas de co-emploi sans immixtion dans la gestion économique et sociale de la société : illustration en présence d’une société d’exploitation
- Fixation du plafond de la sécurité sociale pour 2025
- Un salarié licencié pour harcèlement sexuel ne peut se prévaloir du phénomène «#Metoo»
- Régimes de retraite des dirigeants : prestations définies versus actions gratuites
- SMIC : Relèvement du salaire minimum de croissance au 1er novembre 2024
- Inaptitude et reclassement : c’est au salarié qu’il appartient de rapporter la preuve d’une déloyauté de l’employeur
- Conférence – Gestion des fins de carrière : que font les entreprises et quelles solutions à dispositions ?