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L’utilisation exclusive d’une infrastructure par un opérateur peut être une aide d’Etat

L’utilisation exclusive d’une infrastructure par un opérateur peut être une aide d’Etat

L’utilisation, par des opérateurs économiques, d’infrastructures financées par des fonds publics peut, dans certains cas, encourir la qualification d’aide d’Etat, dans la mesure où, en fonction de l’importance de l’infrastructure pour l’exercice de l’activité en cause et/ou de ses conditions financières d’utilisation, elle peut conférer un avantage sélectif à l’opérateur qui en bénéficie. Sur cette question, la pratique décisionnelle de la Commission européenne a pu paraître assez fluctuante, notamment dans les critères appliqués pour apprécier l’existence d’une aide d’Etat.

La Commission européenne a d’ailleurs publié, entre 2016 et 2017, une grille d’analyse qui détaille secteur par secteur les critères qu’elle entend appliquer pour déterminer au stade de la construction, de l’exploitation et de l’utilisation d’infrastructures publiques, si l’on se trouve en présence d’aides d’Etat (s’agissant des infrastructures portuaires).

La Commission y indique que la qualification d’aide ne peut être exclue que dans deux hypothèses :

  • lorsque l’utilisateur a été sélectionné et que le niveau des redevances a été fixé dans le cadre d’une procédure ouverte, transparente et non discriminatoire respectant les principes fondamentaux du Traité en matière de marchés publics ;
  • en l’absence de procédure de mise en concurrence, s’il peut être démontré que les conditions d’utilisation répondent au critère dit « de l’investisseur avisé en économie de marché », c’est-à-dire sont comparables à celles qui auraient pu être accordées par des investisseurs privés exploitant l’infrastructure.

En l’espèce, la Commission avait été saisie d’une plainte mettant en cause l’utilisation exclusive par la compagnie maritime Fred Olsen d’une plate-forme d’embarquement-débarquement des passagers pour les ferries rapides sur le port de Puerto de La Nieves aux Canaries ; cette utilisation privait les compagnies concurrentes de la possibilité d’exploiter la même ligne avec ce type de navires beaucoup plus compétitifs que les ferries classiques. Or, par une décision SA.36628 du 8 décembre 2015, la Commission avait considéré qu’il ne s’agissait pas d’une aide d’Etat pour les trois raisons suivantes :

  • tout d’abord, l’utilisation exclusive de cette infrastructure par la compagnie maritime Fred Olsen remontait à 1994, soit avant que la jurisprudence européenne ait pour la première fois appliqué le droit des aides d’Etat à l’exploitation des infrastructures publiques, cette application découlant de l’arrêt de principe du Tribunal de l’Union européenne (TUE) dit « ADP » (TPICE, 12 décembre 2000, T-128/98) ;
  • ensuite, cette exclusivité était le résultat de l’augmentation progressive de l’activité de Fred Olsen sur le port de Puerto de La Nieves, l’infrastructure en cause n’ayant pas été construite pour ses besoins propres. En substance, pour la Commission la situation d’exclusivité de fait dans laquelle se retrouvait Fred Olsen résultait plutôt d’une situation de saturation de la capacité du port que d’une volonté délibérée de l’autorité portuaire de construire cette infrastructure dans le but d’en accorder l’utilisation exclusive à cette compagnie ;
  • enfin, la Commission avait estimé que, dans la mesure où les droits de port exigés pour l’utilisation de l’infrastructure étaient comparables à ceux appliqués dans d’autres ports et où l’accès à l’infrastructure était ouvert et non-discriminatoire, une aide d’Etat pouvait être exclue.
    Sur ce point, la Commission estimait que la première condition était remplie puisque les droits de ports perçus auprès de Fred Olsen n’étaient pas moins élevés que ceux généralement applicables dans les ports des îles Canaries.

Sur la seconde condition tenant au caractère ouvert et non discriminatoire de l’utilisation de l’infrastructure, la Commission a considéré que :

  • lorsque Fred Olsen avait commencé à utiliser l’infrastructure en cause, aucun autre opérateur n’avait exprimé officiellement son intention de l’utiliser ni présenté de demande en ce sens à l’autorité portuaire ;
  • à partir du moment où tel avait été le cas, l’autorité portuaire avait engagé les travaux nécessaires pour augmenter la capacité d’utilisation de l’infrastructure et prévu d’organiser une procédure de mise en concurrence ;
  • même si ces travaux et la procédure avaient pris beaucoup de retard, l’accès à l’infrastructure devait donc bien être considéré comme non-discriminatoire.

La Commission en a conclu que les conditions d’utilisation de l’infrastructure d’embarquement-débarquement des ferries rapides du port de Puerto de Las Nieves ne constituaient pas une aide d’Etat.

Fort logiquement, Navieras Armas a attaqué cette décision devant le TUE qui censure l’analyse de la Commission et applique, sans toutefois s’y référer expressément, les critères que la Commission elle-même a indiqués comme étant les seuls pertinents dans sa grille d’analyse (TUE, 15 mars 2018, T-108/16).

Tout d’abord, le TUE rappelle que le fait que l’infrastructure n’ait pas été initialement construite dans le seul but d’en consentir l’utilisation exclusive à Fred Olsen ne saurait, par principe, exclure la possibilité de l’existence d’une aide. Au contraire, il revenait à la Commission d’examiner si les conditions concrètes d’utilisation aux termes desquelles la compagnie bénéficiait d’une exclusivité de fait pouvaient révéler l’existence d’une aide.

Ensuite, le TUE estime que, dans la mesure où cette situation d’exclusivité ne résultait pas d’une procédure de mise en concurrence préalable, la Commission ne pouvait conclure à l’absence d’aide d’Etat qu’après avoir examiné si les conditions d’utilisation de cette infrastructure répondaient au test de « l’investisseur avisé en économie de marché ».

Or, sur ce point, la Commission s’était limitée à vérifier que les droits de ports appliqués à la compagnie étaient bien similaires à ceux perçus dans les autres ports. Le TUE en déduit qu’elle a commis une erreur de droit puisqu’elle n’a pas appliqué le test de l’investisseur avisé. A cet égard, les critères appliqués par la Commission ne pouvaient s’y substituer puisque le test de l’investisseur avisé repose sur un raisonnement différent visant à démontrer qu’un opérateur privé qui exploiterait l’infrastructure dans une logique purement économique de rentabilité aurait pu être conduit à accorder les mêmes conditions d’utilisation à un tiers. Fort logiquement donc, le TUE annule la décision de la Commission européenne.

 

Auteurs

Claire Vannini, avocat associé, droit de la concurrence national et européen

Lola Nihotte, avocat, droit européen et concurrence