SEM-H : modification de la procédure d’attribution des concessions d’énergie hydraulique
3 juillet 2018
Un décret n°2018-488 du 15 juin 2018 relatif à la procédure de sélection de l’actionnaire opérateur d’une société d’économie mixte hydroélectrique, a été publié au Journal officiel n°0138 du 17 juin. Rendu sur avis du Conseil supérieur de l’énergie en date du 28 novembre 2017, il modifie les articles R.521-69 et R.521-70 du Code de l’énergie, relatifs à la procédure de mise en concurrence pour la sélection de l’opérateur économique qui entrera au capital d’une société d’économie mixte hydroélectrique (SEM-H).
Le régime juridique actuel de la mise en concurrence des concessions d’énergie hydraulique a été créé par les articles 116 à 118 de la loi n°2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, ainsi que par le décret n°2016-530 du 27 avril 2016 relatif aux concessions d’énergie hydraulique et approuvant le modèle de cahier des charges applicable à ces concessions.
Codifiées au sein du Code de l’énergie, ces dispositions organisent la mise en concurrence des nouveaux ouvrages hydroélectriques concédés et, surtout, les modalités de renouvellement des concessions hydroélectriques existantes. On rappellera ici trois séries de mesures intervenues en 2015 et 2016, concernant ces ouvrages -en principe d’une puissance supérieure à 4,5 MW- qui demeurent la propriété de l’Etat, mais dont la gestion est confiée à un opérateur économique.
La possibilité de proroger les concessions actuelles a ainsi été introduite sous la condition de rénovation des ouvrages, ce qui a été considéré – notamment par la Commission européenne – comme un contournement de l’obligation de mise en concurrence.
Le regroupement des concessions par la méthode des barycentres, ensuite, consiste à unifier au sein d’une même concession une chaîne d’aménagements hydrauliquement liés, qui sont en général des ouvrages situés dans une même vallée. Ainsi, certaines concessions sont prolongées tandis que d’autres sont écourtées, afin que leur échéance soit identique et le solde nul pour le concessionnaire qui gère l’ensemble de ces ouvrages. Ce mécanisme, qui permet la mise en cohérence des concessions, a cependant pour effet de reporter l’échéance de concessions échues ou dont l’échéance est proche.
Enfin, les SEM-H constituent une nouvelle forme de partenariat public-privé institutionnalisé dans la ligne de la jurisprudence Acoset (CJCE, 15 octobre 2009, C-196/08) : elles sont créées afin d’associer les collectivités territoriales à l’Etat et à l’opérateur économique selon une répartition du capital relativement flexible (34% à 66% pour l’ensemble des personnes publiques avec un minimum de 34% pour l’opérateur). Cette nouvelle forme de SEM n’est toutefois pas exempte de critiques : elles sont créées à l’initiative de l’Etat, la place des collectivités dépendant donc de sa bonne volonté, et elles comportent un risque d’éloignement des industriels -car elles affaiblissent le pouvoir de l’opérateur économique désigné- au profit de partenaires purement financiers.
L’objet du décret du 15 juin 2018, qui porte donc sur les SEM-H, est d’assouplir la procédure de mise en concurrence, en permettant à l’Etat de n’opter pour l’option ouverte par la loi -attribution classique d’une concession ou à travers une SEM-H- qu’au moment de la transmission des documents de la consultation, et non dès le stade de l’avis d’appel public à la concurrence.
Les candidats ne sauront donc pas, lors du dépôt des candidatures, si l’Etat choisira de créer une SEM-H. Cette modification comporte un double avantage pour l’autorité concédante : elle permet d’unifier les procédures qui étaient jusqu’alors distinctes et donc de gagner du temps, tout en lui laissant un délai supplémentaire pour choisir de créer une SEM-H. Surtout, l’Etat peut désormais renoncer en cours de négociation à la création d’une telle société et basculer sur l’attribution classique d’une concession, après la transmission du règlement de la consultation, sans avoir à lancer une nouvelle procédure de mise en concurrence.
Si elle accorde de la souplesse à l’Etat, la procédure unifiée de mise en concurrence risque d’être délicate à mettre en œuvre. D’une part, les candidatures seraient déposées sans que les opérateurs industriels ou les investisseurs purement financiers sachent quel serait leur rôle, les premiers étant a priori plus intéressés par l’octroi d’une concession classique, tandis que les seconds seront attirés par le modèle de la SEM-H. D’autre part, dans l’hypothèse où les documents de la consultation prévoiraient la création d’une SEM-H, l’Etat pourrait par la suite se rétracter et poursuivre la procédure d’octroi de la concession au seul concessionnaire : il est permis d’imaginer qu’un opérateur industriel candidat qui n’a pas participé aux négociations, au motif qu’il ne souhaitait pas entrer au capital d’une SEM-H, pourrait alors considérer que la procédure est irrégulière s’il n’a pas été en mesure de rattraper le retard pris dans les négociations pour déposer une offre concurrentielle visant à l’octroi d’une concession sans SEM-H.
En tout état de cause, bien que ce nouveau régime juridique ait été arrêté il y a plus de deux ans, aucune mise en concurrence n’a encore eu lieu et les concessions arrivées à échéance sont maintenues par le mécanisme dit des « délais glissants » prévu par le troisième alinéa de l’article L.521-16 du Code de l’énergie. La Commission européenne a mis la France en demeure, le 22 octobre 2015, de se mettre en conformité avec l’article 106 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne en procédant à la mise en concurrence des concessions hydroélectriques arrivant à échéance, considérant que la loi de transition énergétique ne permettait pas d’assurer un tel renouvellement dans des conditions de concurrence acceptables. Depuis lors, aucune décision n’a été officiellement prise, ni du côté français, ni du côté européen.
Soulignons que la situation actuelle entraîne un manque à gagner pour l’Etat et les collectivités territoriales, dans la mesure où la redevance proportionnelle aux recettes de la concession, prévue à l’article L.523-2 du Code de l’énergie, ne saurait s’appliquer sans la conclusion de nouvelles concessions. Cette redevance doit être pour partie affectée aux collectivités sur le territoire desquelles les cours d’eau sont utilisés : un tiers aux départements, un douzième aux communes et un autre douzième aux groupements de communes. Le partage des avantages économiques avec les collectivités territoriales qui subissent la problématique de la concurrence des usages de l’eau est pourtant l’un des aspects essentiels de la réforme lancée en 2006 avec la loi sur l’eau et les milieux aquatiques. La Cour des comptes a évalué ce manque à gagner à au moins 10 millions d’euros en 2016, correspondant à une production rentable de 1,6 TWh d’électricité dont la gestion des ouvrages aurait déjà dû être renouvelée (Cour des comptes, Rapport sur le budget de l’Etat 2017, Compte de commerce 914, « Renouvellement des concessions hydroélectriques », mai 2018).
En début d’année, la presse a cependant annoncé que 4.300 MW seraient mis en concurrence d’ici 2021, dont 1.200 MW en 2018. Si, depuis lors, aucun avis d’appel public à la concurrence n’a encore été publié, les choses semblent désormais bouger.
Le Conseil constitutionnel a également décidé le 13 avril 2018, sur saisine du Premier ministre, et sur le fondement du deuxième alinéa de l’article 37 de la Constitution, que le regroupement des concessions n’étant pas de nature législative, un décret simple -et non un décret pris en Conseil d’Etat- est suffisant pour en déterminer les modalités. Le décret du 15 juin 2018 semble confirmer ce mouvement sur le sujet des concessions d’énergie hydraulique qui, jusqu’à présent, rappelait à la fois un conte d’Alphonse Daudet et un opéra de Georges Bizet.
Auteurs
Christophe Barthélemy, avocat associé, droit de l’énergie et droit public
Marc Devedeix, avocat, droit de l’énergie
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