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De quelques impacts de la réforme du droit des contrats

De quelques impacts de la réforme du droit des contrats

Le droit des contrats a été réformé deux fois en l’espace de deux ans. Ainsi, un rappel s’impose afin d’évaluer certains impacts de la nouvelle législation.
La réforme initiale est entrée en vigueur le 1er octobre 2016, après la publication de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, puis fut modifiée et ratifiée par la loi n°2018-287 du 20 avril 2018. Loin d’être une simple formalité législative, cette loi modifie pas moins d’une vingtaine d’articles figurant pour la plupart dans le Code civil et issus de l’ordonnance précitée.

Si certains sont simplement corrigés sur la forme, d’autres voient leurs dispositions utilement précisées, et enfin plusieurs subissent des changements importants. Nous avons fait le choix d’examiner plus spécifiquement trois séries de modifications qui ne sont pas sans conséquences, notamment dans la vie des affaires.

Avant d’examiner ces changements substantiels, il faut préciser le champ d’application dans le temps de la loi de ratification. Certaines de ses dispositions ne seront applicables qu’aux « actes juridiques conclus ou établis » à compter de l’entrée en vigueur de la loi, soit le 1er octobre 2018. Ainsi, les contrats conclus avant cette date resteront régis :

  • par les dispositions introduites par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 s’ils ont été conclus à partir du 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance ;
  • par les dispositions en vigueur avant la réforme par ordonnance, s’ils ont été conclus avant le 1er octobre 2016.

Cependant, d’autres articles modifiés par la loi n°2018-287 ont un caractère interprétatif. Il faut comprendre que les modifications issues de la loi du 20 avril 2018 sont censées être applicables à tous les actes conclus ou établis depuis le 1er octobre 2016.

Au-delà de ces précisions importantes concernant l’application de la loi dans le temps, trois séries de modifications attirent l’attention. D’une part, la « négociabilité » des clauses est érigée par l’article 1110 du Code civil comme le critère clé de définition des contrats de gré à gré et partant de définition des contrats d’adhésion. D’autre part, ce même critère de « négociabilité » est retenu par l’article 1171 du Code civil comme l’élément permettant de circonscrire le champ d’application des clauses réputées non écrites dans les contrats d’adhésion. Enfin, autre changement notable, a été précisé le périmètre du préjudice résultant de la rupture des négociations précontractuelles au sein de l’article 1112 du Code civil.

La distinction entre contrat d’adhésion et contrat de gré à gré : la notion de clause négociable

L’article 1110 du Code civil, tel qu’applicable au 1er octobre 2018, dispose dans son premier paragraphe que « le contrat de gré à gré est celui dont les stipulations sont négociables entre les parties ». Le terme « négociable » a remplacé l’expression « librement négociées ». Ainsi, ce n’est plus la considération de l’absence de négociation qui prévaut, mais celle de la libre négociabilité des clauses. Un tel changement s’est avéré nécessaire dans la mesure où certaines clauses peuvent être négociables, c’est-à-dire ouvertes à la négociation, mais rester inchangées à l’issue des négociations. Tel est le cas lorsque les clauses font consensus dès le départ : c’est ainsi librement qu’elles sont restées non négociées.

Ce qui importe est donc la liberté de négociation des parties, c’est-à-dire la possibilité qui leur est offerte de négocier une clause. Ainsi, pour qualifier le contrat comme étant de gré à gré, le juge vérifiera si la négociabilité des clauses existait au moment de l’accord de volontés. Bien que cela ne soit pas expressément indiqué par l’article 1110 du Code civil, il semble qu’il y ait ici une présomption: en principe, on doit considérer que le contrat est conclu de gré à gré, et ce n’est que par exception qu’on admettra que le contrat est d’adhésion. Une telle présomption peut d’ailleurs se déduire du principe de liberté contractuelle figurant dans l’article 1102 du Code civil. En pratique, il incombera à celui qui entend démontrer que le contrat est d’adhésion (afin d’obtenir la neutralisation des clauses créant un déséquilibre significatif) d’établir cette démonstration.

En conséquence, une clause non négociée n’emporte pas nécessairement la qualification du contrat comme étant d’adhésion, sauf à prouver qu’elle a été imposée par une partie, et qu’elle n’était donc pas négociable. Ce faisant, du fait de la réforme, un contrat a priori considéré comme de gré à gré ne pourra être requalifié en contrat d’adhésion parce que contenant des clauses volontairement non négociées.

Le législateur a également réécrit en partie le second alinéa de l’article 1110 du Code civil. Le texte dispose maintenant que « le contrat d’adhésion est celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties ». L’expression « ensemble de clauses non négociables » vient se substituer à celle de « conditions générales, soustraites à la négociation ».

Au regard de ce changement, plusieurs questions se posent. A partir de combien de clauses obtient-on un « ensemble » au sens de cet article permettant d’identifier un contrat d’adhésion ? Peut-on prendre en compte des clauses éparpillées dans le contrat ou bien s’agit-il d’un « bloc » cohérent de clauses ? En l’absence d’une définition d’un « ensemble de clauses », il faudra attendre de voir quelle sera la pratique jurisprudentielle.

Autre question, puisque le législateur exige que les clauses non négociables soient « déterminées à l’avance par l’une des parties », faut-il comprendre que si les clauses, quoi que non négociables, sont introduites en cours de négociation du contrat, celui-ci échappera à la qualification de contrat d’adhésion ? Sans qu’on puisse là encore être très affirmatif, il est vraisemblable que non. Il ne suffit pas d’imposer en cours de discussions plusieurs clauses pour échapper au régime du contrat d’adhésion.

Enfin, il faut souligner que l’articulation entre les définitions de contrat de gré à gré et de contrat d’adhésion reste paradoxale. En effet, se pose la question de savoir comment qualifier un contrat qui ne contient pas un « ensemble de clauses non négociables » mais qui contient tout de même des clauses non « négociables ». Gageons qu’en pratique le contrat de gré à gré sera celui pour lequel la majorité des clauses et, à tout le moins, les clauses les plus substantielles, sont négociables.

D’une manière générale, afin de se prémunir d’une requalification du contrat de gré à gré en contrat d’adhésion, il convient de constituer et de conserver les preuves (échanges de courriels, projets de contrat) afin de démontrer que le contrat était en réalité bien négociable.

La géométrie variable du champ d’application de l’article 1171 du Code civil

L’article 1171 du Code civil, dans sa rédaction en vigueur depuis le 1er octobre 2016, prévoyait que « dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ». La réforme opérée par la loi n°2018-287 a modifié l’article de la façon suivante : « dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ».

A compter du 1er octobre 2018, seules pourront être réputées non écrites les clauses présentant trois caractères : elles doivent être susceptibles de créer un déséquilibre significatif ; être « non négociables » ; et avoir été « déterminées à l’avance par l’une des parties ». Une telle modification s’inscrit dans la logique de la réécriture, évoquée plus haut, de l’article 1110 puisqu’elle correspond aux éléments de définition du contrat d’adhésion. Ainsi, une clause créant un tel déséquilibre mais qui est négociable ne peut pas être réputée non écrite sur le fondement de l’article 1171.

Ces modifications appellent deux observations.

En premier lieu, la précision relative à la non négociabilité de la clause vient rétrécir le périmètre du champ d’application de l’article 1171 du Code civil car seules les clauses non négociables et déterminées à l’avance par l’une des parties, par opposition à « toute clause » dans la version de l’ordonnance n°2016-131, pourront être réputées non écrites si elles déséquilibrent les droits et obligations des parties.

Il faut en déduire une double conséquence.

D’une part, l’article ne s’applique que dans le cadre d’un contrat d’adhésion au sens de l’article 1110 du Code civil, c’est-à-dire à :

  • un contrat « dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties » pour les contrats conclus entre le 1er octobre 2016 et le 30 septembre 2018 ;
  • un contrat « qui comporte un ensemble de clauses non négociables déterminées à l’avance par l’une des parties » pour les contrats conclus à partir du 1er octobre 2018.

D’autre part, le second alinéa de l’article 1171 du Code civil, non modifié par la loi n°2018-287, prévoit que « l’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix de la prestation », de sorte que toute clause ayant pour effet de créer un déséquilibre qui porterait sur l’objet principal du contrat ou concernerait l’adéquation du prix ne pourra pas être réputée non-écrite.

En second lieu cependant, l’article 1171 du Code civil pourrait constituer un nouveau fondement pour tout demandeur à une instance. Celui-ci pourrait demander la neutralisation de la clause tout en engageant, sur le fondement de l’article L.442-6, I, 2° du Code de commerce, la responsabilité du cocontractant. Cet article prévoit en effet qu’« engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers […] de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». A nouveau, la distinction entre les contrats conclus entre le 1er octobre 2016 et le 30 septembre 2018, et ceux conclus à partir du 1er octobre 2018 devra être effectuée pour déterminer si le déséquilibre significatif vise toute clause ou seulement celles non négociables et déterminées à l’avance par l’une des parties.

Il reste donc à savoir comment les juridictions articuleront l’article 1171 du Code civil et l’article L.442-6, I, 2° du Code de commerce en pratique.

Le périmètre du préjudice précisé en matière de rupture de négociations précontractuelles

L’article 1112 du Code civil, qui explicite le régime des négociations précontractuelles en disposant qu’elles doivent être conduites librement et de bonne foi, voit son champ d’application précisé.

Alors que le texte disposait initialement qu’« en cas de faute commise dans les négociations […] la perte des avantages attendus du contrat non conclu » ne constituait pas un préjudice réparable, le législateur est venu ajouter que « la perte de la chance d’obtenir ces avantages » ne constitue pas non plus un préjudice réparable. Toutefois, cet ajout ne ferme pas la porte à la réparation du préjudice résultant des opportunités perdues de conclure un contrat avec un tiers et des dépenses inutiles causées par la négociation, tel que cela est déjà admis en jurisprudence.

Cette modification est considérée comme ayant un caractère interprétatif car précisant l’étendue d’un champ d’application qui n’avait pas été détaillé. De ce fait, l’article 1112 du Code civil dans sa nouvelle rédaction est applicable à tous les actes conclus à partir du 1er octobre 2016.

Pour terminer cette brève analyse, on relèvera qu’une partie de la doctrine a trouvé dans les travaux parlementaires un appui supplémentaire pour considérer que l’article 1195 du Code civil (non modifié par la loi n°2018-287) présente un caractère supplétif et peut, de ce fait, être écarté par la volonté des parties. Rappelons que le texte a introduit le principe d’imprévision dans le Code civil. Cet article prévoit que le contrat peut être renégocié « lorsqu’un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque ». La dernière partie de cette expression, parce qu’elle fait référence au critère de l’acceptation par une partie d’assumer le risque, permet de conclure que cet article peut être écarté par une stipulation contractuelle exprimant la volonté d’une partie d’assumer ledit risque. Le sujet semble donc clos.

 

Auteurs

Francine Van Doorne, avocat Counsel, droit commercial et droit de la distribution

Benjamin  Benezeth, juriste, droit des contrats et protection des données personnelles

 

De quelques impacts de la réforme du droit des contrats – Article paru dans la Lettre des réseaux de distributions de juin 2018