Livraisons de biens E-commerce en B2C: une réforme majeure des règles TVA
L’Union européenne modifie en profondeur les règles de TVA applicables aux livraisons de biens et prestations de services réalisées à distance au profit des particuliers par la Directive 2017/2455/CE adoptée le 5 décembre 2017. Point sur les règles relatives aux livraisons de biens1.
Les règles de TVA applicables aux opérations de ventes à distance de biens au profit de particuliers (B2C) datent de 1992 et ne sont plus adaptées face à l’explosion du E-commerce ces dernières années. Outre les pure players et les marketplaces, la plupart des enseignes doublent leur présence physique d’un site internet à partir duquel des consommateurs situés dans toute l’Europe et en dehors peuvent acheter directement. La lourdeur des règles actuelles constitue un obstacle au recouvrement de la taxe et un frein au développement des opérateurs par la création d’une distorsion de concurrence au détriment de ceux qui les respectent.
La nouvelle Directive a pour objectif de prendre en compte cette évolution et de remédier à ces difficultés.
Elle définit deux catégories d’opérations : les ventes à distances intracommunautaires et les ventes à distances de biens importés.
La racine des deux définitions est commune : elle couvre les livraisons transfrontalières de biens expédiés ou transportés par le fournisseur ou pour son compte, à destination d’un acquéreur non assujetti dans un Etat membre de l’UE. Toutefois, afin de couvrir certains schémas destinés à écarter le régime actuel des ventes à distances, les nouvelles définitions visent également les cas dans lesquels le vendeur « intervient indirectement » dans le transport ou l’expédition2. Les ventes à distance intracommunautaires concernent les biens transportés depuis un Etat membre de l’UE, alors que les ventes à distance de biens importés visent les biens transportés à partir d’un Etat tiers à l’UE.
La Directive prévoit le régime de TVA applicable à ces deux types d’opérations. Elle introduit également un régime spécial d’importation et prend en compte le rôle majeur des plateformes dans le développement de ce mode de commercialisation en les instaurant, dans certaines situations, redevables de la TVA sur les ventes aux consommateurs.
1. Ventes à distance intracommunautaires : une plus large taxation dans l’Etat de consommation et enfin la mise en place d’un guichet unique
Le régime actuel des ventes à distance dans l’UE repose sur un mécanisme de seuil. Tant que le montant des ventes reste inférieur à un certain seuil, fixé par Etat membre de livraison, les opérations sont soumises à la TVA dans l’Etat membre d’expédition des biens. Dès que ce seuil est dépassé, ou sur option du vendeur, les ventes sont taxables dans l’Etat membre de livraison.
Ce régime entraîne de nombreuses contraintes administratives : immatriculation à la TVA dans les Etats membres de livraisons concernés, souscription de déclarations de TVA et d’Intrastat locales. Il s’applique quel que soit le pays d’établissement du vendeur dès lors que les biens sont livrés depuis un premier Etat membre vers un second.
A compter du 1er janvier 2021, un seuil unique de 10.000 € restera applicable et prendra en compte l’ensemble des ventes à distances intracommunautaires de biens et de services. Une option pour appliquer le régime de droit commun demeurera ouverte aux opérateurs.
La généralisation de la taxation dans l’Etat membre de livraison s’accompagnera d’une mesure de simplification importante : les opérateurs pourront déclarer trimestriellement toutes leurs opérations à travers un guichet unique (le MOSS devenu l’OSS).
Le recours à ce guichet unique demeurera facultatif mais il devrait grandement faciliter la déclaration et le paiement de la TVA dans l’ensemble des Etats membres. Soulignons, en outre, que son utilisation dispensera le vendeur de l’obligation d’émettre une facture au titre de ses opérations3.
Cependant, les opérateurs ne pourront, via ce guichet, exercer aucune déduction de la TVA sur d’éventuelles dépenses locales. Ils devront utiliser, selon leur situation, les procédures de remboursement de la TVA aux entreprises étrangères ou leur éventuelle déclaration de TVA locale.
2. Ventes à distance de biens importés : simplifications pour les envois de faible valeur
Le lieu d’imposition de ces opérations sera toujours situé dans l’Etat membre d’arrivée de l’expédition des biens à destination de l’acquéreur, que l’importation préalable soit effectuée directement ou non dans cet Etat membre.
La franchise fiscale de 22 € étant supprimée, le nouveau régime se concentre sur les ventes à distance de biens importés contenus dans les envois dont la valeur intrinsèque n’excède pas 150 €4, pour lesquelles un régime spécial « simplifié » est proposé aux opérateurs.
Ces derniers pourront, en effet, déclarer et payer électroniquement et en un seul lieu la TVA relative à l’ensemble des ventes à distance de biens importés qu’ils réalisent auprès de consommateurs établis dans l’UE. Corrélativement, l’importation préalable des biens sera exonérée de TVA.
Un nouveau guichet unique sera créé à cet effet (Import One Stop Shop – IOSS). Les vendeurs qui choisiront d’utiliser ce régime devront s’identifier auprès de ce guichet unique, soit directement lorsqu’ils sont établis dans l’UE ou dans un pays tiers ayant conclu un accord d’assistance mutuelle similaire à celui existant dans l’UE, soit en désignant un intermédiaire établi dans l’UE, et redevable de la TVA correspondante, quand ils sont établis dans un pays tiers ne disposant pas d’un tel accord.
Un numéro de TVA spécifique au IOSS sera attribué au vendeur et à l’éventuel intermédiaire. Les déclarations de TVA seront souscrites mensuellement par le vendeur ou l’intermédiaire et devront détailler, par Etat de consommation, le montant total hors taxe des ventes, le taux et le montant de TVA correspondante et, par taux d’imposition le montant total de la TVA. Elles seront libellées en euros. Les opérateurs ne pourront déduire aucune TVA sur ces déclarations et devront au besoin utiliser les autres procédures de remboursement prévues par les textes de l’UE.
Il est à noter que le fait générateur et l’exigibilité de la TVA seront, dans le cadre de ce régime, fixés au moment où le paiement a été accepté.
Outre la possibilité d’une centralisation de la déclaration et du paiement de la TVA, le recours à ce régime permettra l’exonération de TVA de l’importation préalable des biens, à la condition que le fournisseur ou l’intermédiaire ait, au plus tard au moment du dépôt de la déclaration d’importation, fourni au bureau des douanes compétent leur numéro d’identification à la TVA spécifique au IOSS.
Notons, enfin, que lorsque le fournisseur n’utilisera pas l’IOSS et que l’importation des biens sera effectuée directement dans l’Etat membre de destination, un régime spécial d’importation pourra être utilisé et permettra à la personne qui présente les marchandises en douane pour le compte du destinataire, société de fret express notamment, de ne verser la TVA d’importation qu’après en avoir obtenu le paiement auprès de ce destinataire. La mise en œuvre de ce régime suppose que les ventes soient réalisées hors taxe par le fournisseur et que l’acquéreur accepte d’acquitter la TVA.
3. Les plateformes désignées redevables de la TVA dans les ventes qu’elles facilitent
Afin de faciliter le recouvrement de la TVA, la Directive créée deux nouvelles dérogations au principe selon lequel le fournisseur est le redevable de la TVA.
Elles visent les situations dans lesquelles un assujetti facilite, par l’utilisation d’une interface électronique telle qu’une place de marché, une plateforme, un portail ou un dispositif similaire, une livraison de biens. Cet assujetti est alors réputé avoir reçu et livré ces biens lui-même et devient donc redevable de la TVA sur la vente au client.
Cette « fiction » TVA s’appliquera :
- à toutes les livraisons de biens dans l’UE réalisées par un opérateur non établi dans l’UE au profit d’un non assujetti (ventes internes ou ventes à distance intracommunautaires) ;
- aux ventes à distance de biens importés de territoires tiers ou de pays tiers contenus dans des envois d’une valeur intrinsèque ne dépassant pas 150 € quel que soit le pays d’établissement du vendeur.
Dans ce cadre, les plateformes pourront utiliser les guichets mis en place (OSS et IOSS).
Ce régime pose toutefois de nombreuses difficultés. Ainsi, la définition de la plateforme facilitant la vente n’est pas très détaillée à ce stade. Par ailleurs, si le lieu de taxation à la TVA de la « vente » entre la plateforme et le consommateur est le pays de livraison, le régime applicable à « l’opération » d’amont entre le vendeur et la plateforme ne fait l’objet d’aucune précision ni commentaire.
Soulignons enfin que ces différents régimes s’accompagnent de l’obligation pour les différents intervenants de tenir des registres de leurs opérations pour permettre leur contrôle par les autorités fiscales nationales.
Les deux années et demi restant jusqu’à la date de transposition de ces nouveaux régimes nous paraissent donc bienvenues et nécessaires pour permettre aux autorités communautaires et nationales de fournir des précisions et aux opérateurs pour mettre leurs systèmes en conformité.
Notes
1 Les nouvelles règles relatives aux prestations de services ont été abordées dans le n°1469 du lundi 2 juillet 2018.
2 En mettant le client en relation avec un transporteur, par exemple.
3 Les ventes à distance doivent en principe donner lieu à l’émission d’une facture alors même que le client n’est pas assujetti à la TVA.
4 Ce montant correspond au seuil de la franchise douanière à l’importation.
Auteurs
Amélie Retureau, avocat counsel. droit fiscal