Le décret du 28 juin 2018 : modification des S3REnR et raccordements indirects
17 juillet 2018
Le décret n°2018-544 du 28 juin 2018 portant modification de la partie réglementaire du code de l’énergie relative aux schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR) et aux raccordements multi-producteurs a pour objet de combler deux vides juridiques.
En premier lieu, celui résultant de la décision par laquelle le Conseil d’Etat a annulé le décret n°2016-434 du 11 avril 2016 portant modification de la partie réglementaire du code de l’énergie relative aux schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables (22 décembre 2017, GAEC Rouches c/ Premier ministre, req. 400.669). Ce décret, qui portait sur les modalités de révision et d’adaptation de ces schémas, n’avait en effet pas été préalablement soumis à la Commission de régulation de l’énergie (CRE), comme l’exigent les dispositions de l’article L. 134-10 du code de l’énergie. Le décret du 28 juin 2018 a fait l’objet d’un avis de la CRE, rendu par le collège des commissaires le 21 mars 2018 sous le numéro 2018-049.
Pour l’essentiel, le décret du 28 juin 2018, dont le contenu se retrouve épars dans les articles D de la partie réglementaire du code de l’énergie, reprend logiquement les dispositions du décret du 11 avril 2016. Il convient néanmoins de relever que le plafond au-delà duquel l’adaptation n’est plus possible et la révision s’impose a été rehaussé. Un schéma peut ainsi être adapté jusqu’à une augmentation de la capacité globale d’accueil de 300 MW et 20%, au lieu de 100 MW auparavant, une augmentation de la quote-part unitaire d’au plus 8.000 € par MW contre 4.000 €/MW dans le précédent décret, ou encore une augmentation du coût des investissements supplémentaires des gestionnaires de réseau d’au plus 200.000 € par MW de capacité créée, tandis que le plafond était de 100.000 € dans le décret du 11 avril 2016.
Le décret comporte des dispositions spécifiques aux S3REnR des collectivités ultramarines, avec des seuils inférieurs pour séparer révision et adaptation, ainsi qu’un plafonnement de la quote-part, le tout étant destiné à favoriser l’introduction de nouveaux moyens de production dans ces zones non interconnectées.
En second lieu, le Premier ministre a adopté ce décret afin de remédier à la situation née de la décision du Comité de règlement des différends et des sanctions (CoRDiS) de la CRE en date du 19 juillet 2017 (n°19-38-16, Volkswind France c/ RTE, au JORF du 27 juillet 2017), que nous avons commentée en son temps. Le décret tend ainsi à combler une faille dans le mécanisme de mutualisation des coûts de raccordement des installations de production aux réseaux publics, en réglementant le « raccordement multi-producteurs », direct ou indirect.
On rappellera en effet que le CoRDiS a considéré dans cette affaire Volkswind qu’au regard du droit alors applicable, ni les producteurs indirectement raccordés au réseau public de transport, ni l’utilisateur du réseau public propriétaire des ouvrages privés de raccordement et notamment du poste de transformation via lequel ces producteurs étaient raccordés, n’avaient à verser la quote-part prévue au titre de la mutualisation dans le cadre des S3REnR.
Le décret du 28 juin 2018 réglemente donc cette problématique à partir du concept de « groupements multi-producteurs ». Il traite plus exactement de deux situations : le raccordement de plusieurs installations de production en un point unique du réseau public et le raccordement d’une ou plusieurs installations de production au sein d’un site de consommation. Le principe est la désignation d’un représentant unique, dénommé « demandeur du raccordement » : dans la première hypothèse, un producteur ou un tiers, qui devient titulaire de la convention de raccordement ; dans la seconde hypothèse, le titulaire de la convention de raccordement du site de consommation.
Par ailleurs, dans le cas du raccordement indirect de plusieurs producteurs, l’ensemble de leurs installations est raccordé en un point unique du réseau public et considéré comme une seule installation de production. Par suite, le demandeur du raccordement assure les fonctions et supporte les obligations dévolues au producteur. Il signe seul les contrats avec le gestionnaire du réseau public – a minima les conventions de raccordement et d’exploitation, ainsi que le contrat d’accès au réseau -, dont il notifie au préalable les projets aux propriétaires des installations relevant du groupement. Il est par suite redevable de la contribution au titre du raccordement propre des installations de production, ainsi que de la quote-part pour la somme des puissances actives maximales de toutes les installations du groupement. Il est enfin responsable de la conformité du raccordement.
Ces dispositions relatives aux raccordements multi-producteurs ont été adoptées sur un avis critique de la CRE, qui soulignait diverses incohérences. Le Premier ministre a néanmoins tenu compte des remarques du régulateur en modifiant le projet qu’il lui avait soumis.
En particulier, le projet d’article R. 342-15-1 du code de l’énergie, relatif au raccordement de plusieurs installations de production non-synchrones en un point unique du réseau public, n’a pas été retenu en raison de son incompatibilité avec le règlement n°2016/631 de la Commission en date du 14 avril 2016 établissant un code de réseau sur les exigences applicables au raccordement au réseau des installations de production d’électricité, dit « règlement RfG », qui impose qu’un « parc non synchrone de générateurs » soit connecté au réseau public par un seul point de raccordement. Or, ce règlement entrera en vigueur dès le 27 avril 2019.
Le Premier ministre a également modifié la rédaction des projets d’articles D. 342-15-2 à D. 342-15-7, en supprimant la notion de mandat. Le projet de décret prévoyait en effet que les producteurs devaient désigner un mandataire chargé d’effectuer la demande de raccordement pour le groupement et de les représenter auprès du gestionnaire du réseau public. Le collège de la CRE avait relevé que le choix du contrat de mandat portait une atteinte non nécessaire à la liberté contractuelle des producteurs et que ceci relevait en tout état de cause de la compétence du législateur. De même, les producteurs peuvent désigner librement le « demandeur du raccordement », au lieu que le projet imposait que ce fût l’un des producteurs.
C’est enfin sur proposition de la CRE qu’a été inclus le cas des producteurs indirectement raccordés au sein d’un site de consommation.
En conclusion, le décret du 28 juin 2018 est bienvenu, dans la mesure où il permet de rétablir le cadre réglementaire de l’adaptation et de la révision des S3REnR, et où il clarifie le cadre juridique des raccordements multi-producteurs qui résultait jusqu’alors de décisions du CoRDIS (décision du 12 juillet 2010 sur le différend qui oppose la Société d’exploitation du parc éolien Le Nouvion, la société parc éolien de Saint-Riquier 1 et la société parc éolien de Saint-Riquier 2 à la société RTE EDF Transport relatif au raccordement de leurs installations de production d’électricité au réseau public de transport d’électricité, au JORF du 20 août 2010).
On peut cependant regretter que ce texte composite, dont la publication intervient après la création des réseaux intérieurs des bâtiments, ne contienne pas les dispositions réglementaires qu’appelle, depuis plus de dix-huit mois, l’ordonnance n°2016-1725 du 15 décembre 2016 relative aux réseaux fermés de distribution, qui n’a au demeurant pas été ratifiée. Cela laisse de nombreux acteurs dans l’incertitude juridique résultant de l’arrêt Valsophia (CA Paris, 12 janvier 2017, n°15/15157), qui fait l’objet d’un pourvoi en cassation.
Auteurs
Christophe Barthélemy, avocat associé, droit de l’énergie et droit public
Marc Devedeix, avocat, droit de l’énergie
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