Géoblocage : vers la fin des discriminations fondées sur la nationalité, la résidence ou l’établissement
Le geoblocking fait désormais l’objet d’une réglementation spécifique. Le règlement 2018/302 du 28 février 2018, qui entrera en vigueur le 3 décembre 2018, cherche ainsi à mettre fin aux blocages géographiques injustifiés et autres formes de discriminations fondées sur la nationalité, le lieu de résidence ou le lieu d’établissement du client.
Concrètement, sont visées les pratiques discriminatoires qui consistent à empêcher des clients d’avoir accès en ligne à des produits ou des services proposés sur un site Internet établi dans un autre Etat membre et d’acheter ces produits ou ces services. Certes, la directive services 2006/123 du 12 décembre 2006 avait édicté un principe de non-discrimination en raison de la nationalité ou du lieu de résidence du destinataire du service proposé. Cela s’est néanmoins avéré insuffisant : en 2016, seuls 36% des sites de commerce électronique autorisaient les transactions transfrontalières.
Champ d’application du règlement – Il est assez largement défini. D’une part, son champ d’application matériel ajoute à celui de la directive la vente de biens en ligne. Restent cependant exclus du champ du règlement les services dont la principale caractéristique est de fournir un accès à des contenus protégés par le droit d’auteur et de permettre leur utilisation, y compris la vente sous une forme immatérielle d’œuvres protégées par le droit d’auteur (services d’écoute de musique en ligne, livres électroniques, logiciels et jeux en ligne). De même, les services financiers, audiovisuels, de transport, les services de soins de santé et les services sociaux échapperont à l’application du règlement. D’autre part, son champ d’application personnel est vaste : le règlement profitera aux « clients » des professionnels, c’est-à-dire aux consommateurs et aux entreprises qui reçoivent un service ou achètent un bien dans le but unique de son utilisation finale.
Encadrement – Trois situations sont spécifiquement visées par le législateur européen, à savoir l’accès aux interfaces en ligne (article 3), l’accès aux biens ou aux services (article 4) et les opérations de paiement (article 5).
Les interfaces sont largement entendues, comme « tout logiciel, y compris un site Internet ou une section de site Internet, et des applications […] exploitées par un professionnel ou pour son compte et permettant aux clients d’accéder aux biens ou aux services qu’il propose en vue de réaliser une transaction portant sur ces biens ou services ». Il s’agit en pratique du canal le plus fréquent de géoblocage, le professionnel s’appuyant sur l’adresse IP du client pour lui bloquer l’accès au site ou le rediriger automatiquement vers une autre version du site. Aussi est-il désormais interdit au professionnel de bloquer, de limiter l’accès de l’interface au client, ou de le rediriger vers une autre version, pour des motifs liés à sa nationalité, à son lieu de résidence ou à son lieu d’établissement. Par exception, une redirection pourra intervenir si le client y consent expressément et sous réserve qu’il lui soit toujours possible d’accéder facilement à la version initiale de l’interface.
De même, l’accès aux biens et services et les opérations de paiement ne sauraient être empêchés du fait de la nationalité du client, de son lieu de résidence ou d’établissement. Trois autres motifs de discrimination sont rejetés s’agissant des opérations de paiement, à savoir la localisation du compte de paiement, celle du lieu d’établissement du prestataire de services de paiement ou encore celle du lieu d’émission de l’instrument de paiement. En bref, une personne qui réside dans un Etat membre doit pouvoir acquérir un bien ou obtenir un service auprès d’un professionnel établi dans un autre Etat membre, sous réserve des conditions générales d’accès et des considérations liées à la livraison (article 4 § 2 ; cons. 27). De même, le professionnel ne pourra pas appliquer des conditions de paiement différentes pour les motifs susvisés, dès lors que le paiement est effectué au moyen d’une opération électronique répondant aux exigences d’authentification de la directive 2015/2366 du 25 novembre 2015 relative aux services de paiement et dans une devise qu’il accepte (article 5 § 1). Il pourra cependant suspendre la livraison ou la prestation jusqu’à ce qu’il reçoive la confirmation que l’opération de paiement a été dûment engagée, et appliquer des frais au titre de l’utilisation de certains instruments et services de paiement.
Sanctions – La détermination du dispositif de contrôle de l’application du règlement est essentiellement renvoyée aux Etats membres, chargés de désigner l’organisme compétent et de définir les sanctions encourues. Seule sanction prévue par le règlement : la nullité de plein droit des dispositions des accords sur les ventes passives qui obligeraient les professionnels à prévoir des discriminations géographiques. La vigilance s’impose, donc.
Auteurs
Alexandre Ghanty, juriste au sein du département de doctrine juridique