L’Origine du monde et le devenir de l’art sur un réseau social
7 août 2018
Le 27 février 2011, un utilisateur d’un réseau social publie sur son compte la photo d’un tableau de nu féminin représentant le sexe et le torse d’une femme allongée nue sur un lit : « L’Origine du monde », réalisé en 1866 par Gustave Courbet. Quelques heures plus tard, le compte de l’utilisateur est désactivé. Une action en justice est introduite.
Après 7 ans de litige, le tribunal de grande instance de Paris a été saisi de l’affaire sur le fond et a rendu un jugement le 15 mars 2018 (TGI Paris, 15 mars 2018, n°12/12401). Il reconnaît que le réseau social a commis une faute dans l’exécution du contrat en procédant, sans préavis ni motifs, à la désactivation d’un compte. Le Tribunal constate néanmoins qu’une telle désactivation n’a pas entraîné de préjudice pour l’utilisateur dudit compte.
La faute contractuelle du réseau social – Le Tribunal relève que l’article R.132-2 du Code de la consommation, dans sa version en vigueur au moment des faits (antérieure au décret n°2016-884 du 29 juin 2016 relatif à la partie réglementaire du Code de la consommation), dispose que les clauses ayant pour objet ou pour effet de « reconnaître au professionnel la faculté de résilier le contrat sans préavis d’une durée raisonnable » sont présumées abusives. Au sens de ces dispositions, le Tribunal considère abusive la clause litigieuse activée par la société Facebook et figurant dans les conditions générales du contrat. Ladite clause permet une résiliation du contrat sans justifier la désactivation du compte et sans préavis raisonnable pour l’utilisateur. Ce dernier n’est donc pas mis en mesure de s’expliquer et d’éventuellement mettre fin aux manquements contractuels qui lui sont reprochés.
Selon le Tribunal, l’activation d’une telle clause est une faute car elle constitue un manquement à l’obligation d’exécuter le contrat de bonne foi figurant à l’article 1134 du Code civil dans sa version alors en vigueur (obligation figurant désormais à l’article 1104 du Code civil).
L’absence de lien de causalité et de préjudice pour l’utilisateur – Le Tribunal considère que le lien de causalité entre la publication de la photo et la désactivation du compte n’est pas suffisamment caractérisé. Il relève qu’« à la lecture des pièces produites aux débats, il n’est pas démontré avec la rigueur qui s’impose, que la désactivation du compte [de l’utilisateur] serait due à l’affichage sur le ‘mur’ d’une photo de ‘l’Origine du monde ’ ».
En outre, le Tribunal constate que la désactivation du compte de l’utilisateur du réseau social ne lui a pas causé de préjudice certain, né et actuel. D’une part, l’utilisateur a créé un nouveau compte (le jour même de la désactivation du premier) avec lequel il a republié la photo de l’Origine du monde, et celui-ci est toujours actif, et d’autre part, il ne démontre pas la perte de son réseau social.
Il n’est pas non plus fait droit à la demande de réactivation du compte initial de l’utilisateur puisqu’il en a ouvert un nouveau et que la déclaration des droits et responsabilités du réseau social autorise l’ouverture d’un unique compte par utilisateur. Ce dernier a décidé de faire appel du jugement.
Un nu artistique peut-il être publié sur un réseau social ? – Il est difficile de connaître la réponse juridique à ce sujet puisque le Tribunal ne traite pas directement du point de savoir si le réseau social peut censurer la publication d’une Å“uvre d’art.
Cependant, le réseau social a fait valoir par un communiqué que « L’Origine du Monde est un tableau qui a parfaitement sa place sur [le réseau social] », permettant ainsi, a priori, de clore le débat en pratique.
Auteurs
Benjamin Benezeth, juriste, droit des contrats et protection des données personnelles
L’Origine du monde et le devenir de l’art sur un réseau social – Article paru dans la Lettre Propriétés Intellectuelles de juillet 2018
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